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III.

Historiens, moralistes et écrivains divers.

Pendant plusieurs siècles, le seul historien de Rome fut le grand pontife, qui inscrivait sur des tables de bois, année par année, sinon jour par jour, comme le veut le grammairien Servius, tous les faits dignes d'être conservés. Ces tables étaient exposées dans la maison du pontife, afin que le peuple pût les consulter. Ces documents historiques sont connus sous le nom d'Annales des pontifes. M. Le Clerc les définit ainsi : « Les Annales des pontifes étaient des espèces de tables chronologiques, tracées d'abord sur des planches de bois peintes en blanc et où le grand pontife, peut-être depuis le premier siècle de Rome, mais au moins depuis l'an 350 jusqu'à 623 ou peu de temps après, indiquait, année par année, d'un style bref et simple, les événements publics les plus remarquables'. >>

Le premier historien latin est FABIUS PICTOR, qui vivait pendant la seconde guerre punique, et dont les historiens postérieurs citent souvent les Annales. Ces citations ont transmis jusqu'à nous quelques fragments de cet auteur. Après lui, CATON le censeur publia son ouvrage des Origines, qui comprenait sept livres, malheureusement perdus il n'en reste que des passages peu étendus. La même époque produisit un grand nombre d'historiens et d'annalistes dont les noms seuls nous sont parvenus. La perte la plus regrettable est celle des Mémoires que Sylla avait écrits sur sa vie.

1. On peut consulter, sur les origines de l'histoire romaine, l'ouvrage de M. Le Clerc Des Journaux chez les Romains. On sait que ce livre est un des plus beaux monuments de l'érudition moderne.

Maintenant nous avons à citer de grands noms et des œuvres immortelles.

JULES CÉSAR (100-44 av. J. C.) s'est placé au premier rang des historiens latins en ne croyant écrire que des mémoires. Il a mis dans ses Commentaires sur les guerres des Gaules et sur les guerres civiles, écrits sans apprêt, et, pour ainsi dire, au cours de ses victoires, la supériorité de son génie. La clarté, la rapidité, l'héroïque simplicité de la narration, l'exactitude des détails stratégiques, font de ces mémoires le plus précieux monument de l'histoire romaine. Il a fallu, pour qu'on eût quelque chose à comparer aux Commentaires de César, que le plus grand capitaine des temps modernes dictât à son tour le récit de ses campagnes d'Italie. Le même génie a reproduit le même style.

Le premier des grands historiens latins dans l'ordre des dates, après César, est C. SALLUSTE', qui avait composé une Histoire romaine depuis Sylla jusqu'à la conjuration de Catilina; nous possédons de cet ouvrage quelques discours admirables. La Guerre de Jugurtha et la Conjuration de Catilina sont des ouvrages du premier ordre : la clarté du récit, l'éloquence des discours, la beauté des portraits, l'élévation des sentences morales, l'énergie et la pureté du style, expliquent le jugement de Martial sur cet écrivain :

Primus romana Crispus in historia.

Il est fâcheux que la pure et sévère morale exprimée dans les ouvrages de Salluste n'ait pas été la règle de sa vie.

La chronologie amène, à côté de César et de Salluste, CORNELIUS NÉPOS, ami de Cicéron, de Catulle

1. Crispus Sallustius, né à Amiterne 85 ans avant J. C.

et d'Atticus. Nous ne pouvons pas le juger comme historien, puisque les Annales qu'il avait composées ne nous sont pas parvenues; ses Vies des grands capitaines lui assurent un rang élevé parmi les biographes. Cornélius Népos écrit avec élégance et pureté; mais on a relevé dans ses récits de graves inexactitudes.

TITE-LIVE, né à Padoue 59 ans avant J. C., consacra plus de vingt ans à la composition de sa grande Histoire romaine. Ce beau monument élevé à la gloire de Rome nous est arrivé mutilé par le temps. Des cent quarante livres qu'il contenait, nous n'en possédons que trente-cinq, dont le rare mérite redouble les regrets qu'inspire la perte des autres. Tite-Live sait donner aux événements un intérêt dramatique; il met en scène les héros de son histoire, et les discours qu'il leur prête sont des modèles de convenance et d'éloquence. Son style, abondant et précis, a du nerf et de la couleur. Nous ne savons sur quelles parties porterait le reproche de patavinitě, si Pollion l'adressait à ce style qui nous paraît irréprochable '. L'accusation qui repose sur une trop grande facilité à accueillir des faits merveilleux est mieux fondée; mais Tite-Live les admet comme traditions accréditées et à titre d'ornements. Nous n'avons pas le courage de blâmer sa partialité en faveur des Romains; car ce sentiment fait l'unité de son œuvre, et il lui a donné l'ardeur nécessaire pour accomplir cet immense travail2. TROGUE POMPÉE, contemporain de Tite-Live, est

1. On a dit, non sans vraisemblance, que ce grief porte sur les opinions de Tite-Live resté fidèle aux souvenirs de la république et à la mémoire de Pompée qui conservait encore, sous Auguste, de nombreux partisans à Padoue.

