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main, enfermée dans d'étroites limites qu'une curiosité inquiète nous sollicite de franchir. Oui, il faut renoncer à une explication complète, adéquate, absolue de toutes choses. Il faut se résigner, étant homme, à savoir peu et à beaucoup ignorer; mais l'acte de foi par lequel la raison humaine s'affirme primitivement capable de certitude et de vérité, cet acte de foi ne rencontre aucun démenti dans les analyses les plus profondes de la science. La raison humaine est souvent forcée de convenir qu'elle ignore et qu'elle ignorera toujours; jamais elle n'est forcée de se contredire. Où la lumière abonde, et elle abonde sur tous les points qui intéressent notre être moral, sachons affirmer; où la lumière s'affaiblit, sachons ignorer et attendre: tel est le conseil du bon sens, tel est le dernier mot de la science.

VUES THÉORIQUES ET DOGMATIQUES

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DES SENS ET DES SENSATIONS

PROBLÈME DE LA PORTÉE ET DE LA VALEUR DES

INFORMATIONS DES SENS.

On comprend sous le nom de sens, deux sortes de fonctions intellectuelles: le sens intime ou conscience, qui ne répond à aucun organe déterminé, et les sens extérieurs, comme la vue, l'ouïe, le toucher, lesquels s'exercent par tel ou tel organe, comme l'œil, l'oreille ou la main. Nous ne nous occuperons pas ici du sens intime, mais seulement des sens proprement dits, ou, comme parlent les Écossais, de la perception extérieure et des sensations qui s'y rattachent.

Quelles sont les données de chacun de nos sens, analysés l'un après l'autre? Parmi ces données, quelles sont celles qui sont propres à tel ou tel sens, et celles qui sont communes à tous? Comment s'accomplit, à l'aide de nos différents sens, la connaissance des choses matérielles ? Quelle est la portée, quelle est la valeur des informations des sens? Sont-elles véridiques ou trompeuses,

infaillibles ou sujettes à l'illusion et à l'erreur? Nous font-elles connaître l'existence des corps, leurs propriétés absolues et jusqu'à leur essence? Voilà les questions que nous allons traiter successivement.

Nous commencerons par le sens de l'odorat, comme fait Condillac dans le Traité des Sensations; mais nous n'imiterons pas sa méthode. Il prétend observer une statue que son imagination anime par degrés et dont les sens s'ouvrent successivement. On voit, du premier coup d'œil, tout ce qu'il y a de factice dans un tel procédé. La statue interrogée répond tout ce que veut l'interrogateur : elle ne lui renvoie que le fidèle et complaisant écho de ses hypothèses.

Ne faisons point le roman de l'âme, essayons de tracer quelques lignes de son histoire. Le sens de l'odorat est un de ceux qui peuvent le plus aisément être isolés. Quels sont ses objets propres? Évidemment les senteurs. Toutes les exhalaisons si diverses, si nombreuses qui émanent des corps, voilà son domaine. Jusque-là tout est simple. Mais qu'est-ce précisément qu'une odeur? est-ce une simple modification de la sensibilité, un phénomène tout interne, tout spirituel, tout subjectif? ou bien est-ce une impression organique, un état des nerfs? ou bien, est-ce une qualité des choses matérielles, une propriété, une donnée objective? ou enfin, est-ce tout cela à la fois? C'est ici que commencent les difficultés et qu'on voit apparaître les systèmes. Analysons les faits; considérons une odeur, non pas l'odeur en général, mais telle ou telle odeur particulière : l'odeur de rose, par exemple.

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