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que ces génies supérieurs où se reflète toute une face de l'esprit de leur siècle, se présentent trop isolés, j'en conviens, de leur milieu, de leurs précurseurs et de leurs descendants immédiats. C'était un défaut inévitable, dès que je m'étais fait une loi de ne pas coopérer à ce livre autrement que comme éditeur, de n'y rien admettre qui ne fût purement de M. Émile Saisset. Là est son prix. Je n'ai fait exception qu'en faveur du présent Avertissement, pour l'étendue duquel je demande grâce. Je l'aurais retranché volontiers, s'il ne m'avait semblé placé ici à-propos pour l'édification de ceux qui liront ces études, comme pour la justification de l'auteur et de l'éditeur.

AMÉDÉE SAISSET,

PROFESSEUR AGRÉGÉ DE

PHILOSOPHIE.

Décembre 1864.

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Le scepticisme, entendu dans son sens le plus rigoureux, est l'opposé du dogmatisme. Il consiste, non pas dans une simple disposition de l'esprit à douter, non pas dans un doute partiel, mais dans un doute systématique et universel, aussi précis que la science, aussi vaste que l'esprit humain. Son origine et son développement tiennent à des causes générales inhérentes à la nature de l'esprit humain, et aussi à des causes particulières, à l'état moral de telle société, telle situation de la philosophie en un moment donné, par exemple l'état de la société et de la philosophie françaises à la fin du dix-huitième siècle.

La psychologie et l'histoire ont signalé dès longtemps les causes générales du scepticisme et marqué la loi de son développement. Je n'ai besoin que de les rappeler. L'homme abuse de tout, même des meilleures

choses. L'homme abuse de la foi : il devient fanatique. L'homme abuse de la science: il veut tout savoir, tout expliquer. L'homme abuse du doute : il devient sceptique. Tant qu'il y aura des hommes, il y aura des abus, il y aura des sceptiques.

Mais comment cet abus du doute qui est le scepticisme devient-il, non plus une simple disposition de l'esprit humain, mais un système, une école de philosophie? L'histoire nous l'apprend. L'esprit sceptique n'apparaît jamais qu'après un grand développement de l'esprit dogmatique. Là où la spéculation n'a pas abordé le problème de la nature et de l'origine des choses, il n'y a point de scepticisme. Dans l'Inde, point de sceptiques; pourquoi? C'est que la raison n'a pas encore essayé ses forces d'une manière grande et complète. Au moyen âge, point de sceptiques, parce que la foi religieuse domine, parce que les problèmes philosophiques ne sont pas abordés de front. Le scepticisme a commencé en Grèce, parce qu'en Grèce s'est produit le premier grand développement de la raison humaine. Les premiers philosophes de la Grèce abordent le problème philosophique avec une ardeur et une naïveté admirables. Lisez leurs écrits, les débris du moins qui nous en restent; ils parlent de la nature des choses, mais chacun envisage l'univers à un point de vue particulier. Thalès, Héraclite n'en voient que la surface mobile et réduisent tout à un éternel devenir. Pythagore et Parménide ne s'attachent qu'au principe immuable, aux nombres, à l'unité, à l'être. De là deux grandes écoles. Un jour elles se rencontrent à Athènes,

se heurtent, se brisent. Le scepticisme apparaît sous la forme de la sophistique.

Poursuivez. Socrate apporte une méthode nouvelle. La spéculation reprend son essor. Platon fonde son école, attire à lui toutes les intelligences et a pour auditeurs Speusippe et Xénocrate, Aristote, Démosthène, Euripide, sans parler des orateurs hommes d'État et généraux d'armée. Mais voici Aristote qui élève école contre école. Il combat son maître sur tout l'ensemble des problèmes philosophiques, et établit à son tour sa doctrine. Nouvel antagonisme entre l'Académie et le Lycée; nouvelle lutte. Le scepticisme se montre sous la forme du pyrrhonisme.

Mais la sève de la philosophie grecque n'est pas épuisée. Deux grandes écoles se partagent les esprits pendant trois siècles, l'école épicurienne et l'école stoïcienne. Elles luttent; elles se portent des coups mortels. Qui profite de ce combat? Le scepticisme, d'abord sous le nom d'école académique, de nouvelle Académie, d'école de la probabilité, puis, bannière déployée, sous le nom de nouveau pyrrhonisme; et ici, vous voyez le plus grand développement de l'esprit sceptique de la Grèce. Les livres de Sextus Empiricus sont l'arsenal complet du scepticisme grec, personnifié dans Ænésidème.

Aux jours de la renaissance, même spectacle. Le scepticisme se montre d'abord sous la forme antique, comme les écoles dogmatiques. Mais ce n'est là qu'ur prélude. Bacon et Descartes fondent la philosophie moderne. Une lutte s'engage d'une part Hobbes,

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