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dans le plan de son savant ouvrage, n'a omis aucune des sources de la science canonique à partir des Écritures et des traditions apostoliques jusqu'aux temps modernes. « C'est le bréviaire du canoniste, a dit le rapporteur, et, dans un temps où la science canonique est quelque peu délaissée, c'est lui rendre un grand service que de montrer, sous une forme concise, quelles sont en cette matière les bases d'une instruction solide. » M. Beaune n'a pas moins bien fait pour le droit coutumier que M. Tardif pour le droit canonique. Il a été loué de ne pas s'en être tenu à une énumération aride des règles du droit et d'avoir su les représenter en un tableau du plus vif intérêt.

Une mention a été accordée à M. Lanery d'Arc, avocat à la cour d'appel d'Aix, pour son livre sur le Franc Alleu. C'est aussi un sujet tiré de l'histoire du droit que la section de législation a mis, ou plutôt remis, au concours pour le prix Odilon Barrot qui montait cette année à six mille francs. Ce sujet était : « l'Enseignement du droit avant 89. Plus heureuse qu'elle ne l'avait été une première fois, elle a reçu deux mémoires dont un de grande érudition et de grand mérite, quoique incomplet. C'est un travail de plus de mille pages, mais, quelque étendu qu'il soit, le sujet, à ce qu'il paraît, l'était plus encore. Du moins l'auteur n'a-t-il pu l'embrasser en entier dans le temps donné. Certaines parties sont complètement traitées avec un savoir, une méthode, un intérêt dignes de grands éloges, mais d'autres ne sont qu'esquissées, ou même ne sont représentées que par de simples têtes de chapitres qui peuvent seulement servir à faire apprécier la bonne direction des recherches de l'auteur et l'étendue du plan qu'il se proposait pour achever son mémoire. Tel qu'il est cependant, et malgré ses lacunes, la section a décidé de lui accorder le prix. Elle a la confiance que l'auteur achèvera bien ce qu'il a si bien commencé, et qu'en s'acquittant de cette dette. contractée avec nous, il donnera à notre pays un ouvrage

qui lui manquait, un ouvrage qui, comme beaucoup d'autres, n'aurait jamais été fait sans les encouragements et les récompenses de notre Académie.

L'auteur de ce mémoire est M. Marcel Fournier, professeur à la Faculté de Droit de Caen.

La Commission du prix Audiffred, qui est de cinq mille francs, avait à récompenser, l'ouvrage ou les ouvrages qui rentrent le mieux dans la noble pensée du donateur, c'està-dire les plus propres à inspirer l'amour du devoir et de la patrie. Elle a d'abord donné une mention très honorable à M. Jules Legoux pour un excellent petit livre patriotique à l'usage des écoles. Une récompense de mille francs a été accordée à M. Wahl pour son ouvrage intitulé l'Algérie. M. Wahl, aujourd'hui professeur à Lakanal, après avoir été professeur de géographie et membre du Conseil municipal à Alger, a mis à profit son séjour en Algérie pour faire ce livre qui contient les meilleurs renseignements sur le sol, le climat, les races, le commerce, l'industrie, de nos départements d'outre-mer, sur les diverses phases de la conquête, les diverses systèmes de colonisation et enfin sur le grand avenir réservé à notre Afrique française qui est aussi la patrie.

Un collègue de M. Wahl à ce même lycée Lakanal a été jugé digne d'une récompense de même valeur pour un ouvrage intitulé ; l'Enseignement secondaire à Troyes, depuis le moyen áge jusqu'à la Révolution. Ce sujet local pourrait paraître d'abord un peu étroit; M. Carrẻ a su l'agrandir par les vues générales qu'il y mêle et par les rapprochements qu'il fait entre les études d'autrefois et les études. d'aujourd'hui. Rien de plus curieux et de plus intéressant que tous les détails dans lesquels il entre, non seulement sur les études, mais sur la vie matérielle des élèves de l'Oratoire, sans oublier les comptes du cuisinier et même ceux du pâtissier. Il se plaît à montrer que, malgré toutes nos réformes, la différence n'est pas si grande que géné

ralement on le pense, entre l'enseignement d'avant 89 et notre enseignement actuel. Peut-être même la différence la plus considérable serait-elle dans les comptes de pâtisserie que je soupçonne d'être aujourd'hui moins élevés, même à Lakanal, que dans l'ancienne maison de l'Oratoire de la ville de Troyes.