2. Tite-Live a été traduit en grande partie, avec talent, par M. Liez, professeur distingué et habile administrateur, dont l'Université a déploré la mort prématurée; voyez la Bibliothèque latine publiée par C. L. F. Panckoucke.

placé par les anciens au rang des grands historiens. Malheureusement son Histoire universelle, qui comprenait quarante-quatre livres, ne nous est connue que par l'abrégé de JUSTIN', travail qui manque de critique et de proportion. Il est vraisemblable que cet abrégé, dont le style est inégal, contient, dans ses parties les plus estimées, des fragments assez étendus de l'ouvrage même de Trogue Pompée.

C. VELLÉIUS PATERCULUS, né 19 ans avant J. C., se distingua dans les armées avant d'écrire l'histoire. Il accompagnait Tibère dans ses expéditions en Germanie, en Pannonie et en Dalmatie. Il resta attaché à ce prince, et continua de le louer lorsque les vices et les cruautés de l'empereur eurent souillé les exploits du guerrier. On pense que Velléius, impliqué dans la disgrâce de Séjan, fut mis à mort avec les autres amis du ministre de Tibère. Son précis d'histoire universelle offre de grandes beautés. Velléius aime à tracer des portraits, qu'il dessine avec énergie; son récit abonde en réflexions judicieuses et profondes, et il serait un excellent moraliste s'il n'avait pas, dans l'illusion de son dévouement, atténué les torts de Tibère et de Séjan. On peut dire à sa décharge que, suivant Tacite luimême, l'impénétrable Tibère ne se démasqua complétement qu'après la mort de Séjan. L'histoire de Velléius est malheureusement mutilée.

VALÈRE-MAXIME, contemporain de Velléius, est moins un historien qu'un compilateur. Il a recueilli en dix livres les dits et faits mémorables tirés de l'histoire des différents peuples. Le caractère de cet écrivain et son talent inspirent peu d'estime; il flatte avec bassesse et compile sans discernement. Son unique mérite est d'avoir conservé quelques faits curieux.

De Valère-Maxime à Tacite, la transition est un

1. Justin vivait sous les Antonins.

peu brusque. Il est dur de placer à côté d'un compilateur vulgaire le plus éloquent et le plus profond des historiens.

TACITE (Caïus Cornélius Tacitus), né vers l'an 69 de J. C. à Intéramna, en Ombrie, d'origine plébéienne, s'éleva successivement jusqu'au consulat, qu'il obtint, en 87, sous le règne de Nerva. Il fut l'ami de Pline le jeune et le gendre d'Agricola. Nourri des souvenirs de la république, il vit avec une indignation contenue les restes de l'ancienne liberté périr sous la tyrannie de Domitien. Son indignation, qu'il concentra tout en prenant part aux affaires publiques, put s'exhaler lorsque, sous Nerva, il fut permis de penser ce qu'on voulait et de dire ce qu'on pensait1. La contrainte qu'il avait subie trempa plus fortement son génie, et donna dans son âme une énergie nouvelle au sentiment de la vertu. Quoiqu'il écrive librement, on sent que sa pensée a reçu sa forme dans une époque où elle était obligée de se cacher: c'est le principe de son énergie et de sa profondeur. On croit, en lisant Tacite, entendre les confidences intimes d'un homme de bien, indigné et prudent, qui frémit et se contient jusque dans les épanchements de l'amitié. On devait parler ainsi sous l'inspiration de la haine et dans la crainte des délateurs. Tacite, il faut s'en souvenir, n'a pas bravé la tyrannie qu'il a flétrie; il en a souffert davantage, et il la punit de l'avoir supportée. Un poëte, M. J. Chénier, l'a dit avec raison

:

Tacite en traits de flamme accuse nos Séjans, Et son nom prononcé fait pâlir les tyrans; mais sa présence ne les a pas intimidés, et il a préféré la vengeance au martyre.

Il nous reste de Tacite quatre ouvrages : le livre des Mœurs des Germains, tableau fidèle et satire

1. Rara temporum felicitate, ubi sentire quæ velis, et quæ sentias dicere licet. TACITE.

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