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les yeux, lui répondit: Ma vie est finie.-Je lui parlai de vous, de moi, du ciel même. Ses yeux restèrent fermés; elle joignit les mains. Pardon et pitié, me dit-elle! ma vie est finie. -Et le soir elle mourut en vous donnant le jour."

Mon père n'ajoutoit ni réflexions, ni prière, ni défense; ses peines m'en disoient assez. Je résolus d'aller le retrouver; auparavant je courus chez madame de Rieux : "Plus de bonheur

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pour nous, jamais de bonheur, lisez." -Je lui remis la lettre de mon père ; elle commençoit à la parcourir tout bas. Je lui demandai de la lire haut. Je voulois l'entendre encore, m'en pénétrer, me détailler tous ces malheurs qu'il avoit éprouvés.

VOL. II.

La légèreté avec laquelle madame d'Estouteville avoit disposé du sort de ma mère m'indignoit; cette longue souffrance, cette mort soudaine me jetoient dans des angoisses que je ne puis exprimer.

tage.

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Madame de Rieux pleuroit en lisant, me regardoit et pleuroit encore davanJe ne saurois excuser ma pauvre grand'mère, me dit-elle; ne me la faites pas hair, il ne lui reste que moi."moi."-" Qu'elle a été cruelle!" "Je l'ai toujours vue bonne. Mon "Dieu! est-ce que l'âge rend si diffé"rent de soi-même ?"-" Adieu, ma "chère Athénaïs, adieu; je vous aime autant que jamais, je vous aime plus "que ma vie. Ce n'est pas vous qui êtes coupable."—"Ah! s'écria-t-elle,

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pour l'amour de ma mère, qui a tant

"aimé Amélie, ne prononcez pas adieu

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pour toujours !"-Je n'en avois pas la pensée je n'osai pas examiner si je le devois; je ne pouvois envisager ni un retour vers elle, ni la possibilité de m'en séparer.

-"Eugène, je vous l'ai dit: en mourant, ma mère m'a laissé le por"trait de la vôtre; c'est le seul bien qu'elle m'ait ordonné de consérver. Depuis que je vous aime, il ne m'a

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pas quitté un instant; chaque jour 'je lui adresse mes promesses de vous "rendre heureux."-Je demandai à voir ce portrait de ma mère, et les larmes me suffoquèrent. Elle! si bonne si douce! qui, avec tant de résignation, disoit sans se plaindre: Pas un jour de bonheur, et je meurs à dix-sept ans ! Je m'agitois, ne savois

que répéter: "Par qui ma mère a-t-elle tant souffert?"-" Mais moi! Eugène,

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reprit madame de Rieux, vous l'avez "dit, je ne suis pas coupable."

Je ne répondois pas, ne pouvois lui répondre; je ne pensois qu'à la cruelle légèreté de madame d'Estouteville. Mon silence effraya Athénaïs.—“ Eu"gène, me dit-elle, jamais je ne me "serois séparée du portrait de votre mère;...... si vous devez cesser de "m'ainer, détachez-le vous-même de

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mon cou, portez-le à votre père; "tandis que, seule ici, j'expierai des "malheurs qu'assurément je n'ai pas "causés."

Ses reproches me rendirent à moimême. Moi! cesser de la chérir! Eh! que deviendrois-je? n'occupe-t-elle pas toute mon ame?-Ah! que de ser

ments nous fimes de nous aimer toujours, cependant sans oser prévoir si jamais nous serions unis! Avec quelle tendresse je l'appelois mon Athénaïs'! Ce nom rassuroit mon ame, calmoit mes craintes, répondoit à toutes les pensées déchirantes qui venoient m'assaillir." Je vais trouver mon père; dites-moi que vous y consentez. Je "l'avouerai, dans ce moment j'irois

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également si vous vous y opposiez; "cependant il me sera doux que vous "vouliez être bien pour lui."-" Je 66 consens à tout, me répondit-elle, "hors à perdre votre affection.”— "Bonne Athénaïs !"

Je regardai encore le portrait de ma mère; je l'approchai de mes lèvres avec un sentiment religieux. "Il vous a été confié, ma chère Athénaïs, gardez-le;

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