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personne de Socrate, qui fut leur disciple avant de devenir leur adversaire; les Guêpes sont dirigées contre les tribunaux et la manie de juger, qui faisait d'Athènes un tribunal en permanence'. Les Oiseaux, dont le but général est douteux, contiennent des scènes plaisantes dirigées contre les poëtes, les astronomes et les gens de police, que le principal personnage de la pièce, Pisthétère, chasse brutalement de la ville aérienne qui a reçu de son fondateur le nom de Néphélococcygie. Dans les Femmes célébrant les mystères de Cérès, Aristophane a l'air de défendre les femmes contre Euripide. Les Grenouilles sont dirigées contre les poëtes tragiques qui, depuis la mort d'Eschyle et d'Euripide, ne font plus que coasser au lieu de chanter. Bacchus descend aux enfers pour en ramener Euripide; mais il pèse dans la même balance Eschyle, qui se trouve de meilleur poids, et il lui donne la préférence. Plutus tourne en ridicule l'avarice et la corruption des Athéniens et prépare la comédie de mœurs.

L'ancienne comédie périt avec la liberté sous la domination de trente tyrans, après la guerre du Péloponnèse. Horace a été bien sévère lorsqu'il a dit :

Turpiter obticuit sublato jure nocendi.

Le droit de tout dire n'est pas seulement le droit de nuire, mais celui d'être utile. La comédie personnelle n'était pas toujours un scandale; elle était quelquefois un frein salutaire, et Aristophane en avait fait du moins, dans l'impuissance des lois, le châtiment public des corrupteurs et des charlatans.

La comédie moyenne eut moins d'éclat; elle est représentée par ANTIPHANE de Rhodes, qui, à défaut

1. Aristophane s'est moqué ailleurs de cette manie. Dans les Nuées, on montre à Strepsiade une carte d'Athènes : « Ce n'est pas Athènes, dit le vieil imbécile, je ne vois pas les juges sur leurs siéges. »

d'autre mérite, eut celui d'une prodigieuse fécondité, puisqu'il composa, dit-on, environ deux ou trois cents comédies, dont il ne nous est rien parvenu. On a conservé quelques fragments d'ALEXIS, poëte de la même époque, également fécond et médiocre. Il avait composé deux cent quarante-cinq pièces de théâtre.

Quoique, dans l'ordre des temps, la comédie nouvelle se rapporte à la quatrième des époques établies par M. Schoell dans la division que nous avons suivie, nous la plaçons ici pour ne pas démembrer cette esquisse de l'histoire de la comédie.

La comédie nouvelle ne fut ni politique comme l'ancienne, ni allégorique comme la moyenne; elle essaya de peindre les mœurs réelles et les caractères dans le développement d'une fable vraisemblable. C'est à ce genre que se rattache la comédie moderne. La comédie nouvelle est surtout dans Ménandre, et Ménandre ne nous est connu que par des fragments. La perte de ses comédies est à jamais regrettable, car tous les critiques de l'antiquité louent dans ce poëte le charme du style et la vérité des peintures. C'est sur la foi de ces témoignages que Boileau a dit :

La comédie apprit à rire sans aigreur,

Sans fiel et sans venin sut instruire et reprendre,
Et plut innocemment dans les vers de Ménandre.

On peut prendre une assez juste idée des pièces de Ménandre dans celles de Térence, qui a imité le poëte grec. Mais l'action dans Ménandre était d'une plus grande simplicité, car le poëte latin mêle la matière de deux comédies de son modèle pour en former une fable unique. C'est sans doute pour cela que César appelait Térence un demi-Ménandre: dimidiale Menander.

MÉNANDRE, né à Athènes (342 av. J. C.) et mort l'an 293, étudia la philosophie sous Théophraste, auteur des Caractères, et fut à bonne école pour apprendre à peindre les mœurs. Il avait vingt-trois ans lorsque sa première comédie fut représentée; il en composa, suivant les uns, quatre-vingt, d'autres disent cent huit. On sait le titre du plus grand nombre de ces pièces. Les courts fragments que nous connaissons sont des modèles de cette grâce et de cette pureté attiques que Térence a reproduites dans une langue moins favorisée'.

Parmi les trente-deux poëtes comiques de cette époque, on peut citer avec honneur: PHILEMON, qu'on opposait à Ménandre, et que la cabale ou le mauvais goût lui fit souvent préférer (il nous reste de ce poëte quelques fragments qui ont été recueillis et imprimés avec ceux de Ménandre); PHILIPPIDE d'Athènes, qui a composé quarante-cinq comédies; DIPHILE de Sinope, dont on a vanté la douceur; et deux poëtes du nom d'APOLLODORE.

