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tion, in-8; lettre fort curieuse, sur la nécessité de déclarer les colonies indépendantes. Deux ans plus tard, il fit imprimer une Supply without Burden, or Escheat vice Taxation, 1795, in-8. Jusque-là les ouvrages capitaux qui devaient faire à Bentham une immense réputation, n'avaient point été publiés; ils étaient pêle-mêle dans une prodigieuse quantité de notes. Le caractère de cet homme célèbre s'est toujours montré dépouillé de cet orgueil et de ces préjugés nationaux dont les Anglais sont si rarement exempts. Aussi modeste que studieux, la plupart de ses ouvrages sont restés long-temps ensevelis dans la poussière de son cabinet; ils n'auraient peut-être jamais été publiés sans le zèle d'Étienne Dumont, ami du publiciste, qui obtint à grand'peine la communication de ses nombreux manuscrits et qui se chargea d'en extraire la substance de cinq ouvrages considérables, qu'il mit en ordre, et dont il surveilla l'impression; et alors parurent successivement par les soins de ce dernier les Traités de législation civile et pénale, 1801, 3 vol. in-8; la Théorie des peines et des récompenses, 1811, 2 vol. in-8, ouvrage conservé par l'auteur trente années en manuscrit; la Tactique des assemblées législatives, suivie d'un Traité des sophismes politiques, 1822, 2 vol. in-8; le Traité des preuves judiciaires, 1823, 2 v. in-8. Bentham fournit un exemple très-singulier d'indifférence littéraire; malgré la gloire que ses ouvrages lui ont acquise et les éloges unanimes de tous les journaux anglais, sa «< Théorie des peines et des récompenses », ainsi que sa Tactique des assemblées législatives »>, n'ont pas paru en langue anglaise, ce qui fait que le célèbre publiciste est plus connu sur le continent d'Europe et dans le Nouveau-Monde qu'en Angleterre. Dès-lors Bentham passa le reste de sa vie à défendre ses opinions. La grande idée qui domine chez lui, c'est que l'université de la jurisprudence est une chimère impraticable; que la jurisprudence de chaque peuple doit reposer sur les localités et les variétés du climat; de gouvernement de coutumes, et que la politique doit être intimement liée à la morale. Il regarde l'utilité comme la base la plus sûre de

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la législation, et comme le régulateur le plus certain des rapports sociaux. On s'aperçoit aisément qu'il a peu d'estime pour l'espèce humaine telle qu'elle s'est présentée à lui. Comme écrivain francais, Bentham était très-obscur, et peut-être doit-il à ce défaut d'avoir pu impunément proclamer des doctrines pleines de hardiesse et propres à irriter de puissantes susceptibilités. Des amis éclairés, parmi lesquels Étienne Dumont occupe le premier rang, s'exercèrent à donner quelque clarté à ses ouvrages, et assurèrent le succès qu'ils ont obtenu. Il faut avouer cependant que leur lecture offre peu d'attraits : le style est peu correct, et souvent défiguré par un néologisme presque barbare. La théorie s'y présente dans toute sa sécheresse, et souvent de minutieux détails remplacent une exposition large et élevée. Pendant que Dumont était à l'œuvre, à préparer la publication des ouvrages qui devaient mériter à son ami une réputation durable, Bentham, de son côté, était en Angleterre, où il poursuivait sa mission de réforme qu'il avait entreprise, et à laquelle la mort seule devait mettre un terme. Ainsi parurent successivement plusieurs nouveaux écrits du publiciste, et entre autres ceux-ci Letters to lord Pelham, giving a Comparative View of the System of Penal colonization in New South Wales, and the Home Penitentiary System, 1802, in-8; A Plea for the Constitution, 1803, in-8; Scotch Reform considered, with Reference to the Plan proposed for the Regulation of the Courts and the Administration of Justice in Scotland, 1808, in-8; On the Law of Evidence, 1813;-Swear not at all, 1815. Bentham, qui n'a cessé d'écrire qu'à ses derniers moments, a publié ou laissé publier quelques autres ouvrages, parmi lesquels on doit surtout distinguer une Chrestomathie; ses Essais sur la situation politique de l'Espagne, etc., son livre sur l'Organisation judiciaire et la codification, et plus encore sa Déontologie. Pour se distraire de ses études sérieuses, Bentham traduisit en anglais le « Taureau blanc » de Voltaire, et sut conserver le sel et l'esprit de l'original. Ce respectable vieillard qui, ainsi que nous l'avons déjà dit,

