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et l'oisiveté. Qu'on en garde çà et là quelques échantillons pour servir de promenade publique, comme près de Londres, rien de mieux; mais il n'en faut pas trop. Les communaux forment encore le vingtième de notre territoire. L'Angleterre en a beaucoup moins; depuis cinquante ans, les actes d'inclosure se sont heureusement multipliés, un million d'hectares environ a été divisé, enclos et cultivé; mais chaque communal ne peut être divisé dans ce pays que par une loi spéciale. En Écosse au contraire, il suffit de la demande des intéressés; la législation qui l'autorise date de 1695 : c'est un des derniers actes et un des meilleurs du parlement d'Écosse. On a remarqué avec raison que, si une loi pareille avait été rendue à la même époque par le parlement anglais, l'agriculture anglaise aurait fait plus de progrès.

Depuis 1695, les communaux écossais ont été successivement livrés à la propriété, surtout dans les Lowlands; tout ce qui était cultivable est maintenant cultivé, et les terres incultivables elles-mêmes sont l'objet d'une exploitation intelligente et fructueuse. Quand on remonte à deux ou trois siècles en arrière, on retrouve partout en Europe à peu près la même organisation rurale; seulement on s'est plus ou moins éloigné depuis de la barbarie primitive. Cet état de communauté, qui fleurit encore aujourd'hui parmi les paysans de la Russie, a existé partout, et partout a reculé devant la culture.

La population ne s'est pas accrue dans tous les Lowlands comme dans les comtés de Lanark et de Renfrew; si dans quelques-uns, comme dans ceux d'Ayr et d'Édimbourg, elle a triplé depuis un siècle, dans beaucoup d'autres, même les plus riches, comme ceux de Haddington

et de Linlithgow, qui font partie des Lothians, elle a marché très-lentement. Dans l'ensemble, elle a doublé; elle est aujourd'hui d'un peu plus d'une tête pour 2 hectares, ou l'équivalent du pays de Galles et des départements du centre de la France, ceux de la Haute-Vienne, de la Creuse, de la Dordogne et de la Corrèze. Cet accroissement de la population est bien loin d'être en rapport avec l'augmentation de richesse. Dans le même laps de temps, la population de l'Angleterre a triplé, celle de l'Irlande a quadruplé.

Même sur cette question délicate de la population, les Écossais en savent d'instinct aussi long que les plus grands économistes. Dès que s'élève suffisamment la demande de travail, la population s'accroît pour y faire face; mais la demande de travail ne s'élève pas également partout, et dans les districts exclusivement agricoles, elle tend plutôt à se réduire. L'Écosse vit ainsi à l'abri des inquiétudes et des souffrances que fait naître l'excès de population; elle n'a jamais rien à craindre pour sa subsistance, puisqu'elle exporte volontairement beaucoup de ses produits agricoles; et le petit nombre comme la sobriété de ses consommateurs lui permet de transformer en capital une grande partie de ses revenus.

Nous allons voir dans les Highlands une application bien autrement rigoureuse du même principe.

CHAPITRE XXII.

LES HIGHLANDS.

Les Highlands, ou hautes terres, comprennent les quatre grands comtés d'Argyle, Inverness, Ross et Sutherland, et la plus grande partie de ceux de Perth, Aberdeen, Banff, Elgin et Nairn. En y ajoutant les Hébrides, les Shetland et les autres îles, c'est au moins la moitié de l'Écosse.