Quatrième époque. — Époque alexandrine.
(335-146 av. J. C.)

La quatrième époque prend le nom d'alexandrine, parce que le principal foyer de la littérature fut Alexandrie, en Egypte. Protégée par les Ptolémées, elle refléta en l'affaiblissant la lumière de la poésie athénienne. La recherche et l'affectation déparent le plus grand nombre de ses œuvres. Différents genres y furent cultivés, mais l'élégie, l'idylle et la poésie didactique ont seules laissé des modèles.

1. On peut se faire une juste idée du génie de Ménandre dans l'étude que lui a consacrée M. Benoit, doyen de la faculté des lettres de Nancy. Ce morceau remarquable, couronné par l'Académie française, a partagé le prix avec le savant et spirituel ouvrage de M. Guillaume Guizot.

Genre dramatique. La tragédie de cette époque, destinée à l'école et non au théâtre, est empreinte de déclamation. Les poëtes qui la cultivèrent forment ce qu'on appelle la pléiade tragique, composée d'ALEXANDRE l'Etolien, de PHILISCUs de Corcyre, de SOSITHÉE, d'HOMÈRE le jeune, d'ANTIDE, de SOSIPHANE et de LYCOPHRON. Ce dernier est le seul qui se soit fait un nom, et ce nom désigne l'obscurité du langage.

LYCOPHRON de Chalcis, qui vivait à la cour de Ptolémée Philadelphe, composa de prétendues tragédies et quelques drames satyriques. Le seul poëme qui nous reste de lui, intitulé Cassandra, monologue de quatorze cent soixante vers ïambiques, dans lequel la fille de Priam prédit à son père les malheurs qui menacent les Troyens, est une longue énigme à peu près impénétrable, où le poëte obscurcit à dessein sa pensée par des périphrases inintelligibles et des allusions insaisissables'. Ces écrits étaient sans doute destinés à exercer la pénétration des jeunes gens; mais l'exercice est trop violent, la gymnastique trop rude, et on court risque, à ce métier, de tuer les intelligences qu'on prétend fortifier.

On cite, à cette époque, des pièces qu'on appelle silles, espèces de parodies satyriques dans lesquelles on détournait en personnalités des passages d'auteurs connus. TIMON de Phlionte, disciple du philosophe Pyrrhon, acquit de la célébrité dans ce genre. Le genre satyrique devint en même temps une arme pour la satire personnelle 2.

1. Un habile helléniste, écrivain distingué, M. Dehèque, est parvenu à introduire quelque lumière dans les ténèbres de Lycophron, par une traduction qui est un monument de courage et de sagacité.

2. Remarquons en passant la différence d'orthographe entre les satyres, poëmes dramatiques, et la satire proprement dite. Le premier nom est tiré des satyres, divinités fabuleuses; le second vient du latin satura, qui veut dire mélange.

Deux poëtes comiques, MACHON de Sinope et ARISTONYME, parurent, le premier sous Ptolémée Évergète et le second sous Philopator.

Genre didactique. Le progrès des sciences et l'affaiblissement de l'inspiration poétique développèrent le genre didactique. Le plus célèbre des poëtes qui prirent alors la science pour muse est ARATUS de Soles, qui fleurit (250 av. J. C.) à la cour d'Antigone Gonatas, roi de Macédoine. Le poëme des Phénomènes et des Signes, que nous possédons, n'est pas sans mérite, et il était célèbre dans l'antiquité. Cicéron l'a traduit en vers latins, et, après lui, Germanicus et Rufus Aviénus reproduisirent le poëme d'Aratus; Virgile, Ovide, Manilius et Stace n'ont pas dédaigné de lui faire de nombreux emprunts. Ce poëme se divise en deux parties qui répondent à son double titre : la première décrit les phénomènes célestes elle est purement astronomique; la seconde est astrologique : elle tire de l'observation des phénomènes des inductions pour la connaissance de l'avenir. On vante l'élégance de style d'Aratus, et plusieurs passages de son poëme, surtout dans la seconde partie, révèlent un poëte véritable.

:

NICANDRE de Colophon, poëte, grammairien et médecin, peut être mis à la suite d'Aratus; il avait composé des Géorgiques, qui n'ont pas été inutiles à Virgile, et des Métamorphoses dont Ovide a profité.

Genre élégiaque et lyrique. CALLIMAQUE de Cyrène, qu'on désigne souvent sous le nom patronymique de Battiade, né 260 ans avant J. C., acquit la faveur de Ptolémée Philadelphe à Alexandrie, où il avait d'abord enseigné la grammaire. Ce poëte manque d'inspiration et de chaleur; mais il brille par un art ingénieux. La plus célèbre de ses élégies

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