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tionnaire à douze cents francs était plus honorable. M. de Béranger chansonnait toujours, mais ces chansons étaient éparses dans divers recueils lyriques, d'autres n'étaient connues qu'en manuscrit; il prit le parti de les rassembler, et à la fin de 1815, il fit paraître un volume sous le titre de Chansons morales et autres, in-18. Comme il ne contenait rien qui ne fût connu du public, l'Université ne crut pas devoir sévir alors contre son expéditionnaire, mais elle l'engagea toutefois à ne point recommencer, attendu qu'on serait, à regret, contraint de sacrifier une autrefois et Gaudriole, et Bacchante, et Frétillon au décorum universitaire. Le retour des Bourbons, en 1814, ou pour mieux dire de l'ancien régime, vint fournir à notre chansonnier matière à bon nombre de satires qui, imprimées séparément et clandestinement, circulaient dans les ateliers et dans les sociétés chantantes et politiques des premières années de la Restauration. Les désastres de nos armées lui fournirent aussi le sujet d'admirables élégies nationales, toutes empreintes d'un grand patriotisme et aussi de quelque peu de bonapartisme. Notre poète n'était cependant pas grand partisan des tyrannies de l'Empire. Mais quand il vit le lion renversé, insulté par ceux-là même qui rampaient à ses pieds, les vicissitudes de cette grande destinée émurent son âme ; une sorte d'intérêt poétique s'empara de lui, et il répandit des larmes sur les malheurs de l'homme qui, pendant sa puissance, n'avait obtenu de lui qu'une satire [le «Roi d'Yvetot »]. Le public, qui ne connait de M. de Béranger que des chansons, ne se doute pas de la variété des travaux de cet écrivain; il est peu de genres que M. de Béranger n'ait cultivé en secret, et le théâtre a été long temps et est encore peut-être aujourd'hui la pensée de ses plus beaux rêves; aussi a-t-il composé, en 1816, en société avec MM. Moreau et Wafflard, une pièce politique intitulée les Caméléons, comédie-vaudeville en un acte. Notre poète ne voulut point se faire connaitre comme principal auteur de cette pièce, pas même comme y ayant eu part. Nous pensons que cette pièce de théâtre est la seule qu'il ait fait jouer. La tournure de son esprit le portait davantage vers

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la chanson, et son amour de l'indépendance ne pouvait guère se prêter aux exigences d'une censure préventive. M. de Béranger l'a dit : « Je suis chan» sonnier. Fronder les abus, les vices, » les ridicules, faire chérir la tolérance, » la véritable charité, la liberté, la patrie, voilà ma mission. » C'est à cette haute mission qu'il se consacra tout entier; il l'accomplit avec une ardeur et un dévouement admirables. En 1821, il fit paraître un nouveau recueil de chansons,en 2 vol. in-18, ou pour mieux dire une réimpression des premières, augmentées d'un nouveau volume. Elles eurent un succès immense; mais la congrégation, qui préludait alors aux triomphes qu'elle a depuis obtenus, fut scandalisée, et vociféra contre l'Anacréon de la vieille gloire française. Le 27 octobre de cette même année 1821, il fut dénoncé par le « Drapeau blanc dont le rédacteur gourmanda vertement la police qu'il accusait de complicité, et lui reprochait de ne point sévir contre le chansonnier. « S'il n'y a point eu connivence, disait le charitable rédacteur (Martainville, ancien comédien, et auteur de Grivoisiana, livre le plus ordurier qui soit au monde), s'il n'y a pas eu connivence, on ne peut du moins s'empêcher de remarquer l'étrange irréflexion de l'autorité répressive.» Après une telle dénonciation, la police fut contrainte de poursuivre, et le surlendemain, 29 octobre, la saisie des chansons fut pratiquée. La police en saisit quatre exemplaires sur les dix mille qui en avaient été imprimés. De son côté, l'Université destitua le satirique, bien qu'il n'y eût encore contre lui que prévention de criminalité. Traduit devant la cour d'assises de la Seine, le chansonnier patriote, malgré une défense très-spirituelle de M. Dupin aîné, fut, sur le réquisitoire de l'avocat-général Marchangy, condamné, le 8 décembre 1825, à trois mois de prison et 500 fr. d'amende, comme coupable d'outrage à la morale publique et religieuse, et l'on interdit aux journaux la publication de ce procès : on leur permit seulement de publier l'acte d'accusation. La presse libérale se souleva contre une semblable illégalité. Quant à M. Dupin, peu content de la suppression de son plaidoyer, et

