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CHAPITRE IV.

LE lendemain je fus bien embarrassé pour parler à mon père; son regard annonçoit plus de sévérité que je ne lui en avois jamais vu cependant j'avois promis à Agathe de lui demander qu'il renonçât à la marier; et certes, ce n'étoit point par Agathe que j'aurois commencé à manquer à ma parole.

Dès les premiers mots que je hasardai, mon père prit un air austère qui m'imposa. Il me fit sentir qu'on pouvoit mal interpréter mes démarches innocentes, mon affection fraternelle. Le fils de son fermier avoit consenti avec peine à épouser Agathe. Agathe auroit

été méprisée par celui qu'intérieurement je dédaignois ! Comment supporter une pareille humiliation!

Mon père fit retentir jusqu'à mon cœur ces mots sacrés, probité, honneur ; et je n'avois pas encore renoncé à Agathe, que je commençai à la regretter.

"Si vous aimez Agathe plus que la "vie, j'en mourrois de douleur, me "dit mon père; cependant je pour"rois vous estimer encore: mais si ce "n'est qu'un amusement, il est impar"donnable."

Mon père parloit à ma raison, à mon cœur. Je me levai." Où allez-vous,

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me dit-il ?-Je vais décider Agathe "à vous obéir."-11 me serra dans sés bras; c'étoit la premiere fois que je le voyois si tendrement ému: car jusqu'alors j'avoue qu'il s'étoit rarement donné la peine de chercher à me con

vaincre, encore moins à me persuader. Jamais il n'étoit entré dans sa tête, ni dans la mienne, qu'il me fût possible d'avoir un avis différent du sien. "Mon fils, mon cher Eugène, assieds"toi près de moi!".... Dans son émotion, mon père me tutoya pour la première fois. Cette tendresse d'expression, la douceur de son regard lui livroit toute mon ame. "Ta vie est encore pure, "me dit-il; ah! que volontiers je te de"manderois de t'aimer autant que je "t'aime! Connois-tu le monde? Veux"tu y réussir?-Je serrai sa main."Eh bien! laisse-moi te guider, pro"fite de mon expérience, c'est ainsi que "tu hériteras de ma jeunesse ; et ne "faut-il pas que tout ce qui a été à moi "te revienne? Jusqu'ici, tu n'as vu en "moi qu'un maître; aujourd'hui que "tu as été un homme, que tu as eu de

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Ah! dans ce moment mon père auroit pu m'ordonner les sacrifices les plus pénibles, j'aurois été heureux de lui obéir.

CHAPITRE V.

QUELLE nuit je passai après cette conversation de mon père! comme elle avoit élevé mon ame! Avec quelle exaltation je me promettois d'être digne de ce titre d'ami qui sembloit m'ouvrir une nouvelle existence! J'avois acquis toute la force qui 'm'empêchoit de douter de moi-même. Par la suite j'admirai mon père d'avoir éssayé mes premiers efforts contre un attachement qui n'étoit qu'un simple goût, qui me laissoit tout l'honneur d'avoir triomphé, sans que le combat eût été trop pénible. Je me crus de l'expérience; et, comme une chose facile, je me dis que la vie pouvoit être soumise

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