ne pas détruire ce qui fait notre gloire. Ainsi abandonnons tous ces systèmes de prosodie nouvelle, et les vers métriques de BAÏF, JODELLE, DESPORTES, TURGOT, qui, certes, ne seroient pas la perfection, mais la décadence de la poésie française. Médire de notre poésie n'est pas d'un heureux augure pour celui qui se le permet. Voyons : A quel dieu dois-je donc le bonheur de mon âme? Intéresser la vanité ! Mais non, tu ne pourrois être un amant perfide; Que l'avant-dernier vers est dur, et de combien d'adjectifs les autres sont chargés et embarrassés ! Ceux qu'on va lire le sont bien davantage. Blanche Cydno, délicate Amynthone, Douce Pyrine, intéressante Athis, Vous dont Euterpe anime les accens, Pour le charmer, adressez-lui (*) vos chants. Formez les pas qu'aime la volupté. Avant de finir cette pièce, on trouve encore un mot à Damophyle, ornement de la Grèce, et à la sensible TÉLÉSILE. Multiplier si fort les épithètes, ce n'est pas faire de la poésie ; c'est rendre son style diffus et traînant ; car rarement, quand on recherche tous les synonymes compilés par l'abbé GIRARD et BEAUZEE, trouve-t-on l'expres. sion caractéristique. Combien de femmes sont agréables comme GELLONE, que l'auteur eut pu, sans nous indisposer, trouver aimable, charmante, adorable, etc. Ce n'est pas ainsi que doit peindre un poète. Voyez dans M. DELILLE le sage emploi de pa (*) A Phaon. reilles expressions, comme elles fixent l'attention, parce qu'elles ne sont que trop multipliées: Là, sont la jeune Apis aux yeux pleins de douceur, 9 Toutes deux se vantant d'une illustre origine, Dans la cinquième élégie du deuxième chant, SAPHO s'engage à céder aux désirs de PHAON. II nous semble qu'une femme ne promet pas d'une manière aussi formelle des faveurs, que la plus sensible et la plus aimante, dit madame de WARENS, peut laisser dérober, mais ne donne jamais; des faveurs qu'HÉLOÏSE et SAPHO accordèrent, mais qu'elles n'offrirent pas. Cette dernière, pour faire sentir à son amant le prix de son sacrifice, lui rappelle sa conduite dans les principales époques de sa vie. Oui, je t'aime Phaon, et mon amour extrême 1 Ce dernier vers est excellent ; mais celui-ci : Impitoyable hymen ! il fallut te subir! Quelle image! Ne valloit-il pas mieux mettre il fallut obéir. Cette résignation eut été plus décente. BERTIN a décrit la même situation avec plus de chaleur et plus de réserve ; cependant c'est un homme qui parle! Le reproche de trop de nudité paroîtra bien plus à sa place dans le passage suivant, où sont retracés les plaisirs d'une aimable nuit, A l'œil perçant des femmes de Lesbos, Que notre encens plait au Dieu de Paphos. Voilà un lit bien disert. Et nos désirs, et nos jeux pleins d'appas, Il est bien temps. Tu leur peindrois nos langueurs, nos ébats, Fi! quelle peinture! et qu'elle dure et rauque contexture de versification. LEMIERRE n'eut pas mieux réussi à blesser nos oreilles. C'est généralement le défaut de la muse de M. GORSE. Ne songeoit-il donc pas qu'il étoit l'interprète de cette femme sensible, qui sut peindre avec les couleurs les mieux assorties ce que la nature offre de plus riant; dont le goût étoit si pur, qu'à force de soin elle faisoit disparoître le cachet du travail; point de heurtemens pénibles, dit BARTHELEMI, point de chocs violens entre les élémens du langage; et l'oreille la plus délicate trouveroit à peine, dans une pièce entière, quelques sons qu'elle voulut supprimer. D'après ce tableau fidèle du génie de SAPHO, qui pourra la reconnoître dans les vers suivans? Dans un objet aimé tout plaît et nous enchaîne La question renfermée dans ce vers un peu dur, me rappelle une anecdote que je consigne ici, parce que tout le monde aime les anecdotes. La nourrice d'une de mes sœurs vint la voir; elle la trouva embellie. Qu'elle est grande! dit-elle, quels beaux yeux! ils seront bientôt le miroir de tous les jeunes-gens. Et elle disoit cela en patois, ce qui rendoit son exclamation plus expressive. A quélis yels saran lé mirail, dé toutis les goujats. Mais revenons au crystal de M. GORSE ou de SAPHO. Eh! s'il falloit pour plaire à ce héros charmant, |