Page images
PDF
EPUB

On sait quelle grande querelle suscita le sonnet d'Uranie comparé au Job de Benserade '. Voiture a surtout brillé dans le genre épistolaire. Il était le héros de l'hôtel de Rambouillet, berceau des Précieuses et rendez-vous des beaux esprits du temps, cercle galant et moral où l'art de la conversation se signalait par la recherche aux dépens du naturel. On a dit trop de mal de cette société célèbre, qu'on avait trop vantée et trop imitée. SARRASIN (16041664), comme bel esprit, fut le rival de Voiture, qu'il surpassa comme poëte. Il a réussi dans l'ode et dans le poëme badin; sa prose est élégante et correcte. A côté de ces beaux esprits maniérés, un artisan né poëte, le menuisier de Nevers, ADAM BILLAUT (mort en 1662), connu par ses chevilles, a composé sans art et avec verve quelques chansons bachiques qu'on n'a pas oubliées.

A côté de Malherbe et dans un camp littéraire opposé, MATHURIN REGNIER (1575-1613), de Chartres, neveu de Desportes, fut le rival des poëtes de l'antiquité dans le genre satirique :

Régnier, seul parmi nous formé sur ces modèles,
Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles.
BOILEAU.

Ce vieux style de Régnier est toujours jeune, parce qu'il est franc et vigoureux. Le chef-d'œuvre de Régnier est Macette, cette vieille hypocrite, aïeule de Tartufe et rivale de son petit-fils. Cette satire dont Ovide a fourni le cadre, écrite de verve, avec pureté, est un des beaux monuments de notre langue: elle était en germe dans la seconde partie du Roman de la Rose.

1. Benserade est un poëte maniéré qui a souvent du trait, de la finesse et quelquefois de la délicatesse. Il continue sous Louis XIV l'affectation de l'hôtel de Rambouillet. Benserade a mis en rondeaux les Métamorphoses d'Ovide : ce fut l'écueil de sa réputation, jusqu'alors brillante et méritée. Il est mort en 1691.

II. Littérature.

b 8

Dans cette période féconde qui précède le siècle de Louis XIV, le théâtre, après des essais plus ou moins heureux, devient, sous le patronage de Richelieu, la principale gloire littéraire de la France. Pendant les premières années du dix-septième siècle, ALEXANDRE HARDY (mort en 1630) régna sans partage sur la scène : auteur, acteur, directeur de troupe, il rendit de très-grands services; mais il avait plus de fécondité que de talent, et les pièces qu'il nous a laissées ne sont plus qu'un objet de curiosité. Ses tragédies, empruntées la plupart, pour le sujet, à l'histoire héroïque des Grecs, ne valent pas ses pastorales, dans lesquelles il imitait l'Italie. Le seul mérite sensible aujourd'hui dans ces compositions est la surprenante richesse des rimes. THÉOPHILE, qui balança quelque temps la gloire poétique de Malherbe, avait de la verve; mais, négligé et emphatique, on ne le connaît guère que par l'apostrophe ridicule de Thisbé au poignard de Pyrame. Il y a cependant des traits de sentiment dans cette tragédie de Pyrame et Thisbé et quelques belles strophes dans ses odes. Il expia cruellement la licence de ses mœurs et de quelques poésies.

MAIRET (1604-1686) et ScudÉRI (1601-1664) ne sont pas tout à fait dépourvus de mérite, et ils réussirent avant Corneille et à côté de lui. Toutefois, pour la postérité, Corneille seul demeure, parce qu'il fut poëte et grand écrivain.

PIERRE CORNEILLE (1604-1684) fut pour le théâtre ce que Malherbe avait été pour le genre lyrique. Il n'y a plus rien à dire sur les chefs-d'œuvre de ce puissant génie, qu'on n'a pas surpassé. Le Cid a

1. La Sophonisbe de Mairet est la première tragédie française où les règles soient observées; elle a eu beaucoup de succès. Scudéri balançait la popularité de Corneille on applaudissait son Amour tyrannique (1638) en même temps que le Cid. On trouve dans les pièces de Scudéri des vers bien frappés et quelques situations dramatiques.

fixé la langue de la tragédie; le Menteur a créé celle de la comédie. Corneille a peint l'héroïsme sous toutes ses faces, et il n'y a pas une âme élevée dont il n'ait fortifié la vertu et trempé le caractère. On peut dire que l'admiration pour Corneille élève le niveau de la morale publique. Horace, Polyeucte et Nicomède, pour ne pas parler de ses autres chefsd'œuvre, Cinna, Rodogune, la Mort de Pompée, Heraclius, forment un cours de morale héroïque qui n'a pas été sans influence sur la société '. Corneille a fait avec une noble sincérité l'examen critique de ses pièces de théâtre. Sa traduction de l'Imitation n'est pas partout au-dessous de son génie, dont la décadence n'est complète que dans ses dernières tragédies.

