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vergogne, à la risée des spectateurs; le faisant expirer, en moraliste impitoyable, sous les coups d'un sanglant ridicule.

« Térence, c'est le poëte de la bonne compagnie, du beau monde, aimé des premiers rangs qu'il fait sourire, déserté de la foule dont il ne tient guère à provoquer la grosse gaieté; il ne peint que des vices aimables, d'intéressants désordres; il se complaît surtout dans la peinture naïvement élégante des affections les plus générales, les plus universelles du cœur humain, de celles qui résultent, pour l'homme, de la différence des sexes, de la diversité des âges, des rapports de famille. Le tableau des quatre âges, dans Horace, est comme une analyse du théâtre de Térence. Pour Plaute, je l'appellerais volontiers le Juvénal de Rome républicaine. >>

Immédiatement après Térence, qui, comme Plaute, avait laissé à ses personnages le costume grec, tout en peignant souvent les mœurs romaines, la comédie prit un caractère plus national, en recherchant ses modèles dans la société romaine; de palliata qu'elle était, elle devint togata, et elle eut pour principaux interprètes ATTA', que nous connaissons seulement par la mention qu'en fait Horace, et AFRANIUS 2, également cité par le satirique latin, et recommandé par les éloges que lui accorde Quintilien. Nous possédons quelques fragments d'Afranius.

Lorsque le goût frivole et fastueux des dernières années de la république eut arrêté l'essor de la comédie, on vit reparaître les Atellanes, canevas donnés par le poëte et brodés par les acteurs, petits drames plaisants et licencieux, ébauchés dans l'orgie. L. POMPONIUS et Q. NÉVIUS s'y firent un nom.

1. Nonius rapporte quelques vers isolés de ce poëte.
2. Le vers d'Horace sur Afranius est légèrement ironique :
Dicitur Afrani toga convenisse Menandro.

Les Mimes, genre analogue aux atellanes, envahirent surtout le théâtre, et se rapprochèrent par la liberté du langage de la comédie ancienne des Grecs. La satire politique y prit place à côté des sentences morales. Les maximes recueillies sous le nom de PUBLIUS SYRUS Sont tirées des mimes de ce poëte, qui se distingua au théâtre, du temps de Jules César, avec ce LABÉRIUS qui, forcé par l'autorité du dictateur de venir lui-même remplir un rôle dans une de ses pièces, déplora cette contrainte imposée à la vieillesse d'un chevalier romain, dans des vers admirables que Macrobe nous a conservés. Cnéius MATTIUS écrivit aussi des Mimiambes en vers scazons.

Genre épique. Les poëmes épiques de cette époque ont laissé peu de traces. Nous retrouvons dans ce genre les noms déjà illustrés par la tragédie ou la comédie. Livius Andronicus traduisait l'Odyssée; Cn. Névius composa, dans le mètre saturnin, le récit héroïque de la première guerre punique. Ennius surpassa ces essais par ses Annales romaines, épopée historique qui, remontant jusqu'au berceau de Rome, s'arrêtait à l'époque où vivait ce poëte. De nombreux fragments d'Ennius, malheureusement peu étendus, attestent une composition rude, mais vigoureuse.

Cicéron, dans sa jeunesse, composa sur les guerres de Marius un poëme héroïque dont nous possédons, entre autres fragments, une fort belle comparaison, que Voltaire a traduite. Plus tard. l'orateur romain célébra en vers son propre consulat. On serait tenté de croire que le vers rapporté par Juvénal:

O fortunatam natam me consule Romam1!

1. On a traduit ainsi ce vers ridicule :

O Rome fortunée

Sous mon consulat néo !

est une méchante invention du satirique, s'il n'était pas cité par le grave Quintilien. Plutarque traite favorablement les essais poétiques de Cicéron.

Genre satirique. Suivant Quintilien, la satire est d'origine romaine on en attribue l'invention à Ennius. Elle avait pour objet principal la censure des mœurs, et elle suppléait la comédie personnelle des Grecs, que la rigueur des lois romaines bannissait du théâtre. PACUVIUS entra dans la même voie, et il y fut suivi par LUCILIUS, qui surpassa ses devanciers. Ce poëte, né à Suessa 148 ans avant J. C., écrivit trente livres de satires, dont il nous reste des fragments. Comme écrivain, Lucilius est supérieur à Ennius et à Pacuvius. Cicéron l'estimait, et il a été loué par Quintilien. Horace, si sévère à l'égard des poëtes qui l'avaient précédé, mêle cependant quelques éloges aux reproches qu'il lui adresse:

Quum flueret lutulentus, erat quod tollere velles 2.

Après Lucilius, VARRON d'Atax, né dans la Gaule narbonnaise, tenta la satire sans y réussir beaucoup, si nous en croyons le témoignage d'Horace 3.

