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NOTICE sur les Lettres de Mlle. Aïsst à Madame C.

Avez lu Baruch, disoit La Fontaine à tous ceux qu'il rencontroit? Moi je suis tenté de dire à tout le monde avez-vous lu mademoiselle Aïssé? Quel est ce roman, va-t-on me dire? Madame ce n'est pas un roman, c'est une histoire ; c'est mieux que cela si vous voulez ; c'est un recueil de lettres écrites simplement et avec élégance par une femme aimable et sensible. Mademoiselle Aïssé était, suivant toute apparence, fille d'un prince circassien; les Turcs, ayant pris et pillé sa patrie, l'enlevèrent; elle n'était âgée que de quatre ans, et devoit être conduite dans le serail du sultan. M. de Férioles, ambassadeur de France à la Porte, la vit ; il s'attendrit sur le sort' de cet enfant et l'acheta ; il revint avec elle, et la fit élever avec ses deux fils, M. Pondevelle connu par d'agréables comédies, et M. d'Argental célèbre par sa correspondance avec Voltaire.

Mademoiselle Aïssé grandit; ses grâces, sa beauté se développèrent; M. de Férioles en devint amoureux. Elle résista avec courage à la séduction des maximes et des exemples qu'on lui citoit; et son coeur ne put payer les tendres affections de son bienfaiteur, que par la plus.

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vive reconnaissance. L'amour ne se commande pas. Ses caprices ne sont pas toujours favorables à la vieillesse et vraisemblablement M. de Férioles ne ressembloit pas à Anacréon, qui sut cacher ses cheveux blancs sous des couronnes de roses.

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Mademoiselle Aïssé se fit distinguer dans une société brillante par une charmante figure par une belle âme, par beaucoup de candeur, et un caractère qui la faisoient admirer et chérir. Elle fit connoissance chez madame du Deffand avec le chevalier Daidy; elle l'aima presqu'en le voyant; elle sentit sa foiblesse et voulut la vaincre. L'exécution d'un tel projet n'étoit pas aisée, après qu'elle eut confié son secret à une amie facile, qui l'empêcha de fuir. Une femme de beaucoup d'esprit, ( madame A. ) en parlant des Anglais qui sont toujours tristes, moroses et persécutés par l'ennui du lendemain, disoit « Je crois que l'ennui est comme l'amour, à » force de le craindre, on s'y livre. » Mademoiselle Aïssé le craignit tant, qu'elle fut bientôt entièrement vaincue. Le coeur, disoit madame Staal qui s'y connoissoit, ne manque guère de trahir la raison, quelque leçon qu'il en ait reçue. C'est pendant qu'elle étoit livrée à cette foiblesse et qu'elle s'en repentoit, qu'elle écrivoit à madame C... les lettres que nous avons sous les yeux; nous y voyons qu'avant de mourir elle surmonta le penchant de son cœur. Ses épîtres ont à cette époque un charme inexprimable. Le chevalier n'est plus un amant; mais comme

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ami il lui doit des attentions, des égards et des soins. Elle est malade; écoutons comme elle en parle. « Rien n'approche de l'état de douleur » et de crainte où il est cela vous feroit pitié. » Tout le monde en est si touché que l'on est » occupé à le rassurer; il croit qu'à force de » libéralités, ils rachetera ma vie. Il en donne » à toute la maison, jusqu'à ma vache, à qui il » a acheté du foin. Il donne à l'un de quoi faire » apprendre un métier à son enfant ; à l'autre. » pour avoir des palatines et des rubans ; à tout » ce qu'il rencontre et se présente devant lui; cela » vise quasi à la folie. Quand je lui ai demandé » à quoi tout cela étoit bon? Il m'a répondu : » à obliger tout ce qui vous environne, à avoir » soin de vous. » Quel tableau! que d'esprit, quelle douceur il présente! et quel étonnement, quand on songe que l'auteur se mouroit.

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Ce petit volume, presque ignoré aujourd'hui, ressemble-t-il à madame de Sévigné? Eh! non, qui vous a dit que cela lui ressemble? Mais eston sans mérite parce qu'on n'est pas aussi bien qu'elle? Faut-il prononcer dans chaque genre,

Défense à tous de concourir?

IMBERT.

Après Lafontaine, après madame de Sévigné on peut faire de bonnes fables et de jolies lettres, sans écrire aussi parfaitement qu'eux. Est-ce à nous qui sommes si riches, dans le style épistolaire, de vouloir tout borner à une seule ma

nière? En ne citant que des femmes, combien de noms s'offrent de suite à mon souvenir ! La maréchale de Rochefort qui écrivoit à soixante ans à madame de Maintenon, avec tout le feu, toute la fraîcheur, toute la vivacité de la jeunesse ; madame de Caylus, dont M. de Labeaumelle a publié plusieurs lettres charmantes ; madame du Maine, dont les saillies et la finesse réjouissoit les meilleurs esprits de son temps; et cette duchesse de Bourgogne, dont les lettres sont pleines de franchise, et d'une grâce qui donne du prix aux moindres bagatelles ; et cette madame de Coulanges qui alloit à la cour sans titre, et dont l'esprit était une dignité; et tant d'autres plus connues, dont la liste ne finiroit pas.

Celles de mademoiselle Aïssé ont le mérite d'être simples, naturelles, et de contenir des anecdotes piquantes sur des personnages célèbres. Elle recueilloit, comme madame du Noyer, les historiettes amusantes de son siècle ; mais elle les raconte dans un style plus délicat et plus aimable. Cet ouvrage est devenu si rare, qu'on ne sera pas fàché d'en trouver ici des fragmens. « Il y a un nouveau livre intitulé ; Mémoires » d'un Homme de Qualité, retiré du Monde. » Il ne vaut pas grand chose, cependant on en » lit cent quatre-vingt-dix pages en fondant en »larmes. » Cela ressemble à celui qui, entendant un sermon du petit P. André, disait en sanglotant: Cela n'a pas le sens commun. Et à peine ce trait lui est échappé qu'elle parle tout de suite

d'autre chose! « Le beau de la Mothe-Haudan>> court, recherché des plus belles et des plus riches » dames de la cour, a donné congé à madame » la duchesse de Duras, pour la Entie, actrice » à l'Opéra, dont il est fou; il ne la quitte point, » et on les prie à souper comme mari et femme. >> On dit que c'est charmant de voir l'étonnement » dela Entie et l'enthousiasme de la Mothe. >> N'estce pas un peu le style du modèle par excellence? « Il y a des temps où les choses ne font pas au>> tant d'impression. C'est suivant l'état du cœur ; » quand il est satisfait on glisse facilement sur » les épines qui se rencontrent toujours dans la » vie. » Quelle profondeur ! quelle vérité ! quelle philosophie dans ces paroles!..... « Les partis » sur mademoiselle Lemore et mademoiselle » Pélissier, deviennent tous les jours plus animés.. » Il y a des disputes dans le parterre si vives, » que l'on a vu le moment où l'on en viendroit » à tirer l'épée. » On faisoit alors comme on fait aujourd'hui, comme on fera demain. Il est dans la nature de l'homme de se passionner sur les bagatelles comme sur les choses les plus importantes, et d'être extrême dans ses mouvemens et dans ses préférences. Heureux les peuples où les lois sont assez fortes pour réduire à un simple jeu d'esprit, des opinions, qui sans elles deviendroient des combats.

Cherchons la vérité, mais d'un commun accord,
Qui discute a raison, et qui dispute a tort.

RHULIÈRES.

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