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INTITULÉS :

1° LA BANQUE LIBRE

EXPOSÉ DES FONCTIONS DU COMMERCE DE BANQUE

ET DE SON APPLICATION A L'AGRICULTURE;

2o DU CHANGE ET DE LA LIBERTÉ D'ÉMISSION PAR M. CLEMENT JUGLAR.

:

M. PASSY Je suis chargé d'offrir, à titre d'hommage, à l'Académie, deux ouvrages traitant au fond le même sujet. L'un a pour auteur, M. Courcelle Seneuil, et pour titre : La Banque libre. Exposé des fonctions du commerce de banque et de son application à l'agriculture, suivi de divers écrits de controverse, sur la liberté des banques.

L'Académie sait que la liberté des banques soulève des questions vivement débattues dans un grand nombre de pays. Toutefois, ce n'est point sur le droit de fonder des établissements faisant le commerce de banque que portent les controverses engagées, c'est sur le droit pour ces établissements d'émettre à leur gré des billets à vue, en d'autres termes, sur le droit d'émission. M. CourcelleSeneuil est partisan déclaré de la liberté des émissions, et c'est cette liberté que son travail a pour but de défendre. C'est un travail remarquablement bien fait, dans lequel sont passées en revue et fort habilement combattues toutes les objections des écrivains qui regardent l'intervention de l'État, en matière de banque et de circulation fiduciaire, comme indispensable ou simplement comme destinée à prévenir des abus dommageables à l'intérêt général. Les chapitres qu'il importe surtout de signaler à l'attention sont ceux où l'auteur s'attache à démontrer, d'abord, que la quantité des billets de banque mis en circulation rencontre dans la nature des choses des limites plus étroites que la quantité même des monnaies métalliques; en second lieu, que la liberté des émissions et la multi

plication des banques, auraient naturellement pour effet non d'accroître, mais de diminuer la somme des billets dont se chargerait le public. C'est là le cœur même de la question et l'auteur n'a rien négligé dans le choix des preuves à l'appui de son opinion. Toutes les banques, dit-il, peuvent se tromper; mais jamais l'erreur qu'elles commettent ne consiste à émettre trop de billets; elle consiste à faire de mauvais placements, et dans ce cas, elles ne sauraient porter préjudice au public qu'après s'être ruinées elles-mêmes. De plus, il établit que les banques libres se surveillent les unes les autres, et que le refus d'acceptation de leurs billets arrêterait promptement les émissions des banques qui n'opèreraient pas avec toute l'habileté désirable.

Après avoir exposé les avantages à attendre de la liberté des banques et de l'émission, M. Courcelle-Seneuil a consacré près de deux cents pages à l'examen des opinions en désaccord avec la sienne. C'est une partie du travail dans laquelle il a déployé une rare sagacité et un savoir tout à fait digne d'éloges. Il y a des questions d'économie politique sur la solution définitive desquelles ne planerait plus aucun doute si l'expérience était venue apporter le contingent de lumières que seule elle peut fournir. Les débats auxquels elle donne lieu attestent que la question des banques est de ce nombre. M. Courcelle Seneuil a tiré tout le parti possible des données déjà acquises, et l'ouvrage qu'il a publié figurera en trèshaut rang parmi ceux qui sont destinés à ajouter largement aux connaissances dont la science a besoin en ce qui touche la circulation fiduciaire.

Le deuxième ouvrage dont j'ai à entretenir l'Académie traite du change et de la liberté d'émission. L'auteur, M. Clément Juglar s'est fait depuis longtemps connaître par des travaux considérables sur tout ce qui se rapporte au crédit, aux crises commerciales, aux opérations et mouvements des banques. Personne ne s'est occupé aussi assidûment de la constatation et de l'étude des faits, et ses opinions libres de tout esprit de système, ont droit à d'autant plus d'attention qu'elles émanent toujours de données largement et habilement recueillies.

Ce que M. Juglar a eu en vue, c'est l'examen des effets du change et de la libre émission, et cet examen, il l'a poursuivi à l'aide de lumières demandées aux faits accomplis partout où fonctionnent des banques rendant compte au public de leurs opérations. L'Angleterre, la France, les Etats-Unis, la Belgique lui ont offert des sources d'informations auxquelles il a puisé abondamment et il n'énonce pas une conclusion que ne justifient des chiffres soigneusement rassemblés et vérifiés.