3

Marcus TÉRENTIUS VARRON, né à Rome 116 ans avant J. C., mort âgé de quatre-vingt-dix ans, grammairien, philosophe, historien et poëte, le plus savant des Romains, composa des satires auxquelles il donna le nom de Menippées, du nom de Ménippe, philosophe cynique renommé par la viva

1. Satira tota nostra est. Cela est vrai de la forme, et non du fond. L'esprit satirique est de tous les temps.

2. « Il y avait quelque chose à prendre au milieu de ce courant bourbeux. >>

"

3. Hoc erat, experto frustra Varrone Atacino,

Atque quibusdam aliis, melius quod scribere possim.

Sat. 1, x, 46.

Après les essais avortés de Varron d'Atax et de quelques autres, la satire était ce que j'avais de mieux à faire. »>

cité mordante de son esprit. Ennius avait employé dans ses satires des mètres différents; Varron alla plus loin, et il entremêla de la prose. à des vers de différente mesure. Nous ne connaissons ces compositions que par le témoignage des anciens et de courts passages que rapporte Nonius. Ainsi, les seuls monuments de la satire romaine pendant cette période sont quelques vers épars d'Ennius et de Pacuvius et les nombreux fragments de Lucilius.

Genre didactique. La poésie didactique débuta à Rome par un chef-d'oeuvre. Titus LUCRETIUS CARUS, contemporain de Cicéron, avait étudié la philosophie à Athènes. Il en rapporta une vive admiration pour le système de Démocrite et d'Épicure et une conviction profonde. Il composa son poëme sur la Nature des choses autant par prosélytisme que par inspiration. Cette philosophie matérialiste, qui supprime les craintes comme les espérances d'une autre vie, lui paraissait la condition du bonheur de l'homme ici-bas: étrange et déplorable erreur! mais cette foi ardente de Lucrèce donne aux parties mêmes les plus didactiques de son poëme un mouvement de logique passionnée qui entraîne lorsqu'il raconte, qu'il décrit ou qu'il chante, sa forte imagination, son inspiration véhémente, enfantent une poésie rude encore, mais sublime, qui frappe plus vivement peut-être que la perfection soutenue de Virgile1. On pense que Lucrèce est mort fou, à l'âge de quarante-quatre

1. M. Villemain, qui n'a pas ménagé les doctrines de Lucrèce, admire le poëte aussi vivement qu'il blâme le philosophe : « Quelle passion, s'écrie-t-il, et quelle poésie Lucrèce n'a-t-il pas mêlée aux dogmes d'Épicure! avec quelle inimitable énergie et quel sombre pathétique n'a-t-il pas décrit la formation et les souffrances de la société ! Saint-Lambert a rencontré le même sujet dans son quatrième chant; mais où est la poésie de Lucrèce? où sont ces vers qu'on n'oublie pas, ces expressions qui animent la nature, et cette sensibilité qui la divinise pour le poëte athée ? »>

ans. L'athéisme eût suffi à troubler sa raison, et on croit qu'il y ajouta l'intempérance.

Poésies fugitives. -CATULLE (86-40 av. J. C.), contemporain de César, que ses épigrammes n'ont pas épargné, semble, par la perfection de son style, un poëte du siècle d'Auguste; mais il ne faut pas oublier les dates au détriment de sa gloire. Dans des pièces de peu d'étendue, ce poëte a répandu à pleines mains le sel attique, la grâce ingénieuse, le sarcasme amer, la délicatesse du sentiment. Génie varié et puissant, inimitable dans les genres secondaires, au niveau de la grande poésie, il a devancé Virgile dans ses Noces de Thétis et de Pélée, où il décrit la passion et le désespoir d'Ariane avec une vérité et une énergie que le chantre de Didon n'a pas surpassées.

Lucrèce et Catulle forment la transition de la période qu'ils terminent au siècle d'Auguste; et ici je ne puis m'empêcher de citer une ingénieuse et poétique comparaison, que j'emprunte encore à M. Patin: « La maturité, qui n'a manqué à aucune littérature, que nous avons connue aussi, qui s'est produite chez nous absolument comme chez les Romains, est quelquefois pressentie, devancée même par des génies heureux, par des Catulle, des Lucrèce même. Il y a dans l'année des jours intermédiaires qui ne sont déjà plus l'hiver, qui ne sont pas encore le printemps, et où certaines plantes, sentant, on le croirait, l'approche de la tiède saison, se couvrent prématurément, imprudemment, comme disent les poëtes, de fleurs et de feuillage. Eh bien! c'est ainsi que fleurit, que verdit, dans les vers de Lucrèce et de Catulle, la poésie de Virgile et d'Horace. »>

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