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était venu à Paris dès sa jeunesse, fit un nouveau voyage, en 1825, dans notre capitale, visita les tribunaux et obtint partout les hommages dus à l'élévation de son caractère et à ses talents; il honora aussi quelquefois de sa présence les diners mensuels des rédacteurs de la «Revue encyclopédique » que M. Julien avait fondés. Quelques personnes se rappellent avec plaisir d'avoir joui de sa présence. Ses fongs cheveux blancs flottaient sur ses épaules; son regard était plein de bienveillance et d'expression; il rappelait la noble et simple attitude de Franklin. Bentham mourut à Londres le 6 juin 1832. Il put croire, avant de mourir, avoir exercé une grande influence, non sur une nation isolée, mais sur l'humanité tout entière. Il avait, en effet, eu l'honneur, que peu d'hommes ont eu, de pousser une idée à bout: psychologie, morale, politique, il a tout embrassé sous un même coup-d'œil. L'utile est son mot, sa réponse à tout. Qui, peu d'hommes ont exercé sur leur siècle une influence aussi durable que Jérémie Bentham. Son esprit a donné l'impulsion aux plus grands esprits de son temps. Madame de Staël disait de lui : Il laissera son nom à une époque » : heureux le genre humain quand cette époque arrivera, époque où « le plus grand bonheur de tous sera la base des lois et de la morale humaine. Talleyrand disait : « J'ai connu de grands guerriers, de grands hommes d'Etat, de grands écrivains; mais je n'ai connu qu'un seul grand génie, et ce génie c'est Jérémie Bentham. » Talleyrand ayant engagé Napoléon à lire la « Théorie de la morale et de la législation », l'Empereur lui dit après cette lecture: « Ce livre éclairera bien des bibliothèques. » C'était dire plus que s'il eût dit : « Il instruira bien des philosophes. >>

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Nous ne donnons point ici une nomenclature bien complète des ouvrages de Bentham publiés en langue anglaise, d'abord parce que nous nous éloignerions entièrement de notre plan, et qu'ensuite il existe déjà [ dans le tome XXXI de la Revue encyclopédique ] une bonne Notice sur les ouvrages de Bentham, que l'on peut consulter avec fruit : elle est signée T, et a pour auteur M. Taillandier, aujour

d'hui conseiller à la Cour royale et député (*). Notre but, à nous, est de faire connaître ceux des ouvrages du publiciste anglais qui ont été écrits et traduits dans notre langue, et accessoirement les versions espagnoles imprimées en France.

ÉDITIONS ET TRADUCTIONS FRANÇAISES DES OUVRAGES DE BENTHAM.

I. Défense de l'usure, ou Lettres sur les inconvénients des lois qui fixent le taux de l'intérêt de l'argent; par Jérémie Bentham. Traduit de l'anglais sur la quatrième édition; suivi d'un Mémoire sur les prêts d'argent, par Turgot, et précédée d'une Introduction contenant une dissertation sur le prêt à intérêt. Paris, Malher et Ce, 1827, in-8.

La première édition de la « Defence of Usury » est de 1787. La traduction de cet ouvrage est de M. Saint-Amand Bazard.

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Defensa de la usura, o Cartas sobre los inconvenientes de las leyes que fijan la tara del interes del dinero, por Jeremias Bentham, con una Memoria sobre los prestados de dinero, por Turgot; traducidas del francès por J. E. [Joaquin Eseriche]. Paris, en casa del Editor, 1828, in-12.

II. Esquisse d'un ouvrage en faveur des pauvres; trad. de l'angl. par Ad. Duquesnoy. Paris, Agasse, 1802, in-8 [5 fr.].

III. Traité de la législation civile et pénale, extrait des manuscrits de l'auteur par Ét. Dumont. Genève, et Paris, 1802, 3 v. in-8.-Sec. édit. Paris, Bossange frères, 1820, 3 vol. in-8 [18 fr.].

