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in par terre. Ses forces maritimes, en ce tems là, étoient inférieures à celles de cette République ; & le chemin, pour s'avancer par terre vers l'Attique, lui demeuroit fermé, tant que les Theffaliens ne s'attacheroient point à fa fuite, & que les Thébains ne lui ouvriroient point un paffage. Si, pour les engager à fe déclarer contre Athénes il n'eût allégué que l'unique motif de fon inimitié particuliére, il comprenoit bien qu'il n'ébranleroit perfonne, Que fi, fous le prétexte fpécieux d'époufer leur querelle commune il pouvoit une fois les déterminer à l'élire pour Chef, il efpéroit de les entraîner plus facilement ou par la perfuafion, ou par la fraude.

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Voilà quel étoit fon but & fon deffein, dont il lui importoit infiniment de ne laiffer entrevoir aucune trace, & de ne point faire naître con tre lui le plus leger foupçon. Il avoit dans toutes les villes des penfionnaires à gages, qui lui donnoient avis de tout, & qui le fervoient fort uti lement: auffi les paioit-il bien, Par leur moien il fufcita une querelle aux Locriens Ozoles, appellés autrement

Les

Les Locriens d'Amphisse, du nom de la ville d'Amphiffe leur capitale. Leur pays étoit entre l'Etolie & la Phocide. On les accufa d'avoir profané une terre facrée en labourant une campagne nommée la campagne Cyrrhée, qui étoit tout près du temple de Delphes. Nous avons vû qu'un pareil fujet de plainte avoit donné lieu à la premiere Guerre facrée. L'affaire devoit être portée au tribunal des Amphictyons. S'il y eût emploié en fa faveur quelque Agent connu ou fufpect, il voioit bien qu'à coup fûr les Thébains & les Theffaliens foupçonneroient fa manoeuvre, & que tous indubitablement fe tiendroient fur leurs gardes.

Il s'y prit d'une maniére plus fine, en conduifant fourdement fon deffein par des fouterrains qui en déroboient toute connoiffance. Par le moien des penfionnaires qu'il avoit à Athénes, il avoit fait nommer pour Pylagore Efchine, qui lui étoit entiérement vendu. On appelloit ainfi ceux que les villes Grecques députoient à l'af femblée des Amphictyons. Dès qu'il y fut arrivé, il travailla d'autant plus efficacement pour Philippe, qu'on fe F 2 défioit

défioit moins d'un citoien d'Athénes, ouvertement déclarée contre ce Prin ce. Sur ces remontrances on ordonna une defcente fur les lieux, pour vifiter la terre dont les Amphiffiens avoient été jufques-là regardés comme poffeffeurs légitimes, & qu'on les accufoit maintenant d'avoir ufurpée par un impie facrilége.

Pendant que les Amphictyons vifitoient la campagne litigieufe, les Locriens tombent fur eux à l'improvifte, les accablent d'une grêle de traits, & les obligent de prendre la fuite. Un attentat fi déclaré alluma la haine & la guerre contre ces Locriens. Cottyphe, un des Amphictyons, mit en campagne l'armée qu'ils deftinoient à chatier les mutins. Comme plufieurs avoient manqué au rendezvous, elle fe retira fans avoir rien fait. Dans l'affemblée fuivante des Amphictyons, l'affaire fut remise férieusement en délibération. C'est là qu'Eschine fit ufage de fon éloquence, & par un difcours étudié, prouva aux Députés, qu'il faloit, ou qu'ils fe cottifaffent eux-mêmes pour foudoier des étrangers, & châtier les refractaires; ou qu'ils éluffent Philippe

pour

pour leur Général. Les Députés, pour épargner à leurs Républiques la dépenfe, les fatigues, & les dangers de la guerre, prirent ce dernier parti. Par un Décret public, on envoie à Philippe de Macédoine des Ambaffadeurs, qui, au nom d'Apollon & des Amphictyons, reclament fon affiftance, le present de ne pas négliger les intérêts de ce Dieu, dont fe jouent les impies Amphiffiens; & lui notifient qu'à ce deffein tous les Grecs, aggrégés au corps des Amphictyons, l'élifent leur Général, avec plein pouvoir d'agir comme bon lui femblera.

C'étoit à quoi Philippe afpiroit depuis longtems, & où tendoient tous fes deffeins, & toutes les batteries qu'il avoit dreffées jufques-là. Il ne perd donc point de tems. Il affemble incontinent fes troupes, & fous une feinte marche vers la campagne de Cyrrhée, oubliant & Cyrrhéens & Locriens, qui n'avoient fervi que de prétexte à fon voiage, & dont il fe foucioit peu, il s'empare d'Elatée, la plus grande ville de toute la Phocide fur le fleuve Céphife, & la mieux fituée pour tenir en bride les Thébains. Ceux-ci commencérent à ou

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Demofth. pro Ctefip.

pag. 501. 504. Diod. lib. 477.

vrir les yeux, & virent ce qu'ils avoient à craindre.

Cette nouvelle étant arrivée à Athé nes vers le foir,'y répandit la fraieur. Le lendemain dès le matin on convoque l'affemblée. Le Héraut, felon la coutume, demande à haute voix : Qui veut monter dans la Tribune? Perfonne ne fe préfente. Il répéte à plufieurs reprifes l'invitation perfonne encore ne fe léve, quoique tous les Généraux & tous les Orateurs fuffent préfens; & qu'à cris redoublés, la voix commune de la patrie conjurát d'ouvrir un falutaire confeil. Car, dit Démosthéne de qui ce récit eft tiré, lorfque la voix du Héraut crie au nom des Loix, el le doit justement être reputée pour la voix de la patrie. Dans ce filence général, caufé par l'allarme où l'on étoit, Démosthéne, animé par la vûe même d'un danger fi preffant, monte dans la Tribune, & travaille à raffurer l'efprit des Athéniens, & à leur infpirer des fentimens conformes à la conjoncture préfente & aux befoins de l'Etat. Auffi habile politique, que grand Orateur, il forme fur le champ, par l'étendue d'un génie fupérieur,un avis qui embraffe tout ce que doivent faire

les

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