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de n'avoir fait de l'esprit qu'entre les quatre murs d'un tribunal, il publia, de concert avec les libraires Baudouin, le « Procès des chansons de Béranger», en réimprimant textuellement les sept chansons condamnées. De là, colère du parquet, nouvelles poursuites, dont M. de Béranger fut renvoyé absous. Il est bon de dire que l'avis au lecteur impartial qui se trouve en tête de ce procès des chansons de M. de Béranger, et dans lequel on le fait parler à la première personne, n'est pas de lui, mais de M. Dupin. Malgré le châtiment, un peu sévère, qui lui avait été infligé, le chansonnier n'en continua pas moins son rôle de frondeur; il fit paraitre, en 1825, un troisième recueil de ses chansons. Celui-ci n'encourut aucunement les récriminations du parquet, grâce au soin qu'avait pris l'auteur de faire imprimer clandestinement les chansons qui auraient pu blesser les susceptibités de la police. Un nouveau recueil de chansons inédites, publié en 1828, ne fut pas aussi heureux : il fut poursuivi. Railler les révérends pères, les enfants de Loyola, c'était provoquer grande ment le courroux de la prêtraille. Aussi, la «Gazette de France ». ce journal d'une charité si chrétienne, et qui défend avec tant d'ardeur et de dévouement l'Église, le trône, le ciel et la morale publique, dénonça le « rimeur impie, le sale écrivain » qu'elle jugeait digne de triompher à Bicêtre ». C'est dans l'article de la «Gazette » qu'il faut lire les expressions dégoûtantes dont elle se sert pour rendre exécrable l'auteur de ces poésies charmantes qui font les délices des ateliers, des salons et des chaumières ; c'est à cet article, intitulé Bicêtre, la chaîne des forçats, Béranger», que nous renvoyons le lecteur. Et cependant! ce journal avait écrit, le 12 novembre 1821, lors de la première persécution des chansons de notre illustre barde: « Les véritables conspirateurs ne rient jamais; aimable et douce opposition qui s'évapore en flons flons, en brochures, en plaisanteries plus ou moins ingénieuses, les gouvernements n'en ont rien à redouter; c'est avec d'autres armes qu'on les ébranle. » Les jésuites n'étaient point encore à cette époque les maîtres du gouvernement. Signalées à l'animad

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version publique, signalées à la police, les chansons inédites de 1828 furent poursuivies. Défendu par Me Barthe, qui, malgré un plaidoyer tout plein de dignité et de chaleur, ne put le sauver, M. de Béranger, sur le réquisitoire éloquent et modéré de l'avocat-général Champanhet, fut condamné, le 15 octobre 1828, à neuf mois de prison et 10,000 francs d'amende, pour outrage à la morale publique et religieuse, et à la dignité royale. La France paya l'amende à l'aide d'une souscription ouverte chez deux amis du poète, MM. Bérard et Jacques Laffitte. Cette dernière persécution ne complètait pas la série des tribulations réservées à notre aimable poëte: un autre allait bientôt l'atteindre. M. de Béranger avait concédé aux libraires Baudouin frères le privilége d'exploiter pendant cinq ans la propriété de ses chansons édites et inédites. Six mille francs par an pendant ces cinq années avaient été alloués à l'auteur pour cette propriété. Trois ans avant l'expiration du privilége, à la fin de 1829, les frères Baudouin firent de mauvaises affaires, et furent dans l'impossibilité de remplir les engagements contractés avec l'auteur des chansons. C'était dix-huit mille francs que perdait le poète. Cette fåcheuse circonstance contrista singulièrement M. de Béranger, car là étaient toutes les économies de sa vie, et sa seule ressource pour ses vieux jours. Le désespoir de M. de Béranger toucha vivement l'un de ses amis, le meilleur des citoyens, le plus excellent homme, M. Jacques Laffitte qui, pour rendre à son ami sa tranquillité perdue, résolut d'user envers lui d'une généreuse supercherie, comme le seul moyen de venir à son aide. Un jour, d'après les instructions qu'il avait reçues de M. Laffitte, le chef honorable d'une maison de librairie de Paris, M. Hector Bossange, se présenta au poète comme désirant se mettre au lieu et place des frères Baudouin pour l'exploitation de ses ouvrages et aux mêmes conditions (*). Grande fut alors la joie

