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leur montrant un autre objet: & c'eft à quoi la politique de Philippe réuffit merveilleufement.

Les Athéniens qui commençoient à fe laffer d'une guerre qui leur étoit fort onéreuse & peu utile, avoient chargé Ctéfiphon & Phrynon de fonder les intentions de Philippe, & de le preffentir fur la paix. Ils rapportérent que Philippe ne s'en éloignoit pas, & témoignoit même beaucoup de bonne volonté pour la République. Sur quoi l'on réfolut d'envoier une ambaffade folemnelle, pour s'inftruire de la vérité plus à fonds, & pour avoir les derniers éclairciffemens que demandoit une femblable négociation. Efchine & Démofthéne furent du nombre des dix Ambaffadeurs, qui en ramenérent trois de Philippe, Antipater, Parménion, Eurylochus. Tous dix s'acquitérent fidélement de leur commiffion, & en rendirent un fort bon compte. On les renvoie auffitôt avec un pleinpouvoir de conclure la paix, & de la cimenter par la religion des fermens. Alors Démofthéne, qui dans la premiére ambaffade avoit rencontré en Macédoine quelques Athéniens prifonniers, & leur avoit promis qu'il revien

reviendroit les racheter à fes dépens, fe met en devoir de tenir fa parole & confeille cependant à fes Collégues de s'embarquer au plutôt, comme la République l'avoit ordonné, pour aller inceffamment chercher Philippe par tout où il feroit. Ceux ci, loin de faire la diligence qu'on leur a recommandée, marchent à pas d'Ambaffadeurs, vont par terre en Macédoine, s'y arrêtent trois mois entiers, & donnent le tems à Philippe de prendre encore plufieurs places fur les Athéniens dans la Thrace. Enfin s'étant abouchés avec le Roi de Macédoine ils conviennent avec lui des conditions de la paix. Celui-ci, content de les avoir endormis par un projet de Traité, en différoit de jour en jour la ratification. Il avoit trouvé le moien de corrompre à force de préfens tous les Ambaffadeurs, à l'exception de Démofthéne, qui fe trouvant feul s'oppofoit en vain à fes Collégues.

Cependant Philippe faifoit toujours - avancer fes troupes. Etant arrivé à Phére en Theffalie, il ratifie enfin le Traité de paix, où il refufe de comprendre les Phocéens. Quand on eut appris à Athénes que Philippe avoit Tome VI. D figué

Ijocrat. ⚫rat. ad Philipp.

figné le Traité, cette nouvelle y répandit beaucoup de joie, furtout parmi les perfonnes qui avoient de l'éloignement pour la guerre, & qui en redoutoient les fuites. Ifocrate étoit de ce nombre. C'étoit un citoien zélé pour le bien public, & plein de bonnes intentions. La foibleffe de sa voix, jointe à une timidité naturelle, l'avoit empêché de fe produire en public, & de monter, comme les autres, fur la Tribune aux Harangues. Il avoit ouvert à Athénes une école, où il donnoit des leçons fur la Rhétorique, & formoit les jeunes gens à l'éloquence; & il le faifoit avec un grand fuccès & une grande réputation. Il n'avoit pas néanmoins renoncé entiérement au foin des affaires publiques ; & le fervice que les autres rendoient de vive voix à la patrie dans les affemblées, il tâchoit de le lui rendre par des Ecrits où il expofoit fes fentimens : & ces Ecrits devenoient bientôt publics, & étoient lus avec beaucoup d'empreffe

ment.

Dans l'occafion dont il s'agit, il en fit un affez long, qu'il adreffa à Philippe, avec qui il étoit en liaifon, mais de la maniére qui convient à

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un bon & fidéle citoien. Il étoit alors fort àgé, & avoit au moins quatrevingt huit ans. Le but de ce difcours eft d'exhorter Philippe à profiter de la paix qu'il venoit de conclure, pour concilier entr'eux tous les peuples de la Gréce, & à porter enfuite la guerro contre le Roi des Perfes. Il s'agiffoit de faire entrer dans ce plan quatre villes, dont toutes les autres alors dépendoient; favoir Athénes, Sparte, Thèbes, Argos. Il avoue que fi Sparte ou Athénes étoient dominantes comme autrefois, il n'auroit garde de faire une telle propofition, qui ne feroit point certainement de leur goût & que la fierté de ces deux Républiques, nourrie & augmentée par d'heureux fuccès, rejetteroit avec hauteur. Mais maintenant que les plus puiffantes villes de la Gréce, fatiguées & épuifées par de longues guerres, & humiliées chacune à leur tour par des revers facheux, ont un intérêt égal à pofer les armes, & à vivre en paix felon l'exemple qu'Athénes avoit commencé à leur donner; c'est l'occafion du monde la plus favorable à Philippe de concilier enfemble toutes les villes de la Grèce.

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S'il avoit le bonheur de réuffir dans un tel projet, un fuccès fi glorieux & fi avantageux l'étéveroit au deffus de tout ce qu'il y a eu jufqu'ici de plus grand dans la Gréce. Mais le deffein & le projet feul, quand il n'auroit pas tout l'effet qu'il en peut attendre, lui attireroit infailliblement l'eftime, l'affection & la confiance de tous les peuples de la Gréce, avantages infiniment préférables à toutes les prises de villes & à toutes les conquêtes dont il pourroit fe flater.

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Il eft vrai que plufieurs perfonnes prévenues contre Philippe, le répréfentent & le décrient comme Prince artificieux, qui couvre fa marche fous des prétextes plaufibles, mais qui dans le fonds n'a d'autre vûe que d'opprimer la Gréce, & de s'en rendre maître. Ifocrate, foit trop facile crédulité, foit défir de gagner Philippe, fuppofe que des bruits fi injurieux n'ont aucun fondement; n'étant pas vraisemblable qu'un Prince, qui fait gloire de defcendre d'Hercule le Libérateur de la Gréce, fongeât à l'envahir, & à s'en rendre le Tyran. Mais ce font ces bruits là mêmes, fi capables de noircir fon nom & de ter

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