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"mettez à Dieu de rendre ma cousine "heureuse!... Tiendrez-vous cette pro"messe?" Ses mains étoient jointes, comme si son propre bonheur eût dépendu de moi. Je me récriai sur l'injustice d'en douter.-"Ah! reprit"elle en soupirant, vous avez l'air bien "sévère !" Et cet air sévère qui inquiétoit Sophie vint encore m'expliquer les craintes d'Amélie.

"Lorsqu'il fallut signer le contrat, Amélie trembloit; son nom étoit à peine lisible. Comment fus-je assez préoccu pé pour que son trouble ne m'éclairât point? Je lui offris les présents d'usage< la maréchale seule parut les apprécier. Amélie les vit parce qu'on lui dit de les regarder. Mon fils! mon cher fils! quand 'on commence à s'aveugler, tout accroît Amélie si indifférente

notre illusion.

ne me parut que raisonnable et modérée; ce qui auroit dû m'avertir ajoutoit à mon erreur.

"Le lendemain, la famille de mademoiselle d'Estaing, celle de monsieur d'Estouteville, la mienne se réunirent à midi chez le maréchal; c'étoit tout ce qu'il y avoit de grand, de connu en France, qui venoit être témoin de notre union.

"On se rendit dans la chapelle de monsieur d'Estouteville. Amélie, qu'on disoit à sa toilette, se fit assez attendre; dès qu'elle parut, le prêtre monta à l'autel pour célébrer notre mariage.

"Amélie étoit pâle, respiroit à peine; je lui offris mon bras et sentis. le sien trembler. Jusque-là elle s'étoit contrainte. Je ne l'avois jugée que

timide; dans ce moment elle me parut mourante, désespérée !

"A l'instant, comme éclairé par un trait de lumière, et avec une secrète horreur, je me demandai pour la première fois si monsieur d'Estouteville ne l'auroit pas forcée de consentir à m'épouser. Mais, mon fils! à l'autel, au milieu même de la cérémonie, comment suspendre ce mariage? Mademoiselle d'Estaing étoit troublée, il est vrai; mais qu'avoit-elle dit, qu'avoit-elle fait pour autoriser un pareil éclat devant toute la France, éclat qui m'auroit déshonoré, s'il ne l'avoit perdue sans retour?

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"Amélie, lui dis-je tout bas, parlez "à votre ami; quel sentiment vous agite?" Elle se mit à genoux sans me répondre. Mon inquiétude étoit au comble. "Amélie, dites un sèul mot,

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ou je ne serai plus maître de moi!" Calmes-vous, me répondit-elle avec une voix angélique; je vais pro"mettre à Dieu de vous consacrer ma "vie." Je voulus me récrier, tout suspendre; elle releva encore sa tête, me regarda avec une douceur si craintive!... Mon fils! quel regard! Ces yeux-là m'apparoîtront à mon dernier moment. Prions tous deux, me dit-elle avec un triste sourire, prions! Et sa tête retomba de nouveau, et la cérémonie s'acheva sans que je fusse rendu à moi-même.

"Ce que je souffris toute cette journée ne sauroit s'exprimer. Agité par tous les sentiments contraires, quelquefois j'étois prêt à conjurer Amélie de me donner le droit de la diriger; dans des instants plus calmes, je pensois qu'il

valoit mieux lui laisser ignorer que j'a

vois douté de son affection. Tant qu'elle croiroit à mon estime, elle pourroit

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me voir sans embarras, revenir à moi. sans trouble.

"Il me suffisoit de regarder la figure céleste d'Amélie pour être plus tranquilie. Cependant une inquiétude secrète sembloit m'avertir qu'elle étoit subjuguée par une préférence involontaire. Mais je me flattois qu'avec une ame pure, religieuse comme la sienne, mes soins finiroient par la ramener.

"Ayant pu conserver de l'empire sur moi-même, ce premier, ce terrible jour, je redevins tout-à-fait maître de moi, et résolus de ne jamais laisser apercevoir les tourments de mon ame.

"Cependant je n'envisageois plus monsieur et madame d'Estouteville

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