M. Juglar n'a pas eu de peine à démontrer qu'entre les grands marchés financiers s'est établie une solidarité attestée principalement par les variations du taux du change. Dans tout pays où se fait sentir le besoin de numéraire, l'élévation du change réagit sur le prix de l'escompte, et l'argent revenant là où il est payé le plus chèrement, ne tarde pas à y reparaître dans la proportion nécessaire à l'accomplissement des transactions commerciales.

Quant à la liberté d'émission, l'auteur, sans se prononcer d'une manière absolue, pense que les avantages qu'elle produit l'emporteront de plus en plus sur les inconvénients à mesure que l'usage du crédit se développera. Dans la marche naturelle des choses, les compensations d'effets de commerce à l'aide des dépôts confiés aux banques deviendront plus fréquentes, les clearing-houses se multiplieront et opéreront plus largement, et, comme les monnaies métalliques qu'ils remplacent en partie, les billets de banque euxmêmes auront moins d'emploi et circuleront moins abondamment. C'est là un fait déjà bien visible dans les pays les plus avancés. Les créances respectives s'y échangent et s'annulent les unes par les atres, et il n'y a à fournir pour achever le solde définitif que des appoints peu considérables.

Il est à remarquer que MM. Courcelle-Seneuil et Clément Juglar sont arrives par des voies différentes à la même conclusion en ce qui touche les missions fiduciaires. L'un et l'autre affirment que les billets de banque, à mesure que le crédit se développera, tiendront moins de place dans la circulation générale et que la somme pour laquelle ils y figurent ira s'amoindrissant. Sans être toutes les mêmes, les raisons sur lesquelles s'appuie leur opinion sont em

pruntées à l'examen des faits, et rien n'autorise à en contester la valeur réelle.

Un point qui n'est abordé ni dans l'un ni dans l'autre des ouvrages dont nous entretenons l'Académie aurait cependant mérité quelque attention. Le billet de banque, à l'origine, n'a dû qu'à la protection avouée de l'État, qu'au privilége accordé aux établissements qui l'émettaient, la faculté de faire office de monnaie et de sortir des régions commerciales pour descendre dans la circulation générale. La confiance du public est venue de ce qu'il tenait l'État pour responsable de la destinée des banques, nées sous son patronage exclusif, et en effet, plus d'une fois, l'État est venu à leur secours, et les a préservées, par le cours forcé, de désastres et de ruine.

C'est là une situation que changerait naturellement la liberté de l'émission. D'une part, on ne considérerait plus l'État comme engagé à soutenir dans les moments de crise des banques en pleine possession de l'indépendance, et il est probable que leurs billets ne seraient pas acceptés avec entière confiance. De l'autre, l'État serait conduit ou à leur fermer ses caisses, attendu qu'il n'aurait pas droit de tenir compte des différences de solidité entre les établissements émetteurs, ou à ne les admettre que comme effets de commerce subissant des escomptes, et garantis par les comptables qui les lui transmettraient. Ainsi se resserrerait le champ ouvert à la circulation des billets de banque, et cela dans une large mesure; car il est peu de pays avancés en Europe où le chiffre des contributions annuellement payées par les citoyens, n'excède le tiers de la somme totale du numéraire existant et des billets ou en font office dans les transactions quotidiennes.

Signaler ce côté de la question, c'est ajouter une raison de plus à celles que MM. Courcelle-Seneuil et Juglar ont donnés à l'appui de l'opinion que la liberté de l'émission, loin de multiplier les billets de banque, finirait par en réduire le nombre. C'est là le point capital en matière de circulation fiduciare : car si tel doi être l'effet de la libre émission, et nous croyons que tel il serait, les appréhensions qu'elle suscite seraient per ou mal fondées, et les

périls qui la font redouter ne seraient pas de nature à autoriser les restrictions, dont jusqu'ici elle a été l'objet.

Les ouvrages dont nous venons de parler, sont tous deux d'un mérite qu'il est juste de signaler. M. Courcelle-Seneuil a surtout envisagé les questions au point de vue théorique et scientifique. La plupart des dissertations que renferme son travail sont des modèles de clarté et de précision, et dans toutes, apparaît une haute et rare puissance de raisonnement. M. Clément Juglar, s'est principalement occupé de l'étude des faits. C'est à ceux dont l'accomplissement et le caractère ne sauraient soulever aucun doute qu'il a demandé des enseignements, et ces enseignements, il a su leur imprimer la forme la plus propre à en assurer l'efficacité. Les deux ouvrages se complètent en quelque sorte, l'un par l'autre, et on ne saurait trop les recommander à l'attention de ceux qui, en matière de banque et d'émission, cherchent à ajouter aux lumières dont ils ont besoin pour n'adopter que des opinions suffisamment éclairées.

H. PASSY.

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