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possible de travailler a besoin de toute l'industrie des habitants pour produire quelque chose; l'avoine elle-même. n'y mûrit pas toujours.

Où trouver en France l'analogue d'un pareil pays? Ce qui s'en rapproche le plus est le noyau des montagnes. centrales avec leurs ramifications qui couvrent une dizaine de départements et vont se rattacher aux Alpes par delà le Rhône, c'est-à-dire les anciennes provinces du Limousin, de l'Auvergne, du Vivarais, du Forez et du Dauphiné; mais les départements des Hautes et des Basses-Alpes, les plus pauvres et les plus improductifs de tous, ceux de la Lozère et de la Haute-Loire, qui viennent après, sont encore bien au-dessus, comme ressources naturelles, des célèbres comtés d'Argyle et d'Inverness et du comté plus inaccessible encore de Sutherland. Cette supériorité, de plus en plus marquée dans ceux du Cantal, du Puy-deDôme, de la Corrèze, de la Creuse, de la Haute-Vienne, devient tout à fait incommensurable quand on oppose aux meilleures vallées des highlands, la Limagne d'Auvergne et la vallée du Grésivaudan, ces deux paradis du cultivateur jetés au milieu de notre région montagneuse.

La basse Écosse elle-même est loin d'être partout susceptible de culture : de nombreuses chaînes la traversent et unissent les montagnes du Northumberland à celles des Grampians. Sur les 4 millions d'hectares dont elle se compose, deux sont à peu près improductifs, les deux autres. présentent presque partout, notamment autour d'Édimbourg et de Perth, les prodiges de la culture la plus perfectionnée, mais le sol n'est véritablement riche et profond que sur un million d'hectares environ, le reste est pauvre et maigre. Quant au climat, il suffit de rappeler

qu'Édimbourg est à la même latitude que Copenhague et que Moscou. La neige et la pluie y tombent presque sans interruption les trois quarts de l'année, et les fruits de la terre n'ont pour se développer qu'un été court et chanceux.

Ce qui offre en France le plus de rapports avec la basse Écosse, ce sont les dix départements qui forment la frontière de l'est et qui s'étendent des Ardennes au Dauphiné par les Vosges et le Jura; mais là encore, la supériorité du sol et du climat est sensible. La nature a fait les pâturages de la Lorraine et de la Franche-Comté au moins égaux à ceux d'Ayr et de Galloway; l'Alsace vaut bien les Lothians. La pointe septentrionale de cette région est à six degrés de latitude au-dessous de Berwick, et sa pointe méridionale à la hauteur de Venise; le souffle ardent de l'air d'Italie arrive jusqu'à Lyon.

Des deux fractions de l'Irlande, celle du nord-ouest, qui embrasse un quart de l'île et qui comprend la province de Connaught avec les comtés adjacents de Donegal, de Clare et de Kerry, ressemble beaucoup au pays de Galles, et même, dans ses parties les plus mauvaises, à la haute Écosse. Il y a là encore 2 millions d'hectares disgraciés, dont l'aspect effrayant a donné naissance à ce proverbe national Aller en enfer ou en Connaught. L'autre, celle du sud-est, beaucoup plus considérable, puisqu'elle embrasse les trois quarts de l'île et comprend les trois provinces de Leinster, d'Ulster et de Munster, c'est-à-dire environ 6 millions d'hectares, égale au moins l'Angleterre proprement dite en fertilité naturelle. Tout n'y est cependant pas également bon; l'humidité y est plus grande encore qu'en Angleterre. De grands marais

tourbeux appelés bogs, couvrent un dixième environ de cette surface; plus d'un autre dixième est à déduire pour les montagnes et les lacs. En somme 5 millions d'hectares sur 8 sont seuls cultivés.

