Page images
PDF
EPUB

SUR UN OUVRAGE DE M. RÉQUIER

INTITULÉ :

TRAITÉ THÉORIQUE ET PRATIQUE

DES PARTAGES D'ASCENDANTS.

[ocr errors]

M. RENOUARD : J'offre en hommage à l'Académie de la part de l'auteur, M. le président Réquier, un livre intitulé : Traité théorique et pratique des partages d'ascendants.

Cet ouvrage est bien fait; il examine avec science et méthode les questions qui se sont élevées dans la pratique et devant les tribunaux sur les partages d'ascendants, questions nombreuses et délicates. Ces pactes de famille présentent des avantages considérables que l'auteur fait très-bien valoir; mais on est obligé de reconnaître aussi qu'ils ne sont pas exempts d'inconvénients et qu'il est bon de se mettre en garde contre l'aide qu'ils prêtent aux inégalités entre enfants. Au nombre des graves questions que cette matière soulève, je citerai comme l'une des plus importantes celle qui consiste à savoir si c'est à leur valeur au moment même du partage, ou à leur valeur au moment seulement où la succession s'est ouverte que les biens doivent être estimés afin de calculer et de reconnaître si les parts des enfants sont égales, si les lois qui règlent la quotité disponible et la réserve ont été observées. On peut citer encore les questions, importantes aussi, mais d'une solution beaucoup moins difficile, qui concernent le mode de composition des lots.

Dans le midi, auquel M. le président Réquier appartient, les partages d'ascendants tendent souvent à sacrifier aux prévisions et aux préférences du père de famille les intentions d'égalité de notre loi. La jurisprudence s'est appliquée à assurer le maintien des règles destinées à prévenir cet abus. On l'a accusée d'être trop sévère, et il s'est élevé des réclamations nombreuses dont M. le président.

Réquier s'est rendu l'interprète vif et énergique. Il insiste pour qu'une plus grande latitude soit laissée à la salutaire autorité du père de famille.

Les considérations de cet ordre occupent beaucoup les esprits, et ont appelé, tout récemment encore, l'attention spéciale de l'Académie. Elle avait mis au concours l'examen des droits de légitime et de réserve. Dans les deux mémoires entre lesquels elle a partagé le prix, et dans un troisième auquel elle a décerné une mention honorable, les auteurs se sont trouvés d'accord contre ce qu'on appelle la liberté de tester; ce qui est, pour parler plus clairement, la liberté d'exhéréder. Ils ont conclu au maintien et au respect de la loi existante, sauf peut-être en quelques détails secondaires. Votre section de legislation n'a pas hésité à déclarer que c'est aux principes généraux consacrés par le Code Napoléon qu'il lui paraît sage de s'en tenir pour les meilleures solutions de ces problèmes. En tâchant de les remettre en question, beaucoup reculent qui croient avancer.

(Ici M. TROPLONG déclaré que cette opinion est entièrement la sienne.)

M. RENOUARD ajoute qu'il serait injuste de classer M. le président Réquier au nombre des partisans d'une extension exagérée de la quotité disponible. L'auteur se défend contre cette conséquence, et ne consent pas à être enrôlé dans la croisade qui s'est ouverte en faveur de la prétendue liberté de tester. Il reste à savoir sî, involontairement, il' ne lui a pas trop prêté des armes et des moyens indirects de succès.

Toutes ces questions méritent de fixer l'attention et il faut savoir gré à M. le président Réquier de les avoir traitées comme il l'a fait. On peut ne pas partager son avis sur tous les points; mais l'Académie a reçu l'hommage d'un bon ouvrage qui, indépendamment d'excellentes solutions sur un grand nombre de questions accessoires, fournit un contingent utile dans l'examen de ces problèmes fondamentaux de droit et d'économie sociale.

M. DE LAVERGNE ayant fait observer que les questions relatives aux partages d'ascendants ont été soulevées avec faveur dans la dernière enquête agricole, M. RENOUARD a ajouté ce qui suit:

Je comprends l'importance que les provinces et les campagnes du midi attachent aux partages d'ascendants, comme en général, aux dispositions qui aident à faire une part privilégiée pour l'aîné ou à concentrer l'exploitation des biens de famille; mais dans les pays d'égalité, là, par exemple, où les coutumes de Paris et de Normandie ont été en vigueur, il est probable qu'on ne rencontre pas les mêmes préoccupations : et l'on ne se dissimule pas les inconvénients d'un système qu'il est impossible d'établir sans instituer deux successions s'ouvrant l'une au moment du partage, l'autre au moment de la mort du père. Il y a là, quel que soit le système auquel on s'arrête, une source de contestations dont les tribunaux ont trop fréquemment à s'occuper ; et une perpétuelle occasion de discorde dans les familles.

M. DE LAVERGNE fait remarquer que cette question des partages d'ascendants a été fort débattue dans l'enquête agricole, notamment dans la seizième circonscription qui comprenait les département de la Dordogne, de Lot-et-Garonne et de la Gironde, et qui a été présidée par M. de Forcade La Roquette, aujourd'hui Ministre de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux publics. Les déposants se sont généralement prononcés contre la jurisprudence de la cour de cassation, comme donnant lieu à une foule de procès qui divisent et ruinent les familles. Les hommes d'affaires de mauvais aloi s'en sont emparés pour susciter des discordes. On s'accorde à demander que l'estimation des biens remonte à l'époque du partage, que l'action en lésion soit restreinte autant que possible, et même que les partages d'ascendants puissent s'accomplir dans des conditions qui les rendent définitifs. Ceux qui élèvent ces plaintes n'attaquent nullement les principes du Code civil en matière de succession; ils expriment seulement le vœu que ces principes ne soient pas appliqués avec une rigueur plus nuisible qu'utile aux intérêts engagés, et qui finirait par détruire une disposition du Code, en rendant les partages d'ascendants si dangereux qu'ils en deviendraient impossibles.

Ch. RENOUARD.

« PreviousContinue »