(*) Par conventions secrètes entre M. Laffitte et le libraire, le premier garantissait le dernier de toutes pertes provenant de tous marchés ou de l'exploitation à laquelle ils devaient donner lieu. M. Laffitte voulait encore

de M. de Béranger; la planche de salut ne pouvait s'offrir plus à propos ! Mais au milieu des pourparlers qu'entrainèrent cette négociation, l'idée naquit au poète que l'officieux libraire pouvait bien n'être que l'intermédiaire d'un ami généreux, et sur le champ tout fut rompu! De semblables traits d'une aussi exquise délicatesse tant de la part de M. Laffitte que de celle de M. de Béranger parlent assez d'eux mêmes pour n'avoir pas besoin de commentaire. M. de Beranger, qui n'avait cessé de guerroyer contre les abus, contre les vices et les ridicules des hommes de la Restauration, crut sa mission terminée en juillet 1830, et renonça dès lors à cette lutte d'opposition qu'il soutepait avec tant de courage et de persévérance depuis quinze ans. Néanmoins, il publia, en 1831, deux Chants patriotiques en faveur de la malheureuse Pologne, et des couplets à ses Amis devenus ministres ; puis, en 1833, un recueil de Chansons nouvelles et dernières, dédiées à Lucien Bonaparte. En renonçant à la chanson, M. de Béranger n'a pas renoncé à travailler pour le public. Il s'occupe aujourd'hui d'un ouvrage historique qui semble devoir piquer vivement la curiosité. « Je veux fai»re, dit-il dans la préface de ses œuvres » [1834], un Dictionnaire historique, » ou, sous chaque nom des notabilités politiques et littéraires jeunes ou vieilles, viendront se classer mes nombreux souvenirs et les jugements » que je me permettrai de porter ou que » j'emprunterai aux autorités compé» tentes ». Cet ouvrage ne doit être publié qu'après la mort de l'auteur.

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Une longue dissertation, pour prouver le mérite littéraire de chacune des chansons de M. de Béranger, serait ici superflue, parce que plusieurs écrivains l'ont fait avant nous et mieux que nous ne pourrions le faire (*). Nous nous borne

que tous les bénéfices au-delà des six mille francs soient destinés au poète, « me réser» vant, dit cet homme généreux, dans une » pièce que nous avons lue, dans le cas où » mon ami Béranger viendrait à décéder, » de disposer du profit, s'il y en a, et sans » avoir de compte à rendre, soit en faveur de » sa famille, soit en faveur des pauvres. » [Février 1830.]

(*) Notre principal but a été de faire connaître la vie de notre illustre chan

rons à dire, en général, que les chansons de M. de Béranger ont été louées comme elles le méritaient. Les critiques en ont vanté l'élégance et la versification. M. de Béranger est pourtant pļus qu'un élégant versificateur : c'est un orateur éloquent. S'il n'a pas étudié la rhétorique ni dans Aristote, ni dans Cicéron (*), ni dans Batteux, il n'en possède pas moins le secret de parler à l'esprit et au cœur, d'instruire et d'émouvoir. Ce n'est point en racontant les méfaits, les vices et les ridicules des gouvernants qu'il nous les fait haïr et mépriser; c'est en les faisant parler eux-mêmes, c'est en les faisant agir, en leur faisant dire leurs intentions, leurs souhaits, le but auquel ils tendent, les abus, les exactions dont ils vivent; c'est en nous en montrant victimes, ou exposés à en être victimes, que le poète nous remplit d'affliction, de honte et de colère, et qu'il a entretenu dans nos cœurs ce fervent amour de la liberté qui renversa les Bourbons. Pourquoi, en prêchant aux prolétaires, nous voulons dire aux travailleurs, la fraternité et le patriotisme, M. de Béranger ne leur a-t-il pas inspiré aussi le désir, l'ambition de s'élever par une conduite régulière, par l'amour du travail, l'amour de la famille et de l'humanité. En déifiant la grisette n'aurait-il pas contribué autant que l'abolition du divorce à propager le concubinage, cette plaie

