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presque incertaine, ses pas légers, sa démarche timide; enfin il sembloit qu'elle n'avanceroit dans la vie qu'en tremblant.

"Je ne doutois pas qu'Amélie ne fût la femme que mon père auroit préférée; mais je me demandois si elle ne m'avoit point paru trop séduisante? Sa timidité me rassura; un sentiment secret me disoit que ces yeux n'auroient jamais, de colère, que cette voix ne s'élèveroit. jamais jusqu'à la plainte.

"Je fus quinze jours sans retourner chez madame d'Estouteville. Pendant ce temps je cherchois tous ceux qui fréquentoient sa maison. Je parlois d'abord de Sophie: on la louoit généralement; mais on s'accordoit à lui trouver ces qualités brillantes, prononcées, qui jettent trop d'éclat sur la vie, et ne laissent pas sentir assez le besoin d'un soutien.

"Pour Amélie, on ne la louoit pas, mais on l'aimoit. Oui, mon fils, tout le' monde l'aimoit. Les religieuses parloient de sa piété; ses parents de sa soumission; ses jeunes compagnes, de sa douceur; le pauvre, de sa bienfaisance. Ce qui me touchoit encore," c'est qu'on ne louoit Amélie que relativement à soi, parce qu'elle-même étoit toujours occupée des autres.

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Après avoir pris toutes les informations que je pus imaginer, et m'être convaincu que je trouverois dans Amélie l'épouse attentive, exemplaire, sans laquelle je ne pouvois être heureux, je retournai chez madame d'Estouteville, et lui demandai un rendez-vous pour le lendemain. Il étoit connu que c'é toit par elle seule que l'on arrivoit à monsieur d'Estouteville.

"Une fois décidé à épouser Amélie, je ne voulois ni la laisser un jour de plus chez son oncle, ni donner à l'amour le temps de me subjuguer.

"Je ne peux rendre l'espèce de chagrin que j'aperçus dans les yeux de madame d'Estouteville, lorsque je lui de mandai sa nièce en mariage." Amé "lie! s'écria-t-elle d'un air surpris et affligé."-"Mademoiselle d'Estaing, repris-je en baissant les yeux.""Mais vous avez, je crois, quatre ou 66 cinq cent mille livres de rente?""A peu près, madame."-"J'aurois.

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pensé que, pouvant choisir dans "toute la France, vous auriez cherché "des avantages plus considérables."J'imaginai qu'elle regrettoit ma fortune pour sa fille, et m'empressai de l'assurer que jamais je n'épouserois une

- femme qui auroit d'autres avantages que ceux qu'elle tiendroit de moi.-" C'est "un goût louable autant que rare, re

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prit-elle. Cependant je crois ma déli"catesse obligée à vous rappeler qu'A"mélie n'a aucune fortune."-" Je le

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sais, madame."-" Vous êtes donc

"bien décidé à vous marier?"-" As"surément, et je ne conçois pas que "madame la maréchale puisse douter "d'une résolution dont je prends la "liberté de lui parler."-Elle me regarda d'un air étonné... puis elle reprit:

"Je devrois peut-être borner là "mes réflexions; cependant je vais "vous parler avec une franchise dont "votre caractère m'assure que je ne puis

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jamais me repentir.... Monsieur d'Es"touteville veut que ma fille soit cha"noinesse; et je désire la marier; il

"veut qu'Amélie se fasse religieuse : "l'austérité du cloître, cette séparation "du monde et de sa famille me paroissent une première mort à laquelle je

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"ne puis consentir. C'est donc Amélie

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que je désirerois voir chanoinesse.

"Du moins elle conserveroit sa liberté,

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pourroit vivre chez moi; et, destinée à n'éprouver que des affections douces, "peut-être se trouveroit-elle heureuse. "Mais, madame, pourquoi ne pas "chercher à établir en même temps ma"demoiselle d'Estouteville et made"moiselle d'Estaing?"-" Vous nous

connoissez bien peu, réprit-elle avec "un sourire plein d'amertume! faire re"venir monsieur d'Estouteville sur une "de ses volontés, me paroît déjà une "entreprise assez chimérique; jugez si " en même temps j'essaierai de le faire

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