M. J.-B. Huet a rendu compte de cet ouvrage dans la « Revue encyclopédique tome XV, pages 499 et suivantes.

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-Tratado de legislacion civil y penal, traducida al castellano, con commentarios por Ramon Salas. Paris, Masson e hijo, 1823, 8 vol. in-18 [30 fr.].

Compendio de los Tratados de legislacion civil y penal de Jeremias Bentham, con notas, por don J. E. [Joaquin Eseriche]. Paris, boulevard StMartin, no 3, 1828, 2 vol. in‐18.

IV. Théorie des peines et des récompenses, extraite des manuscrits de l'au

(*) M. Parisot, dans son article Bentham, du Supplément à la «Biographie universelle», a donné aussi une liste des ouvrages et opuscules de ce savant; ils sont au nombre de trente-huit.

teur par Et. Dumont. Genève, et Paris, 1812, 2 vol. in-8. — IIIe édit. Paris, Bossange frères, 1826, 2 vol. in-8 [14 fr.].

- Teoria de las penas y de las recompensas. Paris, impr. de Smith, 1825; o Paris, Masson e hijo, 1826, 4 vol. in-18 [14 fr.].

V. Tactique des assemblées législatives, suivies d'un Traité des sophismes politiques. Ouvrages extraits des manuscrits de l'auteur par Ét. Dumont. Genève, 1816, 2 vol. in-8. Sec. édit. Paris, Bossange père; Bossange frères, 1822, 2 vol. in-8 [12 fr.].

M. Avenel a rendu compte de cet ouvrage, en deux articles, dans la « Revue encyclopédique», tomes XVII et XIX.

Tactica de las asambleas legislativas, y Tratado de los sofismas politicos; trad. del francès. Paris, impr. de Smith, 1824, 2 vol. in-18 [8 fr.].

VI. Traité des preuves judiciaires, ouvrage extrait des manuscrits de l'auteur par Ét. Dumont. Paris, Bossange frères, 1823, 2 vol. in-8 [14 fr.].

M. J.-C.-L. de Sismondi a rendu compte de cet ouvrage dans le tome XIX de la «Revue encyclopédique ».

Tractado de las pruebas judiciales, obra extractada de los manuscritos de J. Bentham, escrita en francès por Estevan Dumont, y trad. al castellano. Paris, Bossange hermanos, 1825, 4 vol. in-18 [14fr.].-Otra edicion, traducida de la segunda edicion, revista e aumentada por don J.-L. de Bustamente. Paris, H. Bossange, 1839, 4 vol. in-18 [16 fr.].

VII. Essai sur la nomenclature et la classification des principales branches d'art et de sciences; ouvrage extrait de la « Chrestomathie » de Jér. Bentham. Paris, Bossange frères, 1823, in-8 [5 fr.].

VIII. Essais sur la situation politique de l'Espagne, sur la constitution et le nouveau code espagnol, sur la constitution du Portugal,etc.,traduit de l'angl. de Jér. Bentham [par M. Phil. Chasles]; précédés d'Observations sur la révolution de la Péninsule et sur l'histoire du gouvernement représentatif en Europe, et suivi d'une traduction nouvelle de la constitution des cortès. Paris, Brissot-Thivars, 1823,in-8 [6 fr.]. IX. De l'Organisation judiciaire et de

la codification, extraits de divers ouvrages de Jérémie Bentham, par Et. Dumont. Paris, H. Bossange, 1828, in-8 [8 fr.].

De la Organizacion judicial y de la codificacion, extractados de diversas obras de Jeremias Bentham, por Etienne Dumont, traducida al español por D. J. L. de B. [ don José Lopez de Bustamente ]. Paris, H. Bossange; H. Seguin, 1828, 2 vol. in-18.

Saint-Amand Bazard, que nous avons cité précédemment pour la traduction du N° 1, a fourni à divers recueils des articles sur des ouvrages de Bentham: ainsi l'on trouve, dans le tome XXXI de la "Revue encyclopédique », pages 626 et suiv., un compte-rendu de l'ouvrage, intitulé: « De la Codification et de l'Instruction», publié en anglais. [ Londres, 1827].

