Page images
PDF
EPUB

res pour difcerner un raifonnement jufte & exact, d'un autre qui n'en auroit que l'apparence, & en l'accoutumant à féparer tout ce qui peut éblouir dans un difcours,du fonds réel & folide qui en doit faire tout le prix. Il l'exerça auffi dans les connoiffances qu'on apelle métaphyfiques, qui peuvent être fort utiles à un Prince s'il s'y applique avee mefure, & qui lui apprennent ce qu'eft l'efprit de l'homme, combien il eft diftingué de la matiére, comment il voit les chofes fpirituelles, comment il fent l'impreffion de celles qui l'environnent, & beaucoup d'autres queftions pareilles. On juge bien qu'il ne lui laiffa ignorer, ni les mathématiques fi propres à donner à l'efprit de la jufteffe & de l'exactitude, ni les merveilles de la nature, dont l'étude, outre beaucoup d'autres avantages, montre combien toutes les recherches des hommes font incapables d'arriver jufqu'aux principes fecrets des chofes dont il font tous les jours témoins.Mais la grande application d'Alexandre fut la Morale, qui eft, à proprement parler, "la fcience des Rois, parce qu'elle eft la connoiffance des hommes, & de tous leurs de

voirs. Il en fit une étude férieufe & profonde ; & la regarda dès lors comme le fondement de la prudence, & d'une fage politique. Combien croiton qu'une telle éducation peut contribuer à mettre un Prince en état de fe bien conduire lui même, & de bien conduire fes peuples!

Il n'y eut pas jufqu'à la Médecine, dont il ne voulut s'instruire. Il n'en étudia pas la théorie feulement, mais auffi la pratique; & il marquoit luimême dans quelques lettres, qu'il avoit fecouru plufieurs de fes amis dans leurs maladies, & leur avoit ordonné les remédes & les régimes dont ils avoient befoin.

Le plus habile maître de Rhétorique qu'ait eu l'antiquité, & qui nous en a laiffé une fi excellente, ne manArift. in qua pas d'y former fon Eléve; & Rhetor. ad nous voions qu'Alexandre, dans le Alex. pag. plus fort de fes guerres, le preffa plu

608. 609.

fieurs fois de lui envoier un traité fur cette matiére. C'est ce qui a donnélieu au livre intitulé La Rhétorique à Alexandre: dans l'exorde du quel Ariftote lui fait fentir de quel fecours eft pour un Prince le talent de la parole, qui le fait régner fur les efprits par fes difcours

com.

comme il doit le faire par fa fageffe &, par fon autorité. Quelques répliques & quelques lettres qui nous restent d'Alexandre, montrent qu'il poffédoit parfaitement cette éloquence mâle & forte, pleine de fens & de chofes, où tout eft néceffaire, & dont tous les mots portent, qui eft, à proprement parler, l'éloquence des Princes.

Son eftime, ou, pour mieux dire, fa Imperator. paffion pour Homére, nous fait voir

non feulement avec quelle ardeur & quel fuccès il s'appliquoit aux belles lettres, mais l'ufage fenfé qu'il en faifoit, & le fruit folide qu'il fe propo. foit d'en tirer. Ce n'étoit pas fimplement curiofité, ou délaffement du travail, ou délicateffe de goût pour la poéfie, qui le portoient à lire ce Poéte, c'étoit pour y puifer des fentimens dignes d'un grand Roi & d'un grand Conquérant; le courage, l'intrépidité, la magnanimité, la tempérance, la prudence, l'art de bien combattre & de bien gouverner. Auffi entre tous les vers d'Homére il donnoit la préférence à celui a qui repréfente Agamemnon comme un bon Roi, & comme un courageux Guerrier.

• Αμφότερον, βασιλεὺς τ' ἀγαθός, κρατερός τ' αιχημπις. Iliad, III, ν. 179.

brevitate.

Tacit.

Aul. Gell.

lib. 20. cap. 5.

Il n'eft pas étonnant, après tout cela, qu'Alexandre ait fait un fi grand cas de ce Poéte. Quand,après la batailled'Ar⚫ belles on eut trouvé parmi les dépouilles de Darius une caffette d'or,enrichie de pierreries, où étoient enfermés les parfums exquis dont ufoit le Prince; ce Héros, tout couvert de pouffiére, & peu curieux d'effences & de parfums, deftina cette riche caffette à recevoir en dépôt les Livres d'Homére, qu'il regardoit a comme la production de l'efprit humain la plus parfaite & la plus précieuse qui eût jamais été. Il admi. roit fur-tout l'Illiade, qu'il appelloit b La meilleure provifion d'un homme de guerre.Ileut toujours avec lui l'édition qui avoit été revûe & corrigée par Ariftote, qu'on nommoit l'Edition de la caffette; & il la mettoit toutes les nuits avec fon épée fous fon chevet.

Avide de toute forte de gloire jufqu'à la jaloufie, il fut mauvais gré à Ariftote fon maître d'avoir publié en fon

a Pretiofiffimum humani opus Plin. lib. 7. cap. 29.

6 Τῆς πολεμικῆς ἀρετῆς ἐφόδιονι. Ce mot ; que je n'ai pu mieux traduire, fignifie qu'on trouve dans Illiade tout ce qui a raport à la science militaire

pux qualités d'un Général, en un mot tout ce qui est nécessaire pour former un bon Commandant.

"

27

[ocr errors]

fon abfence certains livres de Métaphyfique qu'il auroit voulu poffeder feul; & dans le tems même qu'il étoit occupé à la conquête de l'Afie & à la pourfuite de Darius,il lui écrivit pour s'en plaindre, une lettre que l'on a encore, où il lui marque, » Qu'il a aimeroit beaucoup mieux être au-deffus des autres hommes ,, par la fcience des chofes fublimes ,, & excellentes, que par la grandeur & l'etendue de fon pouvoir.,, Il lui recommanda de même, par raport au Livre de Rhétorique dont j'ai parlé, Arift. p. de ne le communiquer à qui que ce 609. fût. Il y a de l'excès, je l'avoue dans cet avide defir de gloire, qui le porte à vouloir étoufer le mérite d'autrui, pour ne faire paroitre que le fien: mais on y voit au moins une ardeur pour l'étude bien louable dans un Prince, & bien éloigné de l'indifférence pour ne pas dire du mépris & de l'averfion, que la plupart de nos jeunes Seigneurs témoignent pour tout ce qui a raport à l'étude & à la science,

Plutarque nous fait obferver en trois mots l'utilité infinie qu'Alexandre

α Ἐγὼ δὲ βελοίμην ἂν ταῖς περὶ τὰ ὄρισα ἐμπειρίαις, ἢ ταῖς δυνάμεσι, διαφέρειν.

« PreviousContinue »