Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

Quand on a distingué, d'un côté, la logique et la mathématique pure, sciences abstraites, de l'autre, les sciences physiques, dans l'acception la plus générale, qui comprend tout sujet accessible à l'observation, à l'expérience ou à des hypothèses vérifiables dans la sphère de l'expérience possible, on reste, en dehors de toute classification, en présence de la partie de la connaissance qui est de l'intérêt le plus grand pour l'esprit humain et pour la destinée humaine; c'est la métaphysique: elle embrasse l'étude du Cosmos en sa généralité, et celle de la conscience du moi et de ses fonctions en tout ce qui dépasse la pure observation interne et les classifications empiriques de la psychologie. Le grand et le petit monde sont ainsi sa matière, et sa méthode ne peut être que la spéculation considérée comme cet accord de la raison et de la croyance d'où procèdent les théories rationnelles qui s'étendent de la RENOUVIER. Problèmes métaphys.

1

définition des premiers principes de vérité et de réalité à l'explication de l'ordre actuel des choses.

La plus métaphysique, pour ainsi parler, des idées relatives à l'univers dans son ensemble est celle qui regarde sa raison d'être quant au temps. Elle s'est présentée certainement comme la plus difficile aux penseurs des antiques civilisations, et jamais elle n'a cessé d'être une cause de trouble pour l'entendement humain. La trace en est visible dans beaucoup d'anciennes cosmogonies; on voit deux puissantes idées s'y combattre dans l'esprit de leurs auteurs d'une part, la constante expérience et l'habitude de la succession des phénomènes dont nul ne se produit sans avoir des antécédents, et, de l'autre, le sentiment du vouloir et de la cause qui gouverne les changements et par là les précède sans être précédé. La première idée conclut à l'éternité du monde, la seconde donne lieu à la recherche de quelque chose où le monde prend son origine. De là l'imagination d'une certaine masse confuse qui aurait toujours existé, et la conception de telle ou telle puissance active qui par l'abstraction de son concept semble échapper à la nécessité d'avoir eu un commencement. Quelquefois, le Temps lui-même, investi d'une vertu productive du développement des choses, est appelé à répondre par son idée seule à la difficulté du manque d'origine, sans posséder pour cela aucun pouvoir déterminé qu'on puisse nommer. Cette fiction à part, l'embarras est ordinairement levé par l'idée éminemment antique à laquelle on donne aujourd'hui le nom d'évolution universelle. L'évolution, en un sens légitime et correct de ce mot, soit appliqué à certaines séries de phénomènes naturels, soit employé hypothétiquement pour coordonner des séries qu'on suppose, est toute loi suivant laquelle les phénomènes procèdent d'un état initial à un état final, l'un et l'autre

définis. Mais nous parlons ici de l'évolution indéfinie dont le concept exempte l'esprit du devoir de chercher pour le monde un commencement.

Les deux sortes d'évolution peuvent se concilier; celle qui est une et indéfinie embrasse, pour cet effet, une infinité, en arrière et en avant, des évolutions multiples, finies et périodiques, construites hypothétiquement; mais c'est là le point de perfection du système; et nous ne sommes plus alors aux époques primitives de la spéculation.

L'une de celles-ci, et des plus anciennes, c'est en Égypte que nous la trouvons, nous offre le cas curieux et instructif d'un mythe, d'un dogme, si l'on veut, imaginé dans le dessein de poser à la fois et de nier le commencement. Nous voulons parler du concept du dieu, double par soi, père et fils de lui-même, le grand Scarabée, Cheper, qui est porté par l'Abîme, principe femelle sans origine. C'est une façon concrète d'exprimer le mystère de la causalité absolue, que des théologiens ont traduit en termes abstraits par l'idée du dieu causa sui. Pour les Égyptiens, le mythe bizarre de la génération réciproque n'excluait pas la divinisation des grands êtres naturels, ni celle des animaux symboliques; il marquait seulement un effort vain pour approfondir la question suprême au delà de ce que l'imagination et le symbolisme peuvent exprimer. On trouverait probablement, si on les connaissait mieux, dans les cosmogonies élaborées par les prêtres chaldéens, ou par ceux des religions sémitiques polythéistes, outre le matérialisme avec des symboles naturalistes et des mythologies variées, appropriées à des dieux locaux, quelques vues indiquant la tentative de percer le mystère ultime soit de l'origine soit de la nature des choses; mais nous n'avons du travail qui a pu se faire en certains sanctuaires que des restes informes défigurés par

