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AU BUREAU DE LA REVUE, RUE NEUVE-SAINT-AUGUSTIN, 60.

ROTTERDAM

CHEZ M. KRAMERS,

Libraire-Éditeur.

MADRID

CHEZ D. CASIMIR MONIER,

Libraire de Leurs Majestés.

REVUE

BRITANNIQUE

CRITIQUE HISTORIQUE.

PHILIPPE II'.— LA RÉVOLUTION DES PAYS-BAS".

PREMIER ARTICLE.

Il n'est pas de règne plus important dans les annales de l'Europe que celui de Philippe II, roi d'Espagne. A l'exception du titre impérial, en partie compensé par celui de roi d'Angleterre, le successeur de Charles-Quint héritait, à son avénement, de toutes les grandeurs de son père, et il semblait n'avoir plus qu'à jouir paisiblement de cette vaste succession, dont presque toutes les parties avaient dû être défendues à grand'peine par Charles-Quint, soit contre les révoltes intérieures, soit contre les princes rivaux; car, nous l'avons fait remarquer ailleurs, ce grand empereur, accusé d'avoir aspiré à la monarchie universelle, passa presque toute sa vie à conserver plutôt qu'à acquérir; ce

1

History of the reign of Philip the Second, king of Spain, by William-H. Prescott. 2 vol. London, Richard Bentley. — Paris, 4 vol. in-8°, chez Reinwald, rue des Saints-Pères, au dépôt de la collection Tauchnitz.

* Histoire de la Révolution des Pays-Bas sous Philippe II, par Théodore Juste. 2 forts volumes in-8°. Bruxelles, libr. d'Aug. Decq. — Paris, librairie de Durand, rue des Grès.

maître des trésors du nouveau monde, ce despote absolu, était presque continuellement réduit aux expédients des rois constitutionnels de notre temps pour garnir ses coffres1. Son fils, plus heureux, recevait de lui les royaumes d'Espagne désormais reliés par une souveraineté unique, et où ni les nobles ni les communes ne relevèrent plus l'étendard d'insurrection abattu à Villalar. Dans la péninsule italienne, nul ne songeait à lui disputer ni la royauté des Deux-Siciles, ni le duché de Milan. Dans les Pays-Bas, la terrible leçon donnée aux Gantois avait profité aux autres villes, qui payaient, sans murmurer, un impôt plus considérable que tout le revenu des Indes. Les Turcs inquiétaient encore les côtes. de la Méditerranée par leurs pirates, et Dragut n'était guère moins redoutable que jadis Barberousse; mais désormais l'islamisme respectait la frontière chrétienne de l'Europe occidentale, se rappelant son plus grand sultan forcé de reculer devant Charles-Quint. La France seule pouvait oublier la défaite de Pavie, depuis la levée du siége de Metz.... la France, fière de ses capitaines et de son jeune roi Henri II; mais la trêve de Vaucelles prouvait du moins que la paix était possible de ce côté; et il fallut, en effet, l'incroyable rancune d'un vieux pape contre l'Espagne pour que la guerre se renouvelât entre les deux pays; guerre, d'ailleurs, que Philippe aurait dû ne pas redouter beaucoup avec des généraux comme le duc d'Albe et les vétérans de la bataille de Muhlberg, s'il avait été personnellement ambitieux de renommée militaire. Enfin, ses vaisseaux, augmentés de ceux d'Angleterre, lui donnaient la suprématie de toutes les mers, sa marine suffisant à protéger toutes ses côtes et toutes ses possessions insulaires, en même temps qu'à escorter les galions chargés de l'or de ce nouveau monde dont l'exploitation régularisée commençait à rendre au delà des frais de la première colonisation 2. Pour assurer à Philippe un règne facile et glorieux, le fils

1 Nous croyons avoir ouvert un nouveau jour dans notre Chronique de CharlesQuint, sur l'histoire financière de ce grand monarque, comme sur le rôle de prince constitutionnel auquel le réduisait son budget militaire dans tous les pays où l'impôt ne lui était accordé que par un vote législatif. Sans doute il ne laissait pas à son fils des coffres bien remplis, mais Philippe eut affaire à des assemblées beaucoup plus souples que celles qui avaient marchandé à l'empereur son père les frais de ses entreprises les plus justes et les plus glorieuses.

2 A vrai dire, ce fut Philippe II qui fonda réellement le système colonial de l'Espagne, trop fatalement imité par les autres pays. Malheureusement, au lieu de

avait sur le père d'autres avantages encore, si on compare son point de départ au point de départ du règne de Charles-Quint. Celui-ci était parvenu au trône, jeune homme imberbe, prince écolier, sous des gouverneurs et des précepteurs jaloux de prolonger sa candeur et leur tutelle, avec une mère dont la raison dérangée ne pouvait offrir à son inexpérience aucun de ces conseils si utilement dictés par l'instinct maternel. Philippe II devenait roi à l'âge mûr de vingt-neuf ans, ayant non-seulement reçu les leçons de maîtres habiles, mais encore celles de son père lui-même, le plus grand politique du siècle, qui avait voulu l'exercer de bonne heure dans l'art du gouvernement et l'initier à tous ses secrets. Une abdication prévue, préparée de longue date, lui évitait tous les embarras de la transition d'un règne à un autre, en même temps qu'elle lui laissait, au-dessus d'un Conseil de ministres expérimentés, la direction invisible de l'ex-empereur lui-même, qui conservait dans sa retraite l'autorité paternelle. Philippe, sagement docile à cette autorité; Philippe, père lui-même par sa première femme, n'avait pas à se préoccuper du lendemain pour sa dynastie. Le passé, le présent, l'avenir, tout lui appartenait donc.

C'est un beau sujet, sans doute, que l'histoire d'un monarque appelé à recueillir une succession comme celle du second Charlemagne, et pouvant la recevoir avec tant de garanties de sécurité s'il voulait seulement la consolider, avec tant de chances favorables s'il voulait l'agrandir. Mais le plus beau sujet a ses difficultés de composition, et la principale de celui-ci était sa variété même, qui excluait presque forcément l'unité d'intérêt. L'histoire du règne de Philippe II est l'histoire universelle pendant toute la période de la seconde moitié du seizième siècle, car Philippe, qui régna depuis l'année 1555 jusqu'au 13 septembre 1598, eut successivement à guerroyer ou à négocier avec les autres puissances de son temps. Il n'est pas de grand événement extérieur dans lequel il ne joue un rôle, et ceux de ces événements qu'on croirait épisodiques prennent peu à peu des proportions si larges qu'ils deviennent, tour à tour, bien moins l'histoire de

payer les dettes de son père, il se laissa obérer plus encore que lui. Voir, sur la lente progression du revenu royal par l'exploitation des mines, l'Essai politique sur la Nouvelle-Espagne de M. de Humboldt, et les détails de notre Chronique sur la banque de Séville.

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