sonnier mieux qu'elle ne l'a été jusqu'ici. Nous renvoyons nos lecteurs, pour des appréciations littéraires des diverses compositions du poète, aux ouvrages suivants: Notice sur P.-J. de Béranger, et Essai sur ses poésies, par M. P.-F. TISSOT, de l'Académie française, imprimé à la tête des chansons du poète, édition de 1829, et dans le tome v du «Dictionnaire de la conversation » ; Notice

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littéraire sur M. de Béranger, par Mad. H. ALLART DE THÉRASE, imprimée, en 1833, dans dans le tome XLVIII de la « Revue de Paris » ; Béranger, par M. Léon DE LA SICOTIÈRE. [Alençon, 1840, in-8 de 32 pages]; et quelques biographies récentes telles que celle des Hommes du jour », par MM. G. SARRUT et B. SAINT-EDME; la « Galerie de la presse »; la « Galerie populaire des contemporains illustres », par un homme de rien [in-18, 10o livr.], et quelques autres.

(*) M. de Béranger a toujours affirmé qu'il ne savait pas les langues classiques. On ne peut guère douter de ce que dit un homme de ce caractère; cependant, ajoute M. Tissot, dans sa notice sur notre poète, après avoir lu un certain nombre de ses belles chansons, qui respirent tout le parfum de la poésie antique,

des grandes villes? Mais ce n'est pas par ses chansons de table, par ses chansons érotiques, par ses exhortations aux plaisirs, à la débauche (*) que M. de Béranger s'est acquis une gloire impérissable, c'est par ses élégies nationales, par ses chants patriotiques et ses nombreuses satires politiques. Si l'on rangeait ces dernières suivant l'ordre chronologique des circonstances qui les ont motivées, on aurait la plus piquante histoire de la Restauration qu'il fût possible d'écrire. A notre opinion personnelle sur les chansons de M. de Béranger, nous en ajouterons une autre d'un bien plus grand poids que celle d'un bibliographe. Voici comment M. de Jouy, dans son «Essai sur la poésie légère », caractérise les ouvrages de M. de Béranger, qui, suivant Benjamin Constant, « fait des odes sublimes en ne croyant faire que des chansons « Un poète doué de la grâce et de la finesse d'Horace, d'un esprit à la fois philosophique et satirique, d'une âme vive et tendre, d'un » caractère qui sympathisant avec tou»tes les gloires, avec tous les maux de » son pays, s'assied, la lyre en main,

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on éprouve bien de la peine à se défendre de l'incrédulité. Mais si M. de Béranger n'a lu ni Homère, ni Virgile, ni Horace et leurs pareils dans leur propre idiôme, il n'en a pas moins fait de ces auteurs une étude approfondie, qui éclate par ses jugements sur eux, et surtout par sa manière de composer et d'écrire.