les compilateurs des époques de décadence. Les tendances intellectuelles, ou de sentiment, des penseurs religieux des anciens empires se trouveraient probablement originales et diverses, à mesure qu'on remonterait, s'il était possible, aux premiers initiateurs des croyances qui soutinrent selon les lieux et les temps. le moral des peuples. A la distance où nous sommes, nous n'apercevons plus guère que dans leur confusion trois manières de représenter dans son fondement la nature des phénomènes.

Ce sont 1° la méthode proprement mythologique, méthode de personnification des phénomènes objectifs, sensibles ou idéaux, d'où naissent des symboles développés en fables épiques et dramatiques;

2o La méthode des apothéoses, divinisation directe des grands corps ou des grandes forces de la nature, des grandes idées personnifiées de souveraineté, de puissance, d'intelligence, ou d'antiquité suprême et de génération première, mâle ou femelle, et enfin des personnes mèmes, ancêtres, fondateurs ou chefs d'empire, dont la vénération et la coutume, ou la flatterie et la crainte consacrent le culte ;

3o La méthode spiritiste, procédé mental d'imagination des choses sensibles, objets matériels ou personnes, et aussi des classes d'objets plus ou moins caractérisés et limités, tels qu'un bois ou une fontaine, ou vastes et indéfinis, tels que le ciel et la terre, comme habités ou informés par des esprits séparables des êtres euxmêmes. C'est un mode d'abstraction particulier s'élevant du fétichisme à une sorte d'idéalisme et de réalisation des idées pour des cultes spéciaux, et pour le service de toutes les superstitions possibles, morales ou immorales qu'elles soient, qui se présentent à l'esprit.

Les deux premières de ces méthodes se sont prétées

à la conception des grandes divinités anthropomorphiques, et aussi d'une personnalité suprême, sans exclure les panthéons. La troisième a pu se borner à un culte moral dont les objets les plus élevés sont les idées d'ordre, d'élévation ou de mérite, dans la nature et dans l'humanité, sans spéculation et sans métaphysique c'est la doctrine de Confucius, qui a régné sur le vaste empire chinois, au moins sur les classes instruites et dirigeantes qui en ont fondé puis dirigé l'administration pendant tant de siècles.

L'idée chinoise du Seigneur-Ciel (Thien-ti) esprit suprême, a pu être assimilée par quelques critiques à l'idée du Très-Haut du monothéisme sémitique, mais l'attribut de personnalité est aussi faible que possible en son application aux Chin (les esprits), et ne va guère au delà des exigences du langage, qui toujours personnifie.

Un point unique s'est rencontré, dans l'Asie entière, on ne sait à quel moment, et en quel lieu des pérégrinations des antiques tribus sémitiques, où un penseur religieux, écartant toute mythologie et tout polythéisme d'âmes ou d'esprits, s'est mis en face de cette idée simple qui, transmise en quelques mots, au début du livre de la Genèse, est devenue le fondement métaphysique de la religion élevée sur les ruines de toutes les croyances de l'antiquité occidentale : Dieu, une volonté planant sur l'abîme et créant par la parole, au commencement, le ciel et la terre. Toute la fonction de la spéculation, quand le souverain concept devint la pensée directrice d'une nation particulière, la nation juive, consista à affaiblir la supposition de la matière préexistante et à passer progressivement de l'idée démiurgique au concept de la création pure.

Contrairement à l'idée de l'ordre universel, on pourrait dire abstrait, qui dans la région chinoise imprima

« PreviousContinue »