Les ouvrages de Bentham, publiés en français par Ét. Dumont, ne sont point, comme on pourrait le penser, traduits de l'anglais. La modestie d'Et. Dumont ne lui a pas permis de prendre un autre titre que celui d'éditeur; mais il fut bien de fait le rédacteur des cinq ouvrages de législation et de jurisprudence portant le nom de Bentham, cités dans cet article; c'est sur une quantité de notes volantes prises par le célèbre jurisconsulte anglais, qu'Ét. Dumont les a rédigés.

Ces diverses traductions françaises des ouvrages de Bentham ont été réimprimées Bruxelles, sous le titre d'OEuvres, en 3 vol. in-8, à deux colonnes [1829].

X. Jérémie Bentham à ses concitoyens de France sur les chambres des pairs et des sénats, traduit de l'anglais par C. L. [Charles Lefèvre]. Paris, Bossange, 1831, in-8 de 68 pag.

Un préliminaire est signé Félix BODIN.

XI. Déontologie, ou la Science de la morale. Ouvrage posthume de Jérémie Bentham, revu, mis en ordre et publié par

John Bowring; traduit sur le manuscrit par Benjamin Laroche. Paris, Charpentier, 1834, 2 vol. in-8 [15 fr.].

Un grand mouvement de réforme intellectuelle a signalé la dernière moitié du xvIIIe siècle. Aucun des philosophes qui ont coopéré à cette grande tâche n'y a mis plus de persévérance, plus d'ardeur et plus de dévouement courageux que Bentham. L'âge n'avait ni ralenti ses efforts ni suspendu ses travaux. A quatre-vingt-quatre ans, son esprit avait conservé toute sa jeunesse; son âme toute sa vigueur. C'était un noble débris de l'intelligence du dernier siècle, que le temps semblait avoir oublié dans sa marche. A voir ce beau front de vieillard, cet œil assuré, on eût cru retrouver Franklin, avec qui Bentham eut en effet plus d'un point de ressemblance. Il avait la netteté des vues du diplomate américain, sa simplicité, sa vigueur intellectuelle, son regard perçant, son ardent amour de la liberté, son zèle courageux pour la réforme des abus; mais Bentham avait une âme plus

large, plus expansive, plus dévorée du désir d'être utile aux hommes. Il n'avait point son patriotisme exclusif, ses préjugés républicains; car la république peut avoir ses préjugés comme la monarchie. Les principes de Bentham peuvent se résumer par un seul mot: « l'utilité! » C'est la devise qu'il avait inscrite sur sa bannière, et à laquelle il essayait de rallier tous les hommes, individus et peuples. Dans sa Déontologie, dont la publication est due au zèle pieux de son exécuteur testamentaire, M. Bowring, le principe de l'utilité est admirablement reproduit et rendu familier à tous les esprits; mais cet ouvrage constate un dernier progrès dans les derniers progrès de ce grand légiste. Les objections dont le système utilitaire avait été injustement l'objet tombent d'elles-mêmes devant cette exposi

tion nouvelle d'une doctrine jusqu'à ce jour

mal comprise. Nous appelons, sur la Déontologie de Bentham, l'attention de tous ceux qu'intéresse la solution du plus grand des problèmes, celui qui a pour objet la réalisation de ce que Bentham appelait le plus grand bonheur du plus grand nombre. »

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[Revue de Paris, mai 1834, p. 66.]

- Deontologia, o Ciencia de la moral, obra postuma de Jeremias Bentham; revisada y ordenada por M. J. Bowring. Traducida al español por D. P. P. [don Pascual Perez]. Paris', Gouas, 1839, 3 vol. in-18 [12 fr.].

Contrefaçon. L'édition originale de cette traduction a été imprimée en Espagne.

XII. Catéchisme de la réforme électorale; trad. de l'angl. par Elias Regnault; précédé d'une Lettre à Timon [M.de Cormenin] sur l'état actuel de la démocratie en Angleterre. Paris, Pagnerre, 1859, in-32 [1 fr. 25 c.].

