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RAPPORT fait à l'Institut sur les Antiquités de Mons Seleucus, au pays des Voconces, aujourd'hui Labatie Mont Saléon, département des Hautes-Alpes, par M. DE LA DOUCETTE, préfet (1).

La plaine de Mons Seleucus, aujourd'hui Labatie Mont Saléon, est située sur le même parallèle que Viviers, et à 3 minutes à l'orient du méridien dé Grenoble, latitude septentrionale 44° 28' 54"; différence du méridien de Paris 30 25 13" orient. Elle est parfaitement horizontale. Dans cette plaine s'étendoit la ville que les itinéraires nomment Mansio Mons Seleucus, et qu'ils placent à la jonction des voies de Milan et d'Arles à Vienne, à 79 milles romains de Valence (Civitas Valentia), et à 31 milles de Gap (Mansio Vapincum).

L'an 353 de l'ère chrétienne, le 10 ou le 11 août, l'usurpateur Magnence fut vaincu par les lieutenans de Constance, au sud-est de la plaine de Mons Séleucus, sur les bords du torrent de Malaise. Là un champ se dit encore Batailler;

(1) Ce mémoire a été lu à la classe d'Histoire et de Littérature ancienne de l'Institut et à celle des Beaux-Arts. Toutes deux ont adressé une lettre au Ministre de l'Intérieur, pour l'engager à faire continuer les fouilles.

près de là, un autre champ se dit l'Emperéiris; non loin est celui des Grâces.

La ville aura été saccagée par quelqu'un des peuples barbares qui, du cinquième au neuvième siècle, portèrent la désolation dans cette contrée.

On pense que la plaine et ses environs ont été ensuite couverts des eaux d'un lac qu'auront formé les deux Buech, torrens voisins, dont le cours aura été fortuitement arrêté par des éboulemens de rochers qui leur auront opposé une espèce de digue. A quelque distance est encore le village de Chabestan, caput Stagni, qui devoit se trouver à la tête du lac. Les dépôts et les alluvions sous lesquels sont ensevelis, à un mètre et demi de profondeur, les ruines de Mons Seleucus, prouvent que la ville a été submergée. La formation de ces lacs, leur écoulement rapide lorsque les torrens se sout ouverts un passage, doivent fixer dans les Alpes l'attention des Géologues. Ils en voient des traces près de la Roche, près de Gap, près du Bourgdoisans, etc. M. Héricart de Thury, ingénieur des mines, dont les recherches me serviront dans ce rapport, a fait des observations curieuses sur ces phénomènes de la nature qui peuvent expliquer ici le silence de l'histoire et de la tradition sur Mons Seleucus, après la défaite de Magnence.

Cette bataille, la position de Mons Seleucus, quelques objets que le soc de la charrue avoit mis au jour dans la plaine, 30 mètres courans

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de murs qu'on y découvrit dans l'espace de trois heures, sous les yeux de mon prédécesseur, voilà ce qui m'a déterminé à entreprendre des fouilles. Pendant deux mois d'hiver, en l'an XII, j'y employai les malheureux des environs; j'y consacrai personnellement une somme d'envi~ ron 4,000 fr.; les habitans de Labatie Mont Saléon y donnèrent pour 500 fr. d'ouvrages (2). M. Duvivier, inspecteur des contributions, présidoit aux recherches.

Parcourons rapidement nos découvertes.

Un édifice dont l'enceinte est de 194 mètres de long sur 122 de large. Il se compose d'une façade regardant le nord, qui, dans l'origine, formoit péristyle, ainsi que l'annoncent les colonnes existantes; elles sont d'une pierre calcaire, grenue, composée d'une grande quantité de fragmens de coquilles. Les quatre principales colonnes, qui annoncent l'entrée, ont encore leur base en place, et paroissent attiques. Seize autres sont de chaque côté; leur diamètre est de 8 centimètres, elles sont posées sur un socle sans tore, et construit de cinq morceaux rapportés et unis par un mortier ou ciment aussi dur que la pierre même. Les murs principaux sont bien conservés; ils ont environ deux mètres de fondation. Dans plusieurs pièces, à un mètre de profondeur au-dessous de la surface du sol, on a trouvé des glacis peints en rouge et aussi

(2) Honneur à ces bons habitans! ils ont en général plus de sens que leurs voisins, et une plus forte stature.

polis que le marbre. On reconnoît aisément les cours à un pavé placé sur le sol recouvert d'un glacis général qui supporte un second pavé. La couleur de la terre, à une certaine profondeur, indique les parties qui étoient en jardin, et la terre y est meuble; ailleurs elle a presque la dureté du grès. Près de ce bâtiment, un autre, qui est presque aussi vaste, renferme une usine, un bassin demi-circulaire, construit en chaux et ciment, ayant 4 mètres de profondeur et en diamètre, des fours, des cuves maçonnées revêtues de plusieurs couches d'un ciment très-fin, des canaux et des aqueducs enduits dans toute leur étendue, des appartemens pour les chefs de la fabrique, les logemens des ouvriers, les jardins, etc. Au-devant, des rues aboutissent à une grande place et à l'avenue de l'édifice principal: celui dont on vient de parler étoit environné de beaucoup de maisons. On en a découvert en outre sur plusieurs points de la plaine. Les deux édifices principaux ont été dessinés.

On observe que le rocher sur lequel est bâti le village de Mont Saléon est un poudding de gros galets agglutinés, sur lequel est appuyé un mauvais schiste-argillo-calcaire, tendre et d'une décomposition facile. Les matériaux dont on a bâti Mons Seleucus, ont été cherchés dans les montagnes, et excitent encore l'admiration.

On n'a trouvé en peinture qu'un échantillon de draperie bleue et blanche sur un fond rougeâtre,

On possède plusieurs statuettes en bronze, deux Mercures, un Priape, un Triton, un Polyphème qui va dévorer un des compagnons d'Ulysse, un squelette, deux bas reliefs représentant, le premier un Satyre et une Nymphe, le second deux chimères; un disque, une petite vache, le tout en bronze : des fragmens de statue d'albâtre, offrant un sein en partie drapé; un groupe mithriaque avec une inscription; monument rare, parce qu'on ne connoît encore que des bas-reliefs relatifs au culte de Mithras; plusieurs fragmens de bas-reliefs en marbre; une tête d'Apollon, gravée en creux sur un jade verdâtre; l'ersée qui coupe la tête à Méduse, sur une pâte antique; beaucoup de fragmens de mosaïque; un très-grand nombre de vases de verre et de terre, dont quelquesuns offrent des dessins d'une grande élégance; des amphores, dont une a 6 décimètres de diamètre sur 8 de hauteur: elle contenoit des ossemens et une bouteille de verre blanc qui renfermoit des cendres et du sel. Les vases donnent une haute idée de l'art de la poterie dans les temps anciens; il en est sur lesquels les Romains ont gravé des inscriptions, probablement dans le cours de leurs repas: on voit sur quelques-uns les symboles les plus bizarres de la religion; sur beaucoup on voit le nom et la marque du fabriquant.

On possède des instrumens de culture, faulx, faucilles, serpes. forceps, p:oches, pointroles de fer; des instrumens de fonderies ou de for

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