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sans une sorte d'horreur. Lui, pour avoir voulu sacrifier Amélie, en la renfermant dans un cloître; elle, pour avoir fait mon malheur, et, en affectant les dehors d'une fausse confiance, avoir contribué à m'aveugler.

"Trois jours après mon mariage, j'emmenai Amélie dans mes terres; là, les semaines, les mois s'écouloient sans que j'eusse une plainte à former, un mot, un mouvement à lui reprocher.

"Cette autorité souveraine, absolue, que j'avois prétendu exercer dans ma maison, me fut trop accordée. Amélie étoit douce et soumise, mais si froide, si réservée, que je me sentois seul chez moi. Mes volontés étoient toujours suivies, mes désirs jamais devinés. Il pa-roissoit également impossible d'arracher une plainte à Amélie, ou d'en ob

tenir un sourire. Enfin, comme dans ces› cloîtres où l'ordre d'un jour marque l'emploi de toute la vie, si je n'avois pas varié moi-même quelque chose. dans mes journées, elles auroient été toutes semblables.

"Amélie ne recevoit de lettres que de madame d'Estouteville et de Sophie. Inquiet de cette correspondance, je n'eus qu'à lui demander de leurs nouvelles; aussitôt elle me présenta la lettre qu'elle venoit d'en recevoir; et depuis ce moment, elle me donnoit toutes celles qui lui arrivoient.

"Je n'avois donc rien, absolument rien à dire contre Amélie. Cependant je voyois qu'elle n'étoit pas heureuse; je ne l'étois pas non plus; peut-être aurois-je mieux fait de chercher à obtenir sa confiance. Mais, mon fils, com,

ment s'oublier assez pour aller au-devant d'un aveu de préférencé pour un autre, ou d'éloignement pour soi?

"Amélie devint grosse: lorsqu'elle me l'annonça, je la serrai contre mon cœur. Hélas! dans ce moment de joie pour toutes les mères, je n'osai même pas lui demander si elle m'aimoit. Sa sincérité m'effrayoit presque autant pour elle que pour moi.

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"Oui, mon fils, votre père, disposé à tant de sévérité pour la femme dont il auroit été aimé, éprouvoit, malgré lui, une tendre pitié pour la douce Amélie. Que n'aurois-je pas donné pour qu'elle se jetât dans mes bras, et d'elle-même, me demandât indulgence. et consolation!....

"Amélie avançoit péniblement dans sa grossesse. J'avois placé près d'elle

une jeune fille qui avoit paru lui plaire ;: car je ne savois comment traiter cette ame souffrante: mes soins la trou bloient; mes plaintes auroient brisé

son cœur.

"Tous les matins, elle gagnoit l'église, appuyée sur cette jeune fille ; elle y restoit long-temps en prières. Tous les matins, à son insçu, je la voyois revenir ses pas la ramenoient toujours par le même sentier qu'elle avoit suivi. la veille. Amélie n'évitoit, ni ne recherchoit rien.

"Mons fils, Dieu vous préserve de l'horrible tourment de voir près de vous quelqu'un de vraiment malheureux! Je fùyois ma maison, m'occupois-de mes vassaux, cherchois à m'étourdir,. et n'étois plus ni à moi, ni chez moi.

"Le jour de ma fête, tous mes amis

se réunirent pour la célébrer. Amélie voulut me témoigner sa reconnoissance; elle fut plus animée, parla à toutes les femmes de leurs intérêts, de leurs familles; déjà je m'applaudissois de lui avoir dissimulé mes impressions, et croyois mes espérances prêtes à se réaliser. Mais l'effort qu'elle avoit fait pour sortir d'elle-même, pour s'occuper des autres, lui avoit été trop pénible. Le soir elle se trouva fort mal: alors je renonçai à la contraindre, et l'abandonnai à ses volontés, à ses fantaisies; me flattant que, lorsqu'elle seroit accouchée, le bonheur d'être mère la rattacheroit à la vie et à moi.

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Quelque temps après, la guerre éclata. Amélie devint d'une agitation. effrayante. Dès le matin, ce n'étoit plus par le sentier qu'elle se rendoit à l'église;

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