On a voulu plusieurs fois faire paraître une édition complète de Bentham. Peu de temps avant sa mort, M. de Talleyrand, qui a dans tous les temps professé pour lui la plus haute admiration, lui offrit de faire cette édition à Paris, et en français, Ces honorables propositions ne furent jamais acceptées. On espère cependant que les nombreux manuscrits de Bentham, confiés aujourd'hui à des mains habiles, ne seront pas perdu pour la science. Ses principaux ouvrages inédits sont un Code constitutionnel, travail de toute sa vie, et dont il s'occupait encore au moment de sa mort; un Traité sur les mathématiques.

BENTZ [L.]

I. Exposition du système de F. Kant. Saint-Dié, l'Auteur; Nanci et Lunéville, les principaux libraires, 1832, in-8.

Cet ouvrage devait paraître en six livraisons; nous ignorons s'il en a paru plus que la première, in-8 de 20 pag.

II. Tableaux élémentaires de la langue latine, suivis d'exercices latins et français sur les conjugaisons. SaintDié, l'Auteur, 1832, in-4 de 56 pag. [1 fr. 30 c.].

III. Exercices grammaticaux, à l'u

sage des écoles primaires. Nanci, Dard; Saint-Dié, l'Auteur, 1833, in-18. IVe édit. Nanci, le même, 1839, in-18 [30 c.].

IV. Premiers éléments d'arithmétique, suivis de problèmes raisonnés en forme d'anecdotes. Sec. édit., revue et corrigée. Paris, Hachette; Nanci, Vidart et Jullien, 1834, in-12 [1 fr.]. IVe édit. Paris, Hachette; Poilleux, 1837, in-12.

V. Maître Paul. Traité sommaire des devoirs de l'instituteur, ou Leçons de pédagogie. Tulle, Drappeau, 1855, in-18.

VI. Eléments raisonnés et pratiques de la grammaire française. Tulle, l'Auteur; Drappeau frères, 1857, in-8.

VII. Eléments abrégés de la grammaire française, à l'usage des écoles. Paris, Delloye, 1838, in-12.

BENTZ [F..H.]. Lettre historique catholiques-romains. Paris, l'Auteur, d'un catholique-français à ses frères les 1835, in-8 de 32 pag.

BENVENUTI [A.]. —Essai sur la li thotritie. Mémoire présenté à l'Institut [Académie des sciences], le 4 février 1833. Paris, Just Rouvier, 1833, in-8 de 40 pag. [1 fr. 50 c.].

BÉQUET [Étienne], littérateur et critique, un des hommes de ce temps-ci qui ont eu le plus d'esprit, naquit à Paris vers 1800. Il appartenait à une famille riche et considérée. Son père, exact et correct, n'épargna rien pour lui aplanir toutes les voies qui mènent aux honneurs. Béquet fit ses études à l'un des quatre colléges royaux de la capitale. Sorti du collége, on peut le dire, tout couvert de lauriers, la plus belle carrière s'ouvrait devant les pas de ce jeune homme. Béquet fut reconnu dès lors pour un de ces esprits d'élite sur lesquels la France nouvelle fondait à bon droit les plus grandes espérances. Il eut un grand nom universitaire à l'instant même où l'Université, dégagée. de son appareil guerrier, allait redevenir la fille aînée des rois de France. On voulut d'abord faire étudier les lois à Béquet; mais là se présenta une difficulté insurmontable: cet esprit si net ne put rien comprendre à ces formules toutes nouvelles, à cette science inconnue. D'ailleurs Voltaire, J.-J. Rous

seau, Diderot lui-même s'étaient emparés de cette jeune tête, non pas de cette façon volcanique qui jette d'abord feu et flamme, et qui s'apaise bientôt sous le souffle desséchant de la réalité, mais de cette façon bien autrement dangereuse à l'usage des esprits droits, nets, fermes, logiques, et qui se méfient de l'enthousiasme, comme on se méfie du mensonge. De pareils hommes,

