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Époques de l'histoire de l'éloquence grecque.

L'histoire de l'éloquence grecque peut se partager en quatre époques distinctes.

Les Solon, les Pisistrate, les Thémistocle, furent d'habiles orateurs avant qu'Empédocle, Corax et Tisias eussent donné les règles de l'éloquence, et ils n'avaient pas attendu pour bien parler que les Gorgias, les Protagoras et les Prodicus vinssent étonner, à côté d'eux, et séduire Athènes en déployant tous les artifices de la rhétorique. L'éloquence de ces hommes d'État ne nous est connue que par ses résultats politiques, nous n'avons le texte d'aucun de leurs discours. Mais les rhéteurs nous ont laissé quelques-uns de leurs ouvrages, seuls monuments écrits de la première époque de l'éloquence chez les Grecs.

La seconde époque s'ouvre avec Périclès et se ferme avec Démosthène; elle embrasse les cent vingt-six années qui s'écoulèrent depuis le commencement de la guerre du Péloponnèse (450 av. J. C.) jusqu'à la fin du règne d'Alexandre (324 av. J. C.). Les dangers que court l'indépendance de la Grèce et le patriotisme de ses orateurs sont les ressorts de l'éloquence, qui atteint alors sa perfection, C'est pendant cette période, qui est celle de dix orateurs attiques, que brillent, à côté de Démosthène, les Eschine, les Lysias, les Hypéride, les Isocrate, qui avaient eu pour devanciers les Périclès et les Alcibiade.

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Dans la troisième époque, qui s'étend de la mort d'Alexandre à l'avénement de Constantin (324 av. J. C. 306 ap. J. C.), la ruine de la liberté et la chute de l'indépendance font succéder la déclamation à l'éloquence. La tribune politique d'Athènes est muette, et la parole déclamatoire de la

II. Littérature.

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Grèce dégénérée retentit surtout dans les écoles des rhéteurs. Le faux goût des Asiatiques, plus soucieux des périodes sonores que de la force des pensées, précipite cette décadence qu'amenait nécessairement l'influence des causes morales. C'est un second avénement de rhéteurs et de sophistes, dont le talent, n'ayant à s'exercer que sur la théorie de l'art ou sur des sujets d'importance secondaire, dissimule, par l'éclat et l'abondance des mots, le vide et la stérilité des pensées. Toutefois les premiers Pères de l'Église, qui se produisent pendant cette période, relèvent déjà l'éloquence, qui va prendre un nouvel essor sous les Pères dogmatiques. Même parmi les païens tout n'est pas à dédaigner Dion Chrysostome, Lucien et Longin, à des titres divers, occupent une place honorable dans l'histoire des lettres.

:

Une révolution morale était nécessaire au retour de la véritable éloquence; la propagation du christianisme en fut la cause et le signal. Ce n'est pas le salut ou la grandeur des républiques qui inspire les orateurs, c'est un intérêt plus élevé : l'humanité tout entière est en cause dans ses rapports avec Dieu. Les chrétiens défendent la doctrine qu'ils ont reçue du législateur divin contre les imputations calomnieuses des païens et des philosophes; ils l'exposent dans sa simplicité sublime pour vaincre la résistance des peuples. Les développements de l'éloquence chrétienne inaugurée pendant les siècles précédents forment, à dater du quatrième siècle (306 ap. J. C.), la quatrième époque, illustrée par des chefs-d'oeuvre. Les Grégoire de Nazianze, les Basile, les Chrysostome, que l'Église a placés au rang des saints, donnent des rivaux de génie aux orateurs profanes de l'antiquité, et ils ont sur eux l'avantage d'avoir proclamé des vérités impéris

sables.

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L'éloquence, qui fit une partie de la force de Solon, de Pisistrate, d'Aristide et de Thémistocle, n'a pas laissé de monuments; mais son influence est attestée par l'histoire. Les Athéniens n'auraient pas accueilli avec tant de faveur les rhéteurs et les sophistes venus de la Sicile, si ces habiles artisans de paroles n'eussent annoncé des méthodes propres à donner plus de force à cette puissance oratoire qui dominait déjà les esprits.

Le plus célèbre des rhéteurs, GORGIAS de Léontium, venu à Athènes pour plaider la cause de ses compatriotes contre les Syracusains, séduisit l'assemblée du peuple par l'harmonie de ses paroles. Les Léontins lui dressèrent des statues en récompense du service qu'il leur avait rendu; mais il s'établit à Athènes, où il ouvrit une école. Gorgias est regardé comme l'inventeur de la période : ce fut lui qui enseigna l'art de mesurer, de symétriser les membres des phrases et de les terminer harmonieusement. Les seuls ouvrages qui nous restent de Gorgias, l'Éloge d'Hélène et l'Apologie de Palamède, ne justifient pas l'enthousiasme de la Grèce; mais il serait injuste d'apprécier son talent sur des compositions d'école, puisqu'il avait traité des sujets plus importants.

