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Frédéric II, le malheureux Conrad IV. C'était la mère de Conradin; elle et son fils avaient trouvé, dans les châteaux de la maison de Wittelspach, un asile en ces temps de malheurs. Louis ne songeait point à l'Empire pour lui-même. Une circonstance désolante de sa vie l'éloignait de cette pensée. Dans un de ces accès de violence, si communs aux races féodales du moyen-âge, il avait fait trancher la tête à Marie de Brabant, sa première épouse, jeune femme dont la fin tragique avait excité l'intérêt universel, et qu'une jalousie furieuse avait montrée à son époux comme coupable d'avoir violé la foi conjugale. A peine immolée, le remords avait pénétré dans l'âme du comte. Tous ses cheveux blanchirent en une nuit, comme pour le marquer d'un signe ineffaçable; et il donna des preuves si vraies et si constantes de ses regrets, que, malgré l'horreur de la sanglante exécution de Donawert, l'affection publique lui était revenue. Il aspirait à la main d'une fille de Rodolphe.

Louis le Sévère disposait de la confiance et du suffrage de deux autres princes électeurs, le duc de Saxe et le margrave de Brandebourg, tous deux de la maison d'Ascanie, qui avait devancé dans la basse Allemagne la maison de Wettin, aujourd'hui régnante en Saxe, et les maisons de Luxembourg et de Zollern, plus tard arrivées au margraviat de Brandebourg. La maison d'Ascanie était aussi demeurée fidèle à la maison de Souabe, à qui elle devait son agrandissement. Réduite aujourd'hui à un modeste héritage, elle règne encore sur une contrée de l'Allemagne. L'illustre vieux Dessau, oncle

du grand Frédéric, et Catherine II, de Russie, étaient de cette maison.

Un septième électeur se tenait à l'écart, et l'on était résolu à se passer de son suffrage. C'était le fameux Ottokar, roi de Bohême, margrave de Moravie, duc d'Autriche, de Styrie et de Carinthie, seigneur de beaucoup d'autres domaines; l'un des princes les plus marquants de son temps, doué de brillantes qualités qui ont rendu son nom populaire, encore à ce jour, en Bohême, mais obscurcies par des vices qui ont fait sa perte et celle de sa race; sans foi ni loi, cruel, vaniteux, téméraire, couvrant tout par une générosité prodigue et par une vaillance héroïque, il était comme la personnification des abus de l'interrègne. A l'extinction de la maison de Bamberg, il s'était mis en possession de l'Autriche, sous un frivole prétexte, au détriment de l'héritier légitime, le jeune Frédéric de Bade, ce touchant ami de Conradin, compagnon de la même entreprise et de la même infortune. Par la Carniole, Ottokar confinait à l'Italie, et, de tous temps hostile à la maison de Souabe, il avait ouvert des intrigues avec Rome, dont il avait servi les passions, pendant l'interrègne. Bien qu'électeur par sa charge, il était tenu pour étranger à l'Allemagne; en effet, il était Slave ou Tchèque d'origine. Alors que l'Allemagne était réduite à demander ses empereurs à l'étranger, Ottokar, très-ambitieux de domination, avait été mis en balance avec Alphonse de Castille, mais il s'était donné le plaisir orgueilleux de refuser. Aujourd'hui, Ottokar, était candidat secret et plus sérieux à l'Empire. Mais l'Allemagne était résolue

à porter ses suffrages sur un Allemand de naissance, et d'ailleurs le vieux parti de la maison de Souabe était opposé à Ottokar. On se passa donc de son suffrage, et les six électeurs s'accordèrent sur le choix. Ce fut la source des plaintes d'Ottokar, après l'élecion, l'origine de sa révolte contre l'empereur élu, et l'occasion de la fortune territoriale de la maison de Habsbourg, qui put, après la défaite d'Ottokar, disposer à son profit, par mariage ou par autorité, des vastes possessions du roi de Bohême.

Il y avait deux autres personnages qui, sans être princes électeurs, en avaient le crédit et l'importance; c'étaient le burgrave de Nuremberg, et Maynard, comte de Tyrol.