(*) "Il serait à souhaiter, dit M. Tissot, malgré la verve et la poésie dont elles brillent, que certaines chansons, empreintes d'une liberté vraiment cynique, ne figurassent pas parmi les belles et morales compositions de Béranger; du moins faudrait-il qu'elles fussent imprimées à part. Purgé de cet alliage qui en altère la pureté, le recueil de Béranger serait mis impunément entre les mains de la jeunesse, à laquelle un écrivain doit tant de

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» sur le tombeau des braves et fait répéter, à la France en deuil, les plain»tes harmonieuses qu'il exhale dans >> des chants sans rivaux et sans modèles. J'ai nommé Béranger. Poète na

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tional, il a créé parmi nous ce genre » de chansons, et s'est fait une gloire à » part dans toutes les autres. Par un talent, ou plutôt par un charme qu'il » a seul possédé, il a su rassembler, » dans des poëmes (*) lyriques de la plus petite proportion, la grâce antique et la saillie moderne, la poé» sie philosophique et le trait de l'épigramme, la gaieté la plus vive et la » sensibilité la plus profonde; en un » mot, tout ce que l'on a de plus raffiné, et tout ce que la nature a de plus >> aimable. » Quoique M. de Béranger >> eût chanté :

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« Oui, chanson, muse, ma fille, J'ai déclaré net,

Qu'avec Charles et sa famille

On te détrônait. »

dans sa chanson à ses amis devenus

ministres, il promettait de chanter les bienfaits de la liberté. « Je vais chanter >> ses bienfaits dans la rue », disait-il; le patriote n'a pas tenu parole. La muse de M. de Béranger est plus monarchique que républicaine, car personne, en 1830, ne s'éleva plus que lui contre le gouvernement républicain, c'est-àdire un gouvernement populaire, qu'il déclarait impossible et dangereux. [Voyez les «Souvenirs de la révolution de 1850, par M. Bérard. » 1830, p. 117.] Nous terminerons cette notice par une appréciation du caractère de M. de Béranger; nous l'empruntons à la « Galerie de la presse (**)»: elle nous a paru très-vraie:

« Si Béranger est remarquable par l'élévation de son génie, il l'est encore respect. Nous avons entendu plusieurs amis plus peut-être par l'élévation de son

de la personne et de la gloire de Béranger, exprimer ce vœu. » Ce sont aussi ces chansons licencieuses qui ont déterminé un homme aussi recommandable par sa science et son esprit que par sa conscience, M. le baron Massias, à porter sur M. de Béranger, dans son Mouvement des idées dans les quatre derniers siècles, etc.» [1837, in-8] le jugement que voici: « Béranger Tyrtée de l'esprit français, qui le mène, non aux combats, mais à la joie, au rire, aux festins, à la folie insouciante, et qui trop souvent méconnaît dans le peuple la dignité de l'homme, et ne respecte pas assez sa muse, Phobo digna locuti. Ses plus belles chansons, je voulais dire odes, sont celles peut-être dans lesquelles il n'a pas blessé la morale. »

(*) Cette dénomination est si juste, que plusieurs des chansons de M. de Béranger ont servi de thèmes à des pièces jouées au théâtre du Palais-Royal; telles sont celles-ci entre autres : les Chansons de Béranger, le Tailleur et la Fée, la Marquise de Prétiniaille, le Marquis de Carabas, etc. Pannard et Collé, les maîtres avant M. de Béranger dans la gaie science, n'ont jamais obtenu, pour leurs chansons, l'honneur d'être mises en action.

(**) L'article Béranger de ce recueil est de M. L. Huard [de l'île Bourbon], qui a eu le talent de dire beaucoup de choses en peu de mots. Nous l'avons copié ici plus d'une fois.