ALCIDAMAS, d'Élée en Éolie, disciple de Gorgias, acquit à Athènes un certaine considération par l'enseignement de la rhétorique. Il nous reste de ce rhéteur deux morceaux, savoir: un Discours d'Ulysse contre Palamède, déclamation sophistique, et un Discours contre les sophistes. Sans doute, le premier de ces discours fut composé pour l'école, et le

second contre l'abus des enseignements de l'école : la contradiction n'est qu'apparente.

PROTAGORAS d'Abdère, disciple du philosophe Démocrite et contemporain de Gorgias, fit de la sophistique une école publique de corruption et une source de richesses. Il mit à haut prix ses funestes leçons, et il eut de nombreux élèves. Il enseignait que rien n'est ni vrai ni faux, et que tout peut se prouver. Après une longue impunité, il fut banni d'Athènes et ses livres condamnés au feu. Sa vieillesse, opulente et méprisée, trouva un asile en Sicile, berceau de l'art qui l'avait enrichi et diffamé. II y mourut à l'âge de quatre-vingt-un ans. Il avait commencé par être portefaix.

PRODICUS de Cos, élève de Protagoras, suivit les traces de son maître. Il compta au nombre de ses auditeurs Socrate, qui devait le réfuter, le poëte Euripide, Théramène, l'un des trente tyrans, l'orateur Isocrate. Accusé de corrompre la jeunesse, il fut mis à mort par les Athéniens. C'est cependant à lui qu'on doit la belle allégorie du jeune Hercule entre les séductions de la Volupté et les austères conseils de la Vertu, heureuse image de la jeunesse qui ne peut parvenir à la gloire que si, résistant aux attraits du plaisir, elle marche d'un pas assuré dans le rude sentier du devoir.

Deuxième époque. Les orateurs attiques.

(450-324 av.

J. C.)

Avant de parler des dix orateurs attiques qui pratiquèrent l'éloquence judiciaire et l'éloquence politique, il faut dire quelques mots des hommes d'État qui exercèrent une grande influence par le talent de la parole. L'éloquence de PERICLES était irrésistible; suivant Aristophane, elle ébranlait la Grèce et produisait les effets de la foudre :

Ici de Périclès

La voix, l'ardente voix, de tous les cœurs maîtresse,
Frappe, foudroie, agite, épouvante la Grèce 1.

« Quand je l'ai terrassé, disait l'orateur Thucydide, fils de Milésius, et que je le tiens sous moi, il prétend que je ne l'ai pas vaincu, et il le persuade à tout le monde. » La peste d'Athènes emporta ce grand homme, qui seul eût pu faire triompher ses concitoyens dans la guerre où il les avait engagés. ALCIBIADE, NICIAS, et après eux, deux des trente tyrans, CRITIAS et THÉRAMÈNE, mêlèrent l'éloquence à l'administration des affaires publiques. L'historien Thucydide ne nous a pas donné le texte des discours de Périclès et d'Alcibiade, mais il est probable qu'il en a donné la substance; et d'ailleurs son témoignage atteste le pouvoir de leur parole sur l'esprit du peuple athénien.

Les dix orateurs attiques sont Antiphon, Andocide, Lysias, Isocrate, Ísée, Lycurgue, Hypéride, Dinarque, Eschine et Démosthène,

ANTIPHON, de Rhamnus en Attique, né 479 ans avant J. C., ouvrit à Athènes une école de rhétorique et fut le maître de Thucydide. Pendant la guerre du Péloponnèse, il fut chargé plusieurs fois de commander des corps de troupes athéniennes. Il fut le promoteur de la révolution qui établit à Athènes l'oligarchie des Quatre-Cents. Membre de ce gouvernement, envoyé à Sparte pour y négocier la paix, Antiphon ne réussit pas dans cette ambassade accusé de trahison, il fut condamné à mort. Antiphon composait à prix d'argent des discours que les accusés prononçaient eux-mêmes. Il nous reste

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1. André Chénier, dans ce passage, traduit Aristophane :
Εντεῦθεν ὀργῇ Περικλέης Οὐλύμπιος,
Ηστραπτο, ἐβρόντα, ξυνεκύκα τὴν ̔Ελλάδα.

(Acharn., v. 54.)

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