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décider à l'épouser. D'ailleurs, je l'avouerai, la sécheresse, la dureté de ses parents augmentoit mon intérêt pour elle; leur sévérité n'étoit point le résultat d'un systême réfléchi, mais l'absence de toute affection du cœur.

"Ces détails vous expliqueront aussi pourquoi je n'ai pu parler à Amélie avant ínon mariage. Au surplus cette manière de disposer de ses enfants, sans les consulter, étoit en usage parmi les personnes de notre rang; ainsi dans tout cela rien ne devoit ni me surprendre, ni m'arrêter.

"Voici la lettre d'Amélie :

Madame d'Estouteville m'a dit, Monsieur, que vous étiez disposé à unir votre sort au mien; soumise

entièrement à mon oncle, qui a rendu toute justice à vos vertus, je ne m'occupe plus de mon bonheur, mais le vôtre m'inquiète.

Je me suis réservé le droit de vous rappeler que ma fortune est absolument nulle. Destinée au cloître, j'ai peu cultivé les talents qui font réussir dans le monde; j'en ignore les convenances, les habitudes; je n'en désirois point les avantages. Je crains même que la retraite, en me laissant plus sensible qu'une autre à toutes les peines de la vie, ne m'ait fait sentir par avance le vide de ses consolations.

Voilà, monsieur, ce que j'ai cru devoir vous dire; si ces aveux ne vous arrêtent point, ils seront assez présents à mon

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esprit pour me rappeler toujours ce que je vous devrai.

AMÉLIE.

"Je demandai à madame d'Estouteville la permission de répondre à sa nièce; elle y consentit. "Mais ajouta

t-elle, je crois devoir vous engager " à me remettre votre lettre, car mon"sieur d'Estouteville vous prie de ne re pas aller au couvent sans lui. Ma fille "est avec Amélie; il ne veut point, "m'a-t-il dit, qu'elle ait l'exemple de

ces conversations sentimentales, qui "lui rendroient peut-être un jour "l'obéissance difficile.".

"Assurément j'étois fort loin de vouloir inspirer des idées romanesques à une jeune personne, et je me soumis

à toute la réserve que monsieur d'Estouteville exigeoit.

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Apportez-moi votre réponse, me "dit la maréchale, je la donnerai à ma "nièce. Monsieur d'Estouteville vous "attend demain au soir pour convenir "des articles; il a décidé qu'Amélie "reviendroit ici le jour de la signature "du contrat, et que le lendemain on célèbreroit votre mariage."

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Je vous l'avoue, mon fils, je regrettois de ne point voir Amélie, de ne pas interroger son cœur. Cependant ce sentiment de résignation, d'obéissance, me paroissoit tellement l'état raisonnable d'une jeune personne envers sa famille, que je ne voulois rien disputer à l'autorité du maréchal.

"Le lendemain j'apportai ma réponse à madame d'Estouteville. J'avois

cru devoir Ꭹ détailler mes opinions, fondées sur des principes invariables. La crainte d'induire Amélie en erreur, ou de la laisser se tromper elle-même, m'avoit engagé à me montrer encore plus austère que je ne comptois l'être après notre union.

"La maréchale lut ma lettre. "Écoutez, me dit-elle, je veux vous donner une grande marque d'intérêt; cette "lettre est très-propre à effaroucher un 'jeune cœur: j'aime à vous croire de

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plus douces intentions, mais Amélie "les ignore. Pourquoi l'effrayer? Hé"las! ajouta-t-elle tristement, la vie "n'est bonne que par les illusions; si à "votre âge vous n'en éprouvez plus, "au moins ne renoncez pas à celles

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que vous pouvez faire naître."

"Madame d'Estouteville avoit rai

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