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efforts à l'éloquence, dont il a atteint les limites. Il débuta au barreau en plaidant contre des tuteurs infidèles qui avaient dilapidé son patrimoine; il gagna sa cause, et ce premier succès l'enhardit à paraître à la tribune. Deux fois il ne recueillit que des huées, et peut-être aurait-il renoncé à parler en public, si l'acteur Satyrus n'eût relevé son courage. A force d'art et de patience, Démosthène triompha de ses défauts naturels; par l'exercice, il fortifia sa poitrine, épura sa prononciation, corrigea ses gestes, et finit par devenir maître de tous ces secrets de l'action oratoire que les anciens mettaient à si haut prix. A vingt-cinq ans, il reparut à la tribune, où il prononça ses deux discours contre Leptine, et ne tarda pas à se mettre au premier rang des orateurs politiques. De bonne heure il devina les projets de l'ambitieux Philippe, qu'il pénétra tout à fait pendant son ambassade. Dès lors il n'eut plus qu'une pensée ce fut de relever Athènes pour faire obstacle à la puissance toujours croissante du roi de Macédoine. Il lui cherche partout des ennemis; Philippe ne peut pas faire un pas que sa politique ne soit démasquée. Démosthène ne se lasse pas d'avertir Athènes du danger qu'elle court, et de la rappeler au sentiment de sa dignité et de ses devoirs. Les Philippiques et les Olynthiennes sont les monuments de cette vigilance patriotique. La prise d'Élatée éclaira enfin, mais trop tard, l'imprudente Athènes; l'alliance avec Thèbes fut conclue, et le dernier enjeu de l'indépendance de la Grèce fut perdu dans la plaine de Chéronée. Démosthène s'associa à la fuite des vaincus sans perdre la confiance de ses concitoyens car il fut chargé d'honorer la mémoire des guerriers morts dans le combat. Dans l'année qui précéda cette catastrophe, Ctésiphon avait proposé de décerner une couronne à Démosthène sur le théâtre, pendant les fêtes de

Bacchus, et l'avis du sénat avait été favorable à cette proposition. Eschine en avait arrêté l'effet en attaquant Ctésiphon avant que l'avis du sénat eût été soumis au peuple. L'accusation resta suspendue pendant huit ans. La bataille de Chéronée, les efforts d'Athènes après la mort de Philippe, les menaces d'Alexandre triomphant, avaient rempli l'intervalle. Eschine profita de l'abaissement et de la soumission d'Athènes pour reprendre son accusation. On sait les détails de ce mémorable procès. Eschine, n'ayant pu réunir la cinquième partie des suffrages, fut condamné à l'amende, et, ne pouvant la payer, il s'exila. Démosthène, au bruit de la mort d'Alexandre, essaye de réveiller la Grèce assoupie et provoque un nouvel effort, impuissant comme le premier, plus funeste pour lui-même. Condamné à mort par les Athéniens, il se réfugia dans le temple de Neptune à Calaurie, où, poursuivi par les satellites d'Antipater, il s'empoisonna. Ainsi Eschine vaincu devient rhéteur à Rhodes, et la défaite conduit Démosthène au martyre; la destinée les paye tous deux selon leur mérite: le mercenaire, pour qui l'éloquence était un instrument de flatterie et de corruption, continue de vivre en vendant ses paroles; le citoyen qui a mis son génie au service d'une noble cause meurt avec la liberté qu'il n'a pu faire triompher.

L'éloquence de Démosthène a été merveilleusement caractérisée par M. Villemain, qui a su être neuf dans cette appréciation, après Cicéron, Denys d'Halicarnasse, Longin et Fénelon : « La précision de Démosthène n'ôte jamais rien aux développements, aux tableaux, aux effets de l'éloquence; autrement serait-il grand orateur? Mais la première vertu de son style, c'est le mouvement: voilà ce qui le faisait triompher à la tribune; il fallait le suivre et marcher avec lui: à deux mille ans de

Philippe et de la liberté, ses paroles entraînent encore. La diction est soignée, énergique, familière; les bienséances, adroites et nobles; le raisonnement, d'une force incomparable; mais c'est le discours entier qui est animé d'une vie intérieure et poussé d'un souffle impétueux. Au milieu de cette véhémence, on doit être frappé de la raison supérieure et des connaissances politiques de l'orateur. Ses discours, pleins de verve et de feu, renferment les instructions les plus salutaires sur les détails du gouvernement et de la guerre. L'orateur ne déclame jamais dans un sujet où la déclamation pouvait paraître éloquente. Il expose une entreprise de Philippe, en montre les moyens, les obstacles, les dangers; il peint la langueur des Athéniens, il les conjure de faire un grand effort, il les instruit de leurs ressources, il leur compose une armée, il leur trace un plan de campagne une courte harangue lui a suffi pour tout dire. Cette précision de langage et cette plénitude de sens appartiennent à un véritable homme d'État ; le grand orateur a l'art d'y joindre la clarté et la popularité du langage.