Le Venceslas de ROTROU (1609-1650) appartient à la même époque : c'est un reflet du génie de Corneille. Le Saint Genest de ce poëte est encore digne d'attention. Ses comédies, qui sont nombreuses, n'ont pas été inutiles à Molière, qui y a repris une partie de son bien.

Les autres poëtes dramatiques de ce temps, L'ÉTOILE, COLLETET, TRISTAN L'HERMITE, et BOISROBERT, spirituel bouffon de Richelieu, n'ont rien laissé de durable. L'Agrippine de CYRANO DE BERGERAC renferme quelques scènes énergiques qu'on lit avec étonnement. Son Pédant joué, amusante bouffonnerie écrite en prose, a été sauvé de l'oubli par le double emprunt que Molière n'a pas dédaigné de lui faire pour égayer les Fourberies de Scapin.

L'époque de Richelieu fut témoin de tentatives épiques trop considérables pour qu'on n'en signale pas au moins les avortements. L'Alaric de SCUDERI est une verbeuse et fougueuse improvisation où l'on

1. On peut voir sur Corneille, outre la Notice de Fontenelle et le Commentaire de Voltaire, le Cours de Littérature de La Harpe, l'Éloge de Victorin Fabre.

rencontre quelques vers heureux et d'habiles descriptions à côté de monstrueuses platitudes. La Pucelle de CHAPELAIN (1595-1674), si lentement élaborée, si durement martelée, a laissé dans la mémoire des gens de goût une ou deux belles comparaisons et une magnifique description du paradis chrétien. Le Moïse sauvé de SAINT-AMANT n'est pas une épopée, mais une idylle biblique d'un style baroque et maniéré, sans unité ni intérêt, où cependant on trouve par intervalles de beaux vers et des tableaux animés. Le Clovis de DESMARETZ DE SAINT-SORLIN est la plus insipide et n'est pas la moins longue de toutes ces épopées. Ce poëte bizarre s'imagina que Dieu lui avait dicté les derniers chants de son poëme. Avant de devenir visionnaire, Desmaretz avait composé la comédie des Visionnaires, caricature qui parut assez amusante et qui n'est pas mal versifiée. On a de lui un joli madrigal sur la Violette. Le père LEMOYNE (1602-1671), que Boileau a épargné, a laissé quelques morceaux remarquables dans son Saint Louis, composition inégale qu'on a l'air d'estimer encore et qu'on ne lit plus. Če poëme, qui dénature par une fable romanesque un sujet vraiment héroïque, est mortellement ennuyeux le style, hérissé d'antithèses et de métaphores ambitieuses, fait payer chèrement les rares beautés qu'on y ren

contre.

Ces poëtes, «< trébuchés de si haut, »> nous conduisent naturellement à SCARRON (1610-1660), inventeur du genre burlesque ', dont il est resté le modèle. Scarron réussit aussi au théâtre par des comédies bouffonnes que Molière a fait oublier.

1. On peut voir sur le burlesque et l'Enéide travestie un passage de la première partie de cet ouvrage, page 58.

Cinquième époque. -Boileau, Racine (siècle de Louis XIV).

[blocks in formation]

La cinquième époque s'ouvre sous les auspices de BOILEAU, dont les satires font justice des poëtes qui avaient précédé, et qui, s'écartant de la route tracée par Malherbe, avaient introduit la recherche et l'affectation dans des compositions frivoles ou follement ambitieuses. Boileau balaya le terrain, et son influence ramena au bon goût les auteurs et le public. Cette grande époque, le siècle de Louis XIV, fut illustrée par quatre poëtes de génie, les vrais classiques de notre littérature, Molière, Racine, La Fontaine et Boileau, auxquels il faut ajouter, dans un rang inférieur, J. B. Rousseau, qui continue, sur la limite de deux époques, la tradition des maîtres.

Entre les quatre grands poëtes qui immortalisent le siècle de Louis XIV, il est difficile et heureusement inutile de décider. Si on considère le génie, la première place revient à Molière; si c'est la perfection des œuvres, elle appartient à Racine; le goût et l'influence la donnent à Boileau; et si on se détermine par une sympathie qu'il est doux de suivre, on se rangera du côté de La Fontaine. Quoi qu'il en soit, ce concours d'écrivains, entre lesquels hésite l'admiration, marque l'époque la plus brillante de notre histoire littéraire.

Parlons d'abord de BOILEAU DESPRÉAUX (16361711), puisqu'il fut, dans son temps, l'oracle et le législateur de la poésie; quelques dates établiront l'ordre des temps: quant aux genres, il sera facile de les reconnaître chemin faisant, par le titre des ouvrages.

L'enfance et l'adolescence du jeune Despréaux furent assez maussades: les soins d'une mère, si

« PreviousContinue »