Déduction faite du nord-ouest que nous avons comparé à l'Angleterre, du centre et de l'est que nous avons comparés à l'Écosse, la France ne nous offre plus que le midi à comparer à l'Irlande. Ce rapprochement se justifie à quelques égards, car la France du midi est à l'égard du nord un pays distinct et inférieur en richesse acquise, comme l'Irlande à l'égard de l'Angleterre; mais là s'arrête l'analogie, car rien ne se ressemble moins sous tous les rapports. Le parallèle tourne, comme les précédents, et plus qu'eux encore peut-être, en faveur de la France. Notre région méridionale s'étend de l'embouchure de la Garonne à celle du Var; elle embrasse une vingtaine de départements environ et 13 millions. d'hectares, ce qui maintient la proportion : elle a aussi, dans les Pyrénées et les Cévennes, sa partie montagneuse; mais il y a déjà loin, comme fécondité, des montagnes de l'Hérault et du Gard, qui produisent la soie, et même des cantons pyrénéens, où la culture peut s'élever jusqu'au pied des neiges éternelles, aux glaciales aspérités du Connaught et du Donegal; à mesure qu'on descend dans les plaines, la supériorité devient de plus en plus frappante, malgré les avantages naturels qui ont fait donner à l'Irlande ce surnom poétique : La plus belle fleur de la terre et la plus belle perle de la mer.

La plaine qui s'étend de Dublin à la baie de Galway, dans toute la largeur de l'Irlande, et qui fait l'orgueil de cette île, est dépassée en richesse comme en étendue par

la magnifique vallée de la Garonne, un des plus beaux pays de culture de la terre. La vallée d'or, golden vale, dont se vante Limerick, les pâturages des bords du Shannon, les terres profondes si favorables à la production du lin des environs de Belfast, ont sans doute une grande valeur; mais les vignobles du Médoc, les sols du Comtat qui portent la garance, ceux du Languedoc où le froment et le maïs peuvent se succéder, ceux de la Provence où mûrissent l'olive et l'orange, valent plus encore. L'Irlande a sur l'Angleterre cet avantage qu'elle a moins d'argiles, de sables et de craies, et que le sol y est généralement de bonne qualité; mais le midi de la France a sur elle la supériorité de son ciel. Les bogs irlandais n'ont pas leur équivalent dans les landes marécageuses de la Gascogne. et de la Camargue, bien moins impropres qu'eux à la production.

Ainsi notre territoire l'emporte de tous points sur le territoire britannique, non-seulement en étendue, mais en fertilité. Notre région du nord-ouest vaut mieux que l'Angleterre et le pays de Galles, celle du centre et de l'est vaut mieux que l'Écosse, celle du sud vaut mieux que l'Irlande.

Il y a déjà plus de soixante ans qu'Arthur Young, le grand agronome anglais, a reconnu cette supériorité de notre sol et de notre climat : « Je viens de passer en revue, dit-il à la fin de son Voyage agronomique en France, de 1787 à 1790, toutes les provinces de France, et je crois ce royaume supérieur à l'Angleterre en fait de sol. La proportion de mauvaises terres qui se trouvent en Angleterre, par rapport à la totalité du territoire, est plus grande qu'en France; il n'y a nulle part cette prodigieuse

quantité de sable sec qu'on trouve dans les comtés de Norfolk et de Suffolk. Les marais, bruyères et landes, si communs en Bretagne, en Anjou, dans le Maine et dans la Guienne, sont beaucoup meilleurs que les nôtres. Les montagnes d'Ecosse et du pays de Galles ne sont pas comparables, en fait de sol, à celles des Pyrénées, de l'Auvergne, du Dauphiné, de la Provence et du Languedoc. Quant aux sols argileux, ils ne sont nulle part aussi tenaces qu'en Angleterre, et je n'ai pas rencontré en France d'argile semblable à celle de Sussex. » Le célèbre agronome anglais rend le même hommage au ciel de la France: Nous savons tirer parti de notre climat, dit-il avec orgueil, et les Français sont encore dans l'enfance sous ce rapport, mais quant aux propriétés intrinsèques des deux climats, il n'hésite pas à donner la préférence au nôtre : cette conviction se reproduit à chaque ligne de son livre.

Et cependant, malgré des exceptions de détail nombreuses sans doute, mais qui ne détruisent pas la règle, l'Angleterre, même avant 1848, était mieux cultivée et plus productive, à surface égale, que le nord-ouest de la France; la basse Écosse rivalisait au moins avec l'est, l'Irlande elle-même, la pauvre Irlande, était plus riche en produits que notre Midi. Il n'y a que la haute Écosse qui, comme région, soit dépassée par la région correspondante, et ce n'est pas la faute des hommes; encore est-il possible de trouver, hors du territoire continental, mais toujours dans un département français, l'ile de Corse, une contrée comparable à la haute Écosse pour la valeur actuelle de sa production, malgré l'immense disproportion que la nature a mise entre leurs ressources, et ce n'est pas la seule comparaison qu'il serait facile d'établir

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