Page images
PDF
EPUB

acquérir la réputation la plus désirable.

Mon père, qui jusque-là avoit été fort sérieux, ne put s'empêcher de laisser éclater sur son visage un mouvement de joie, et la pria de m'accorder ses bontés. En la quittant, il me parut moins aigri contre elle.

Cependant, dès qu'il fut en voiture, il retomba dans sa rêverie, ne me répondant que par monosyllabe; je me livrois aussi à mes réflexions. Mon père étoit si absorbé dans les siennes, que tout à coup il lui échappa de se dire à lui-même: Oui, j'ai eu raison, il me consolera! Mon père consolé! qui avoit pu l'affliger? de qui avoit-il eu à se plaindre ?-J'osai le lui demander: il me regarda, comme étonné d'avoir ainsi laissé pénétrer son secret. Habituellement sérieux, il devint plus grave en

[ocr errors]

core, me regarda à plusieurs réprises; mais soit qu'il me crût trop jeune pour m'accorder sa confiance, soit qu'il fût résolu à ne jamais révéler ses chagrins, il me répondit vaguement que personne n'est exempt de peines.

Cette seule réticence influa sur le reste de ma vie. Ces mots, il me consolera! me revenoient sans cesse. Oui, mon père, disois-je en moi-même, je pourrois me sacrifier à votre bonheur, mais le mien n'est plus tout-à-fait en votre puissance. Pour la première fois je venois de sentir le besoin d'une ame qui. me chérît dans toute la plénitude de sa confiance et de son affection; d'une ame dont je fusse toute la joie, toute la peine, et qui aussi dépendît de moi..

[ocr errors][merged small]

A PEINE étois-je à Paris, que je fus attaqué d'une fièvre inflammatoire. Etre malade, en danger, et guéri, fut l'affaire de huit jours. Cependant je ne sortois pas encore, lorsque mon père reçut l'ordre de se rendre à Versailles. Le roi le chargea d'une mission très délicate, dont le succès dépendoit en quelque sorte, du secret, de la promptitude, et sur-tout de l'estime que le caractère de mon père avoit inspirée.

Trop foible encore pour l'accompagner dans ce voyage qu'il falloit faire sans perdre un instant, sans prendre aucun repos, mon père fut obligé de me

laisser à Paris. Nous convînmes de dire qu'il étoit allé passer quinze jours dans ses terres. Son absence ne devoit durer que six semaines; mais si elle se prolon= geoit, je lui promis d'aller le joindre aussitôt que mes forces me le permettroient.

Au moment de son départ, mon père me donna beaucoup plus d'argent que je ne devois raisonnablement en désirer. "Mon enfant, me dit-il, "ne contractez jamais de dettes: je "sais qu'à votre âge tous les enga

gements sont nuls, mais votre pa"role me seroit sacrée. Oui, mon fils,

66

ajouta-t-il en élevant la voix, vous "n'avez point de frère, point de sœur "qui partage mes devoirs et je puis "tout sacrifier à ce que j'appelle le vé❝ritable honneur. N'oubliez donc point

66

que je languirai, souffrirai dans ma

"vieillesse, si votre jeune âge a été in"considéré. A mon retour, je vous ferai "connoître ma fortune; c'est vous qui

66

jugerez ce que je puis accorder à vos besoins, à vos habitudes. Vous êtes mon ami." Que j'étois ému! Je pris ses mains dans les mienne. "Mon

66

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

père, s'il est vrai que je sois votre ami, parlez à votre fils; vous avez eu des peines; mon cœur vous plaint, vous 66 approuve d'avance; chacune de vos paroles m'inspirera vos sentiments. Il me consolera, vous l'avez dit. Eh! de "quel autre que moi pouviez-vous par"ler?"-"Ce mot vous a fait une grande impression, me répondit-il tristement.

66

66

"Je n'ai point de peine, mon fils, ou il "me seroit douloureux de les confier." Je serrai mon père dans mes bras, le pressai contre mon coeur; j'espérois briser cette glace qui nous séparoit. Mon père

« PreviousContinue »