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Il existe de Démosthène soixante et un discours, qui se partagent ainsi : genre démonstratif, deux ; genre délibératif, dix-sept; genre judiciaire, quarante-deux. Ses chefs-d'œuvre sont les Philippiques, les Olynthiennes, et le Discours sur la Couronne, le premier de tous les monuments de l'éloquence antique. Nous avons, en outre, soixante-cinq exordes ou introductions que Démosthène avait composés pour s'en servir dans l'occasion'.

Aux noms de ces orateurs il faudrait ajouter ceux

1. Un des membres les plus distingués de l'Université, M. Stiévenart, doyen de la faculté des lettres de Dijon, a publié une traduction complète de Démosthène. Ce travail considérable recommande également l'helléniste et l'écrivain. Il est juste de signaler aussi, parmi les travaux récents sur Eschine et Démosthène, la belle traduction des deux Discours sur la couronne, par M. Plougoulm.

d'un grand nombre d'orateurs secondaires dont les discours ne nous sont pas parvenus. Citons seulement CALLISTRATE, dont les succès déterminèrent la vocation oratoire de Démosthène; DÉMADE, le type de l'orateur démagogue, qui, de matelot et de marchand de poisson, devint orateur populaire aux gages de Philippe de Macédoine; PHOCION (400317 av. J. C.), qui fut incorruptible dans le parti opposé à Démosthène, et que celui-ci appelait la hache de ses discours, tant le laconisme de son langage et la simplicité de ses arguments avaient de puissance.

Après la chute de la liberté, l'éloquence politique brilla encore un instant, mais d'un éclat trompeur, avec DÉMÉTRIUS DE PHALÈRE, qui, sous le patronage des Macédoniens, gouverna en qualité d'archonte (316 av. J. C.) pendant quelques années les Athéniens, que charmaient la grâce abondante de ses paroles et la douceur de son administration. On lui éleva même trois cents statues, dont pas une ne demeura debout après sa chute. Vainçu par Démétrius Poliorcète, il s'était réfugié en Égypte, où il fut bien accueilli; mais après la mort de Ptolémée Soter, Ptolémée Philadelphe le relégua dans la haute Égypte (285 av. J. C.). Là, pour échapper à l'ennui de l'exil, il se donna la mort, Avec lui se termine la série des orateurs politiques.

Troisième époque. Les rhéteurs profanes. Les
apologistes chrétiens.

(324 av. J. C. 306 ap. J. C.)

Sous les successeurs d'Alexandre, l'éloquence bannie de la place publique, se réfugia dans les écoles, et ce fut de celle qu'Eschine exilé fonda à Rhodes que sortit l'éloquence déclamatoire qui suc

céda à la mâle vigueur des orateurs attiques. Transitus vero fuit, dit Quintilien, ab attica ad asiaticam eloquentiam per rhodios oratores. A cette époque, la rhétorique ambitieuse succède à la grande éloquence. Les maîtres donnent à leurs disciples. tantôt des sujets historiques, tantôt des causes. imaginaires à développer, et ils autorisent, par leurs préceptes comme par leurs exemples, une phraséologie sonore et vide, revêtue d'images éclatantes, propre à charmer l'oreille sans éclairer ni nourrir l'intelligence. Ces exercices oratoires n'ont pas laissé de traces.

Dans le premier siècle de l'ère chrétienne, les rhéteurs grecs prirent faveur sous le nom de sophistes. Des écoles s'ouvrirent à Rome, et nous voyons, sous Tibère, un certain LESBONAX dont il nous reste deux déclamations qui peuvent donner une idée des études oratoires à cette époque : l'une d'elles s'adresse aux Athéniens pour les engager combattre les Lacédémoniens.

Le plus célèbre de ces rhéteurs est, sans contredit, DION CHRYSOSTOME, qui vécut sous Vespasien, Titus, Domitien, Nerva et Trajan. Dion fut un homme de cœur, dévoué aux intérêts de sa patrie adoptive, et plein des souvenirs républicains de Rome et d'Athènes. Il osa conseiller à Vespasien de quitter l'empire. Proscrit par Domitien, il erra à travers la Mésie, la Thrace et la Scythie, déguisant son nom et vivant du travail de ses mains. Il s'était fixé chez les Gètes, où il vivait obscurément, lorsqu'à la nouvelle de la mort de Domitien il pénétra dans le camp de l'armée romaine, et détermina les soldats déjà mutinés à rentrer dans l'ordre et à proclamer Nerva empereur. Dion avait composé un grand nombre de dissertations et de discours, dans lesquels se reflète l'éloquence antique avec l'élévation des idées et la noblesse du langage. Il a pris

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