Frédéric de Zollern était neveu, par sa mère, du landgrave d'Alsace, et descendait d'une vieille et noble maison de la Souabe, qui avait reçu de Frédéric Barberousse, dont elle était l'alliée, l'inféodation du burgraviat de Nuremberg, que les Hohenstauffen avaient distrait de leur duché de Franconie, et dont la possession a commencé la fortune de la maison aujourd'hui régnante à Berlin. Le jeune burgrave Fré éric avait suivi Conradin en Italie, et il demeurait attaché au parti politique représenté par Louis le Sévère et par Rodolphe de Habsbourg. Frédéric était brave, prudent, habile, actif et entreprenant : il avait épousé une héritière de la maison de Méranie, et peut-être aspirait-il au rétablissement du duché de Franconie. L'attachement le plus dévoué l'unissait à Rodolphe dont l'épouse elle-même était d'une branche cadette de la maison de

Zollern, la maison d'Hohenberg ou d'Haigerloh, connue au XIIIe siècle par ses allures chevaleresques et surtout par le culte de la poésie. Le beau-frère de Rodolphe était le minnesinger le plus populaire de l'Allemagne. La gravité de Rodolphe, la rectitude de son esprit, et la profondeur de son bon sens, imposaient au burgrave un respect véritable, qui se traduisait en une activité féconde, au profit du candidat à l'Empire. Toutes les chroniques représentent Frédéric III de Zollern comme l'agent le plus empressé de l'élection. Il était à Francfort, de sa personne, au moment solennel; il courait de l'un à l'autre; il avait réponse à tout, et, loin que ses bons offices fussent importuns, son intervention était au contraire recherchée, comme le lien nécessaire de toutes les opinions, de tous les intérêts. Il avait les confidences de chacun, un libre accès partout; remarqué surtout par une discrétion qui ne compromit jamais le candidat dont il était considéré comme le représentant auprès des électeurs. Ainsi préludaient alors, dans une intime et confiante amitié, à la grandeur future de leurs maisons, les aïeux des Zollern et des Habsbourg. Heureuse l'Allemagne si la même sympathie avait toujours régné entre leurs descendants!

Rodolphe eut un autre ami précieux dans Maynard, comte de Tyrol, l'un des hommes les plus honorés de cette époque, autre serviteur dévoué des Hohenstauffen, second époux d'Élisabeth de Bavière, veuve de Conrad IV, et mère de Conradin. Il fut le coopérateur intelligent de Louis le Sévère et de Frédéric de Nuremberg. Ses services si utiles devaient être récompensés,

plus tard, par le duché de Carinthie, et par le mariage de sa fille avec le fils aîné de Rodolphe, qui fut l'empereur Albert d'Autriche.

Cédant à l'entraînement des esprits et à l'invitation pressante du pape, qui envoya même un légat ad hoc, en Allemagne, l'archevêque de Mayence, en sa qualité d'archichancelier de l'Empire, convoqua les princes électeurs pour le jour de saint Michel de l'an 1273, à Francfort, où devait avoir lieu l'élection impériale, en vertu d'un usage qui remontait aux Francs orientaux. Les choses s'y passèrent, comme on pouvait le prévoir, et le landgrave d'Alsace fut élu par six suffrages sur sept, en l'absence du roi de Bohême, qui ne se présenta pas. Fut-il imposé des conditions à l'élection? il n'y en a pas de monument; mais du rapprochement des actes, on peut conclure qu'en ce qui touche les aliénations du domaine par l'empereur, il fut promis que le consentement des électeurs y interviendrait toujours, à l'avenir. Quoi qu'il en soit, le comte palatin proclama l'élection, et dépêcha vers Rodolphe le maréchal héréditaire de l'Empire, qui est resté pendant six siècles un Pappenheim.

Rodolphe était occupé, en ce moment, à faire le siége de Bâle. Le prince-évêque de cette ville était un vieil ennemi des Habsbourg. C'est à son instigation que Rodolphe avait été deux fois excommunié. On peut donc croire que le comte avait saisi l'occasion de la division de la bourgeoisie bâloise en deux partis, celui de l'Étoile et celui du Perroquet, pour appuyer celui contre lequel l'évêque était prononcé. La faction de l'évêque

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