une

fois dominés par une idée qu'ils ont bien considérée sous toutes ses faces, ne s'en dessaisissent jamais. C'est ainsi que toute sa vie Béquet a lu Voltaire, et de Voltaire il lisait surtout la correspondance; et c'est là surtout qu'il a puisé cette grâce parfaite, cette élégance, cette urbanité, ce goût excellent, ce style limpide auxquels on ne saurait rien comparer. Ainsi armé, il renonça bientôt à l'étude des lois, et il fut admis sans peine au «< Journal des Débats.» Pour apprendre le grand art de la critique quotidienne, Étienne Béquet ne pouvait arriver dans un temps plus opportun. Tous les hommes qui ont fondé la critique en France, ces brillants héritiers de Fréron, Geoffroy, Dussault, Hoffman, Duviquet vivaient, c'est-à-dire écrivaient encore. Ils tendirent une main bienveillante et fraternelle à ce jeune lauréat qui venait pour continuer leur œuvre. Le voilà donc tout de suite lancé dans la vie littéraire. Il a fait ses premières armes au bas du « Journal des Débats », où il avait pris pour initiale la lettre R., peu jaloux d'avoir un nom à lui, lui qui devait faire tant de renommées nouvelles. Béquet a fait pendant quinze ans un feuilleton hebdomadaire de critique pour ce journal. Son insouciant abandon, sa grace parfaite, son tact exquis, ce merveilleux talent qu'il avait de tout dire sans offenser personne, ce besoin qu'il avait de parler toujours plutôt des morts que des vivants, ce profond sentiment des convenances qui ne l'abandonna jamais, le mirent à l'abri des rudes épreuves de cette force nouvelle qu'on appelle le journal. Il évita avec le même bonheur les questions formidables de ce qu'on appelait, de son temps, l'école nouvelle; il se retira pour laisser passer ce nuage gros de rien, et quand ce nuage fut passé, il se mit à sourire doucement; il avait hor

reur de ces émeutes grammaticales, de ces conjurations contre Boileau, de ces exclamations furibondes contre Corneille ou Racine; toute nouveauté un peu cherchée lui causait le plus profond dégoût, et il évitait d'en parler comme on évite de toucher un serpent. Plus d'une fois les novateurs, par mille flatteries intéressées, voulurent l'attirer tout au moins sur les limites de leur camp; mais il s'y laissait traîner avec une répugnance marquée, puis il revenait bien vite à son point de départ. Aussi bien, après ces premières tentatives, le laissa-t-on en repos. Ne pouvant violenter la conscience de ce critique indomptable, on s'en passa, et lui il ne fut jamais plus heureux que de se voir en dehors de ces questions « palpitantes d'actualité ! » Resté en arrière de toutes ces questions qu'il devait débattre, s'il s'est retranché dans son mépris et dans son silence au jour de

grandes batailles, ce n'est pas à dire que Béquet ait laissé passer toujours ainsi les nouveau-venus dans l'arène. Cet homme, qui était si peu ardent quand il fallait combattre, il était admirable quand il fallait servir. Tout comme il s'est enfui devant les envahisseurs éphémères de l'art moderne, il a été au-devant de tous les nouveau-venus qui lui rappelaient de près ou de loin cette belle forme et cette belle langue à laquelle il était dévoué. Presque seul il a combattu pour M. Casimir Delavigne, quand le poète était abandonné de tous. Le premier il a applaudi à la comédie de M. Scribe qu'il trouvait ingénieuse et, c'était son expression, « suffisamment écrite ». Même le «prospectus » des œuvres de M. Scribe, c'est Béquet qui l'a écrit, et nous ne croyons pas que dans sa vie, il ait jamais donné à personne une plus grande preuve de dévouement. Pour ce qui regarde les artistes, il avait des opinions non moins arrêtées. Il avait été l'ami de Talma, il était resté l'ami de Mlle Mars. Hors de ces deux grands talents, l'honneur de notre scène, il ne reconnaissait pas de talent. Cette nature outrée et violente, introduite au théâtre comme la conséquence inévitable de tous les désordres poétiques, lui causait un invincible effroi. Il ne comprenait pas, tout en reconnaissant leur mérite, les comédiens qui se

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