J'ai déjà dit quel aspect présentent ces régions désolées presque pas d'arbres, à peine des bruyères, partout des rochers nus et escarpés, des torrents d'eau sous toutes les formes, lacs, cascades, ruisseaux écumants, immenses fondrières, des neiges et des pluies perpétuelles, les vents terribles de l'Océan septentrional. Il semble que l'économie rurale ne puisse avoir rien à démêler avec un pareil pays. Les Highlands ont cependant eu leur part de la transformation qui s'est opérée en Écosse, cette part a même été la plus grande, car ces montagnes ont été le théâtre d'une des plus complètes révolutions de ce siècle si fécond en révolutions. Ce qui s'y est passé doit être raconté à part, d'autant plus que la légitimité et l'utilité d'un changement si radical ont été fort contestées. La polémique soulevée à ce sujet a laissé dans beaucoup d'esprits des idées fausses qu'il importe de rectifier. C'est dans les Highlands qu'a eu lieu la dépopulation systématique qui a fait tant

de bruit en Europe il y a trente ans. M. de Sismondi, entre autres, dans des intentions assurément fort louables, mais peu éclairées, n'a pas peu contribué à soulever l'animadversion publique contre cette mesure, qui, pour avoir été trop violemment exécutée, n'en a pas moins eu d'excellents effets.

Les Highlands formaient autrefois, comme tous les pays de montagnes inaccessibles, une forteresse naturelle, habitée par une population belliqueuse. Tout y différait du reste du monde, le costume, la langue, la race, les mœurs. On n'y parlait que le gaëlique, on n'y portait que le jupon court et le manteau national de laine grossière. La poésie et le roman ont immortalisé ce petit peuple, à la physionomie originale entre toutes. L'habitude de la guerre y avait créé une organisation sociale assez semblable à celle des tribus arabes. Chaque grande famille ou clan obéissait à un chef héréditaire. Les terres de chaque tribu étant possédées à peu près en commun, sous l'autorité du chef, chacun en prenait ce qu'il voulait, à la condition d'une faible redevance en nature et d'un service militaire personnel. Ces maigres champs ne portaient que de mauvaise avoine; des troupeaux de bœufs et de moutons, sauvages comme leurs maîtres, fournissaient un peu de laine, de lait et de viande. Pour le surplus, les montagnards vivaient de chasse, de pêche, et surtout de rapine. Ils descendaient de temps en temps de leurs rochers pour porter la dévastation dans les basses terres, et quand ils ne se réunissaient pas en grand nombre pour ces excursions, ils se partageaient en petites troupes dont chacune pillait pour son compte.

Jusqu'à la bataille de Culloden, en 1746, les chefs de

clan des Highlands n'avaient songé qu'à augmenter le nombre de leurs soldats, leur importance ne se mesurant pas à leurs revenus, mais à la force des bandes armées qu'ils pouvaient mettre sur pied. Quand l'état agricole et social du moyen âge avait cessé depuis longtemps ailleurs, il se conservait encore dans ces retraites. Après l'expulsion définitive des Stuarts, tout changea. Les idées et les besoins d'une société nouvelle se firent jour jusque dans les gorges, les plus reculées. La révolution commença par les chefs. Déjà, depuis un demi-siècle environ, les seigneurs écossais avaient appris quelque chose de ce qui se passait dans le reste du monde. Quelques-uns avaient vu la cour d'Angleterre, d'autres la cour de France. Ceux-là avaient rougi de leur pauvreté, et ne se consolaient que faiblement, par le sentiment de leur puissance militaire, de ce qui leur manquait en richesse, en politesse et en bien-être. Le cours naturel des choses, qui modifie sans cesse les institutions humaines, bonnes ou mauvaises, devait donner chaque jour plus de force à ces tendances secrètes. Privés de leur indépendance féodale, les chefs des Highlands cherchèrent à augmenter leurs revenus pour faire figure sous une autre forme; quand ils n'auraient pas pris des habitudes de luxe qui les y forçaient, ils y auraient été conduits par le seul mouvement de la civilisation naissante.

Or ils n'avaient qu'un moyen pour s'enrichir, la mise en valeur de leurs domaines, et ils rencontraient deux obstacles formidables, la rudesse du sol et du climat d'abord, la sauvagerie obstinée des habitants ensuite. Ils ne tardèrent pas à s'apercevoir que l'une de ces difficultés pouvait être vaincue, car il n'est pas de sol si ingrat qu'il ne puisse

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