caractère. La conduite de notre grand poète ne s'est pas démentie depuis trente ans, et, dans un siècle de corruption générale, Béranger est toujours resté un simple chansonnier, pauvre et indépendant, ne flattant que les vaincus, n'acceptant aucune des places que ses ainis, devenus puissants, voulaient lui offrir; refusant d'ouvrir à la fortune quand elle vient frapper à sa porte, et vivant au milieu de Paris comme un philosophe de Rome ou de Sparte. Si Béranger avait tenu de sa famille un héritage de deux mille francs de rente, jamais il n'eût spéculé sur le produit de ses ouvrages; il n'est personne_au monde à qui il répugne plus qu'à Béranger de faire, de la poésie, métier et marchandise. La preuve en est qu'aujourd'hui notre chansonnier se contente bien modestement du mince revenu que lui ont valu ses trois recueils. N'ayant que tout juste ce qu'il faut pour vivre, il dédaigne d'en gagner davantage, et pourtant les libraires achèteraient à prix d'or quelques feuilles couvertes de l'écriture du célèbre poète. Long-temps on a cru dans le public que Béranger avait accepté les offres généreuses de plusieurs personnages trèsriches, et entre autres de M. Laffitte; inais il n'en est rien, et Béranger, sauf le traitement que lui fit Lucien pendant quelques années, n'a vécu que de ses modiques appointements de commis au ministère de l'Instruction publique, ou des modiques revenus que lui ont valu ses travaux littéraires. Lors des condamnations que le chansonnier éprouva sous la Restauration, on fit des souscriptions pour payer les amendes; mais on ne peut pas nommer cela des secours, puisque, pendant que les souscripteurs payaient quelques pièces de cinq francs, Béranger lui-même payait de sa personne dans les prisons de la Force et de Sainte-Pélagie. Béranger, après avoir habité assez long-temps un petit logement dans la rue de la Tour d'Auvergne, s'était retiré dans une petite chambre à Passy, moitié par mesure d'économie et moitié pour échapper aux importuns de Paris. Depuis deux ans, l'ermite-chansonnier, dont la mélancolie semble s'augmenter chaque jour, est allé se réfugier d'abord à Fontainebleau, puis enfin au fond de

la Touraine, où il se trouve actuellement. C'est à Tours, dans une des plus modestes maisons de la rue Chamoineau que Béranger travaille en silence au vaste ouvrage qui contiendra son appréciation sur les hommes et sur les événements qui se sont succédé en France depuis trente ans. Quelque impatience que le public ait à connaître cet ouvrage, on doit désirer que son apparition soit aussi reculée que possible, car il ne verra le jour qu'après la mort de l'auteur. Les historiens futurs pourront puiser hardiment à cette source précieuse, parce qu'ils seront certains que le jugement laissé par Béranger aura été rendu par la conscience d'un honnête homme. >>

OUVRAGES DE P.-J. DE BÉRANGER.

I. Chansons morales et autres, par P.-J. de Béranger, convive du Caveau moderne, avec gravures et musique. Paris, Eymery, 1815, in-18.

II. Avec MM. Moreau et Wafflard: les Caméléons, com.-vaud. en un acte et en prose. Paris, Mme Masson, 1816, in-8.

M. de Béranger n'est pas nommé sur la pièce.

III. Chansons par J.-P. de Béranger. Paris, les marchands de nouveautés, 1811, 2 vol. in-18.

Cette édition renferme les chansons mora

les et autres imprimées en 1815, un grand nombre de chansons qui depuis cette époque [1815] avaient été publiées dans divers almanachs chantants, et quelques chansons inédites. Elle devint l'objet des poursuites du ministère public, et l'auteur fut condamné à trois mois de prison et à 500 fr. d'amende. Le compte-rendu de ce procès se trouve dans un petit volume intitulé: Procès fait aux chansons de P.-J. de Béranger, avec le réquisitoire de M. Marchangy, le plaidoyer de Me Dupin, l'arrêt de renvoi et autres pièces. [Paris, les marchands de nouv., 1821, in-18]. Ce petit volume, publié par M. Dupin, et où l'on avait réimprimé textuellement les chansons condamnées, fut aussi poursuivi; mais M. de Béranger qui, d'après l'introduction, en semblait être l'éditeur, fut renvoyé absous, ainsi que l'imprimeur Baudouin. On publia également la relation de ce nouveau procès; elle est intitulée: Procès fait à MM. de Beranger el Baudouin, prévenus, l'un comme éditeur, l'autre comme imprimeur, d'avoir publié textuellement et dans son entier l'arrêt de la chambre du 27 novembre 1821, qui renvoie M. de Béranger devant la cour d'assises comme auteur des chansons relatées dans ledit arrêt. [Paris, de l'impr. de Baudouin, 1821, in-18].

Málgré la surveillance de la police, plusieurs éditions subreptices furent imprimées sous la Restauration, soit à Bruxelles, soit à Paris.

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