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bien j'étois aise de le revoir. Dans l'excès de ma satisfaction, toutes mes inquiétudes étoient dissipées.

Il étoit content; nous avons été heureux aussi long-temps que, nous livrant à nos impressions, nous n'avons pu dire une seule phrase suivie: mais après avoir épuisé tous les détails sur son voyage, sur sa santé, sur la mienne, sur le succès de sa négociation, que d'anxiétés lorsqu'il m'a demandé ce que j'avois fait pendant son absence? -"Mon père, demain nous parlerons "d'objets indifférents; aujourd'hui lais"sez-moi ne m'occuper que de vous.” "Si ce sont réellement des objets in"différents, je veux bien attendre jusqu'à demain pour connoître vos liai

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sons, vos goûts; mais....." Je me

suis empressé de l'interrompre.-"Mon

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père, grace pour ce seul jour! Laissez"moi dans ce moment vous revoir,

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vous chérir, vous regarder sans mélange de peine."-"Mon fils, m'a"t-il dit tristement, ce n'est pas moi qui

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vous ai appris à tant éspérer du len"demain. Il me semble que madame d'Estouteville a fait de vous un grand politique: elle s'y entendoit autre"fois."—"Mon père, il y a deux "choses dont je vous prie d'être con"vaincu: c'est que jamais je n'accor"derai à personne le droit de me "dire un mot que vous ne puissiez en"tendre; et que jamais madame d'Es"touteville ne s'en est permis un seul que je ne puisse vous répéter.”

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Il a pris mon bras, l'a serré fortement, en me disant :- 66

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Rappelez

vous, mon fils, que je la connoissois

"avant votre naissance.....Je vous la "ferai connoître un jour." Effrayé de cette résolution, qu'il me présentoit comme une menace, je me suis écrié : -"Mon père, je pense du bien de "tout le monde; ne désenchantez pas "mon ame." Il m'a regardé avec un sourire de pitié. Nous sommes devenus tristes,contraints. Immédiatement après souper, il m'a dit :-" J'ai affaire; il "est tard: je dois aller demain de "bonne heure à Versailles ; vous y "viendrez avec moi." Il m'a salué de la main, et je me suis retiré.

CHAPITRE II.

CE
Ce matin mon père est parti pour Ver-

sailles. Il est resté trois heures dans le cabinet du ministre. Je l'attendois dans le salon, me promenant seul. J'ai eu le temps de comparer une si ennuyeuse matinée avec celles qui s'écoulaient si vite chez madame d'Estouteville près d'Athénaïs. Le reste du jour s'est passé en présentations, en visites de devoir; et nous ne sommes revenus qu'au milieu de la nuit.

Quelle agitation j'éprouvois dans cette voiture auprès de mon père! Il étoit calme, silencieux. Je n'avois garde de

dire un seul mot; mais quel orage au dedans de moi! C'est hier que j'ai promis à Athénaïs de ne jamais passer un jour sans la voir, et dès le lendemain je ne puis lui donner un seul moment. C'est la première promesse que mon cœur ait voulu prononcer, et je suis obligé d'y manquer aussitôt.

Après avoir accompagné mon père jusqu'à son appartement je suis ressorti pour aller chez madame de Rieux. Je me trouvois plus à mon aise en appro~ chant de sa maison.

J'ai frappé à la porte. Je savois bien qu'il étoit trop tard pour la voir; mais au moins le suisse diroit que j'étois venu. Effectivement il s'est levé pour ouvrir, et a paru bien surpris de me voir à une heure aussi indue. Son étonnement a rappelé ma raison : je lui ai

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