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que les baux (leases), étant fort rares en Angleterre, n'ont pas pu avoir l'influence que je suppose, et il cite comme une contradiction ce que je dis moi-même quelques lignes plus bas des tenanciers at will. L'erreur vient de ce que, dans le premier cas, le mot bail à ferme est entendu dans un sens général et sert à caractériser un mode particulier d'exploitation distinct du faire-valoir par le propriétaire, du métayage, etc.; tandis que, dans le second, le mot bail (lease) est pris dans un sens spécial et sert à désigner les conventions écrites entre le propriétaire et le fermier.

Pour qu'il y ait bail à ferme dans le sens général du mot, il suffit que l'exploitation soit librement conduite par le tenancier, sous la condition d'une rente servie au propriétaire; voilà ce qui est la forme à peu près universelle des exploitations rurales en Angleterre, et ce qui suppose l'existence d'une classe particulière d'entrepreneurs, cherchant dans la culture l'emploi de leur intelligence et de leur capital; quant au sens étroit du mot, il est vrai que j'aurais commis une erreur et une contradiction, si j'avais attribué le progrès agricole à des baux qui n'existent pas et dont j'ai moi-même constaté l'absence; il y a en Angleterre beaucoup de tenanciers qui n'ont pas de baux, et qui n'en sont pas moins de véritables fermiers : cette simple distinction explique ce qui avait frappé le Farmer's magazine.

AVERTISSEMENT

DE LA TROISIÈME ÉDITION.

(Décembre 1857.)

J'ai ajouté à cette édition un appendice sur l'état de l'Agriculture anglaise en 1857, en remplacement de la note sur la Population de la France au XVIIIe siècle, qui a fait partie de l'édition précédente, et qui m'a paru avoir un rapport moins direct avec le sujet.

Plus que jamais, il est nécessaire d'insister sur les faits contemporains, car, malgré quelques progrès éclatants mais partiels, l'ensemble de notre économie rurale ne s'améliore guère, et la distance qui nous séparait des Anglais va en s'accroissant.

ÉCONOMIE RURALE

DE L'ANGLETERRE

CHAPITRE I.

LE SOL ET LE CLIMAT.

Quand l'exposition universelle attirait à Londres un immense concours de curieux venus de tous les points du monde, la puissance industrielle et commerciale du peuple anglais a frappé les regards sans les étonner. On s'attendait généralement au gigantesque spectacle qu'ont présenté les produits de Manchester, de Birmingham, de Sheffield, de Leeds, entassés sous les voûtes transparentes du palais de cristal, et à cette autre scène non moins merveilleuse qu'offraient, en dehors de l'exposition, les docks de Londres et de Liverpool, avec leurs magasins sans fin et leurs vaisseaux sans nombre; mais ce qui a surpris plus d'un observateur, c'est le développement agricole que révélaient les parties de l'exposition consacrées aux machines aratoires et aux produits ruraux anglais; on était en général assez loin de s'en douter.

En France plus qu'ailleurs peut-être, malgré notre extrême proximité, on a trop cru jusqu'ici que l'agriculture avait été négligée en Angleterre au profit de l'intérêt

industriel et mercantile. Un fait mal étudié dans son principe et dans ses conséquences, la réforme douanière de sir Robert Peel, a contribué à répandre parmi nous ces idées inexactes. Ce qui est vrai, c'est que l'agriculture anglaise, prise dans son ensemble, est aujourd'hui la première du monde, et qu'elle est en voie de réaliser de nouveaux progrès. Je voudrais faire connaître sommairement son état actuel (1853), en indiquer les véritables causes, et en induire l'avenir; plus d'un enseignement utile peut sortir pour la France de cette étude.

Une crise grave et douloureuse s'est déclarée presque en même temps, quoique par des causes différentes, en 1848, dans les intérêts agricoles des deux pays. J'essayerai d'en apprécier à part la portée; mais il importe auparavant d'examiner quelle était, avant 1848, la situation des deux agricultures. Deux ordres de questions se rattachent à cette comparaison, les unes fondamentales, qui dérivent de l'histoire entière de leur développement, les autres transitoires, qui naissent de leur condition pendant la crise.

Avant tout, essayons de nous rendre compte du théâtre même des opérations agricoles, le sol.

Les îles Britanniques ont une étendue totale de 31 millions d'hectares, c'est-à-dire les trois cinquièmes environ du territoire français, qui n'en a pas moins de 53; mais ces 31 millions d'hectares sont loin d'avoir une fertilité uniforme il s'y trouve des différences plus grandes peutêtre qu'en aucun pays.

Tout le monde sait que le Royaume-Uni se décompose en trois parties principales, l'Angleterre, l'Écosse et l’Irlande. L'Angleterre forme à elle seule la moitié environ

du territoire; l'Écosse et l'Irlande se partagent le reste à peu près également. Chacune de ces trois grandes fractions doit elle-même se diviser, sous le rapport de la culture comme sous les autres points de vue, en deux parties principales : l'Angleterre, en Angleterre proprement dite et pays de Galles; l'Écosse, en haute et basse ; l'Irlande, en région du sud-est et région du nord-ouest.

L'Angleterre proprement dite, la portion la plus grande et la plus riche des trois royaumes, comprend 13 millions d'hectares, ou un peu plus du tiers de l'étendue totale des îles Britanniques et l'équivalent d'un quart de la France. C'est d'elle surtout qu'il doit être question dans cette étude. En lui comparant le quart de la France le mieux cultivé, c'est-à-dire l'angle du nord-ouest, qui comprend les anciennes provinces de la Flandre, de l'Artois, de la Picardie, de la Normandie, de l'Ile-de-France, et même en y ajoutant les départements les plus riches des autres régions, nous n'avons pas une égale étendue de terres bien cultivées à lui opposer. Certaines parties de notre sol, comme le département du Nord presque tout entier et quelques autres cantons détachés, sont supérieures comme production à ce qu'il y a de mieux en Angleterre; d'autres, comme les départements de la Seine-Inférieure, de la Somme, du Pas-de-Calais, de l'Oise, peuvent soutenir la comparaison; mais 13 millions d'hectares comparables comme culture aux 13 millions d'hectares anglais, nous ne les possédons pas.

Le sol et le climat de l'Angleterre seraient-ils donc naturellement supérieurs aux nôtres? Bien loin de là. Un million d'hectares sur 13 sont restés tout à fait improductifs et ont résisté jusqu'ici à tous les efforts de l'homme;

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