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RAPPORT

PRESENTÉ A L'ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES

AU NOM DE LA SECTION DE PHILOSOPHIE

SUR LE CONCOURS RELATIF À LA QUESTION

DE LA

THÉORIE DES IDÉES DE PLATON.

MESSIEURS,

Sur la proposition de la section de philosophie et sous l'inspiration de l'illustre rénovateur du platonisme en France, qui depuis nous a été si cruellement enlevé, l'Académie avait mis au concours, en 1864, pour un prix extraordinaire de cinq mille francs à prendre sur la fondation Bordin, la question suivante:

EXAMEN DE LA THÉORIE DES IDÉES DE PLATON.

Le programme indiquait que la question proposée pouvait se di viser en quatre parties:

PREMIÈRE PARTIE. << La première partie, disait-il, doit être une exposition détaillée et approfondie de la théorie des Idées, considérée en elle-même et dans ses principales applications.

« Déterminer le caractère propre de l'Idée. Est-elle seulement une conception de l'esprit et n'ayant d'existence que dans l'esprit, ou n'est-elle pas aussi quelque chose d'existant en soi, comme les espèces et les genres, et n'exprime-t-elle pas l'unité réelle qui réside dans tous les individus d'un même ordre et constitue leur appartenance à cet ordre ?

<< Apprécier à ce point de vue les propositions suivantes :

<< Tout a son Idée; l'Idée est l'essence de toute chose; l'Idée est le type invisible des choses visibles; l'Idée est le fondement de la définition; l'Idée est l'objet unique et éternel de la science, de l'art, de la morale, de la politique.

<< En quoi consiste la dialectique platonicienne?

<< De l'Idée du Beau. Esthétique platonicienne.

<< De l'Idée du Juste dans chaque homme et dans l'État. Morale et Politique platoniciennes.

<< De la hiérarchie des Idées.

* De l'Idée du Bien placée au faîte de cette hiérarchie, et du Bien, supérieur à l'Existence, comme en étant la raison et la cause finale.

<< Du dieu de Platon comme le premier et le dernier principe de l'Idée du Bien, et des Idées qui s'y rattachent. Théodicée pla

tonicienne.

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DEUXIÈME PARTIE. - « Rechercher ce que les prédécesseurs de Platon, et surtout Socrate, ont fourni à la théorie des Idées.

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<< De la polémique d'Aristote contre la

QUATRIÈME PARTIE. << Suivre cette polémique dans l'école d'Alexandrie; discuter la valeur de la conciliation entreprise par cette école entre Platon et Aristote.

CONCLUSION. << Résumer les mérites et les défauts de la théorie platonicienne des Idées; reconnaître la part et le fond de vérité que contient cette théorie, par conséquent l'importance de son étude et les lumières que lui pourrait emprunter la philosophie contemporaine. »

Ce programme était vaste et difficile à remplir. Il exigeait des concurrents, d'abord une étude approfondie et une intelligence toute particulière de la philosophie platonicienne; puis une connaissance exacte des systèmes antiques qui l'ont préparée comme de ceux qui en sont plus ou moins sortis; et enfin une raison métaphysique capable de juger cette phi

losophie en elle-même et d'y découvrir les éléments durables que la science actuelle doit recueillir et adopter. Une réunion de pareille qualités est rare et les espérances de l'Académie auraient pu être trompées. Mais une main vigoureuse avait dès longtemps remué le terrain, répandu les semences et préparé la moisson. Ce serait aujourd'hui une vive joie pour M. Cousin de voir quels beaux fruits a produits son énergique persévérance, en poursuivant le but pendant cinquante années, depuis 1817, où il commença à traduire Platon, jusqu'à l'heure où ce concours a été fermé. Quatre mémoires, en effet, ont répondu à votre appel. Trois sont dignes à des titres divers de votre estime et de vos récompenses; et le premier, celui pour lequel nous demanderons la totalité de ce prix extraordinaire que vous avez promis, est une œuvre considérable, où se révèle avec éclat un beau talent d'écrivain, de critique et surtout de philosophe. Nous allons vous faire connaître ces travaux en procédant par degrés du plus faible au plus éminent.

MEMOIRE N° 4.

EPIGRAPHE : Ο δὲ Θέος ἡμῖν πάντων

χρημάτων μέτρον ἅν ἐἱη

μάλιστα.

(PLATON, Lois, IV, p. 716.)

Ce mémoire est inachevé : l'auteur l'avoue lui-même, en regrettant de n'avoir pu qu'effleurer les trois dernières parties et de s'être vu forcé d'omettre la conclusion. Il qualifie d'ébauche son propre travail qu'il n'a envoyé, dit-il, « que pour rendre hommage à la philosophie spiritualiste, dont Platon est le plus illustre défenseur. v

Si incomplet qu'il soit, ce mémoire a des qualités que nous devons signaler, ne fût-ce que pour encourager l'auteur à

tenter de nouveau la fortune de nos concours. C'est un bon esprit exercé à la discussion philosophique et ayant suffisamment pratiqué les Dialogues de Platon. Aussi a-t-il traité avec quelque succès certains points du sujet. Quoiqu'on y rencontre de la confusion, des inexactitudes et même cette erreur que, d'après Platon, l'intelligence crèe l'existence de son objet, l'exposition de la théorie des idées est souvent satisfaisante. Ce qui a rapport à l'analyse de la connaissance et au mouvement de la dialectique est compris et clairement expliqué. Les pages consacrées à l'esthétique et à la politique de Platon sont encore meilleures.

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Nous en dirons autant de celles où sont examinées les Idées de l'être, de l'un, du bien et de la cause. Le morceau où l'auteur discute la question de savoir si le dieu de Platon est ou non créateur, est d'une justesse et d'une fermeté remar quables. Mais les trois parties historiques laissent trop à désirer. Parmi les prédécesseurs de Platon, Socrate occupe, dans ce mémoire, une place bien petite et joue un rôle bien amoindri. La polémique d'Aristote contre la théorie des Idées n'est guère qu'indiquée en termes sommaires, et Plotin est le seul des platoniciens d'Alexandrie que l'auteur ait étudié au point de vue de la question proposée; enfin, la partie critique demandée par le programme, manque absolument.

Au total, l'auteur du mémoire no 4, possède, sur quelques points, un savoir solide; c'est un esprit judicieux qui, en général, va droit au but. Il écrit dans un style précis, correct et facile. Il pourra donc, en développant par le travail, les aptitudes qui sont en lui, mériter dans une autre occasion, mieux et plus qué de simples encouragements.

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