La Commission a réservé la plus grosse de ses récompenses au livre sur le Crime, de M. Joly, ancien suppléant de MM. Franck et Caro au Collège de France et à la Sorbonne peut-être lui eût-elle accordé le prix tout entier si l'ouvrage, qui doit avoir encore deux volumes, eût étẻ complet, ou même si le second qui vient de paraître, la France criminelle, digne en tout du premier, eût été achevé quelques mois plus tôt. Le crime, voilà assurément un sujet qui ne manque pas d'actualité, non pas seulement parce que dans ce temps-ci il y a plus de crimes qu'autrefois, mais surtout parce que jamais les criminels n'eurent autant d'avocats, déterministes, aliénistes ou physiologistes, empressés de plaider leur cause. Jamais en effet, du moins dans une certaine science et une certaine littérature, on ne vit pareil déchaînement contre le libre arbitre et par conséquent contre la responsabilité morale qui n'est plus, si le libre arbitraire n'est pas. La vieille bosse du crime du système de Gall qui avait paru tombée en si grand discrèdit, est redevenue à la mode sous des formes nouvelles et en apparence plus scientifiques. A tant d'enquêtes plus ou moins suspectes d'anthropologistes français ou étrangers, M. Joly en a opposé une autre, beaucoup moins hypothẻtique, appuyée sans doute sur la conscience, mais aussi sur les faits, sur une multitude de documents et de témoignages. Lui aussi, il procède par la méthode expérimentale. Il a interrogé les magistrats, les directeurs et les gardiens des prisons, les avocats, les aumôniers, tous ceux qui voient de plus près les criminels; il a interrogé les criminels euxmêmes, il a recueilli et noté leurs aveux, il est descendu jus

qu'au fond de leur conscience. La conclusion où il est arrivé, c'est qu'il n'y a point de criminels nés, point de criminels qui soient prédestinés fatalement au vol ou à l'assassinat, et marqués pour ainsi dire au front, dès le berceau, par une sorte de génie du mal, du sceau visible de la réprobation. Sauf les cas d'aliénation et de maladie, il démontre, je prends le mot dans toute sa force, qu'on ne naît pas criminel, mais qu'on le devient, et qu'on le devient par sa faute. Si, parmi les magistrats et les jurés, il en est qui, troubles plus ou moins par les sophismes du jour, hésitent à punir les coupables traduits devant eux, qu'ils lisent le livre de M. Joly : ils y trouveront de quoi rassurer leur conscience.

Il y a d'ailleurs de quoi achever de la rassurer, s'il en était encore besoin, dans les deux mémoires couronnés par la section de morale qui avait mis au concours : « l'appréciation des principes sur lesquels repose la pénalité dans les doctrines les plus modernes. » Six mémoires, mais quatre seulement dignes d'attention, ont répondu à son appel. Sur cette question capitale du libre arbitre qui domine toute la philosophie pénale, les candidats se sont partagés en deux camps opposés: deux mémoires, ce qui est beaucoup trop, sont contre le libre arbitre, tandis que les deux autres l'affirment et en font le principe même de toute la pénalité. Selon les deux premiers, le libre arbitre n'est qu'une illusion, une chimère à laquelle ne croiraient plus que les bonnes gens, que les simples d'entre les simples. Sans prendre la peine, surtout dans une pareille assemblée, de contredire cette téméraire assertion, je passe à quelquesunes des conséquences de leur système pénal. Il semblerait que l'indulgence, sinon l'impunité, devrait être acquise à un criminel qui n'est pas maître et qui, par conséquent, n'est pas responsable de son action, si même il y a encore des criminels, et si ces mots de criminel, de crime, de culpabilité, de justice et de châtiment ne deviennent pas des mots abso

lument vides de sens. Il n'y aurait plus de criminels, mais seulement des gens plus ou moins dangereux contre lesquels la société n'aurait d'autre droit que de se mettre en garde. Qui d'ailleurs mériterait plus d'indulgence que ces criminels malgré eux ? De toutes les misères au monde ne serait-ce pas la plus digne de pitié ? Ainsi ne pensent pas nos deux auteurs déterministes qui ne sont rien moins qu'indulgents et tendres à leur égard. Est-ce parce qu'ils tiennent à rassurer la société par d'impitoyables rigueurs sur les dangereuses conséquences de leur doctrine? N'est-ce pas plutôt qu'ayant préalablement dépouillé ces hommes dangereux de la personnalité, cet attribut par excellence de l'humanité, ils ne voient plus en eux que des bêtes malfaisantes qu'on peut sans scrupule exterminer ou sarcler, suivant l'énergique expression de l'un d'eux, comme on sarcle la mauvaise herbe des champs? Il y a mieux pour couper court aux suites d'un atavisme fatal dont l'effet est de perpétuer cette race maudite, il voudrait faire commencer ce sarclage dès la naissance, ou même avant, pour plus de sûreté, ce qui est plus original encore, mais ce que je ne puis tenter d'expliquer ici.

L'auteur de l'autre mémoire semble, il est vrai, un peu moins brutal à leur égard, bien qu'il nie le libre arbitre tout aussi résolument. Il ne demande pas, tant s'en faut, l'abolition de la peine de mort, mais il la voudrait aussi bénigne, aussi douce que possible, non pour arriver peu à peu à la bannir du code, mais au contraire pour la maintenir, pour l'étendre même plus sûrement et en donnant moins de prise à ses adversaires. Ainsi, par bonté d'âme, il laisserait au condamné le choix de son supplice. La Justice, la veille du jour fatal, ferait passer sous ses yeux la carte, pour ainsi dire, des divers genres de mort entre lesquels il aurait la faculté d'opter, afin que d'avance il pût marquer du doigt celui de tous qui lui sourirait davantage ou, pour ne rien exagérer, celui qui lui déplairait le moins. J'ima

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