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Corneille oublie tout cela. Et c'est pourquoi à dater de Théodore, son théâtre ne vit plus; sauf dans deux ou trois rencontres, il est en pierre., Impression de Théâtre (5a série).

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Cette préférence de Corneille pour les « passions mâles s'explique assez par ce qu'il y avait de fier et même d'un peu dur et morose dans son génie, et par une austérité native que la dévotion vint accroître encore dans la dernière période de sa vie. Il n'avait donc à dire que c'était là son goût. Mais comme il a toujours besoin de s'appuyer sur quelque autorité pour oser être de son avis, il ajoute « Cette maxime semblera nouvelle d'abord; elle est toutefois de la pratique des anciens, chez qui nous ne voyons aucune tragédie où il n'y ait qu'un intérêt d'amour à démêler. Au contraire, ils l'en bannissaient souvent... >>

Corneille oublie d'abord plusieurs tragédies d'Euripide. Puis ici, comme ailleurs, il semble n'avoir presque aucun soupçon de la différence des temps et des civilisations...

Cependant, à prendre en lui-même le sentiment de Corneille, il est probable qu'il y a en effet, de par le monde, des passions aussi intéressantes que l'amour... N'y a-t-il pas dans la grande mêlée humaine d'autres instincts, d'autres intérêts et d'autres drames que ceux de l'amour ? Et l'on

est pris de doutes. Macbeth, Hamlet, le Roi Lear, ne sont point des histoires d'amour, non plus que la moitié des romans de Balzac... Oui, mais l'acte par lequel la race se perpétue, les relations des sexes et tous les sentiments qui naissent de là n'en forment pas moins, par la force des choses, une part essentielle et éternelle de la vie de l'humanité... Même, les drames de l'amour sont toujours mêlés plus ou moins directement, aux drames des autres passions... Les chefs-d'œuvre les plus aimés, sinon les plus surprenants, sont encore des histoires d'amour.

Néanmoins, on pourrait s'associer à Corneille réclamant pour la tragédie des passions plus << mâles » que l'amour, et plus « dignes » d'elle, s'il ne l'en avait lui-même entièrement exclu ou si, l'admettant, ne fût-ce qu'au second rang, il nous l'avait su peindre de couleurs vivantes et vraies. Mais il l'introduit dans les sujets qui l'appellent le moins, et jusque dans cette terrible histoire d'Edipe. Et quel amour! Le plus faux, le plus pédant, le plus glacial, le moins amoureux. Nul poète n'a prêté à l'amour un langage plus précieux et plus alambiqué que ce rude comptenteur de l'amour...

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Quand Rodelinde imagine de faire tuer son fils par Grimoald, afin de rendre ce tyran odieux, on sent que Corneille ne se tient

pas d'admiration

devant une ânie aussi fortement trempée. Oui le bon Corneille aime les beaux monstres. Le bon Corneille n'aime que la force et l'orgueil, Le bon Corneille finit par admirer la volonté toute pure, indépendamment des œuvres où elle s'applique. Tandis qu'il cherche des héroïsmes extraordinaires, il en invente d'abominables, sans trop s'en douter, la beauté de l'effort en luimême l'aveuglart sur tout le reste et lui faisant perdre enfin la juste notion du bien et du mal. On a reproché à certains poètes romanciers de notre temps de nous montrer de si beaux scélérats ou des héros d'une vertu si indépendante et si hardie, que de pareilles imaginations risquent fort d'altérer en nous la conscience morale et le sentiment du devoir. Eh bien! je vous jure que, si Corneille n'était pas vieux de plus de deux siècles et si on lisait tout son théâtre, ce bonhomme austère et naïf encourrait en plein le même reproche. Mais que voulex-vous, il avait pour lui Aristote. Ethé Chrésta ! C'est três curieux.... Corneille et la Poétique d'Aristote.

GUSTAVE LANSON (né en 1857)

La forme du drame cornélien.

Le principe fondamental du théâtre de Corneille, c'est la vérité, la ressemblance avec la vie. Il a tâtonné d'abord, s'étant formé dans un temps où nul ne songeait à diriger l'œuvre dramatique vers cette fin il a poussé sa fantaisie dans tous les sens...

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Puis, il créa la tragédie vraie à laquelle il se tint. Il accepta les unités, qui n'étaient pas encore établies quand il débutait, parce qu'elles étaient une méthode utile pour l'exposition de la vérité morale...

... On a plaint trop facilement ce grand génie ligoté par de pédantesques lois, et se débattant en vain contre leur fatale contrainte. En fait, Corneille ne conteste pas du tout le principe des unités. Il chicane les formules absolues des critiques érudits.

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Il a sur les unités le sentiment qui est celui du public, et qui les a établies: elles sont l'expression de « la raison naturelle », elles donnent la vraisemblance, et un air de réalité au poème dramatique. Aussi faut-il les prendre moins comme

des formules fixes de valeur constante que comme des formules élastiques, de valeur variable, qui indiquent un idéal à poursuivre...

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Si maintenant Corneille a souvent besoin de prendre plus que la formule des doctes n'accorde, s'il n'arrive guère à faire coïncider dans le temps et l'espace l'action réelle et la représentation de l'action, tandis que Racine n'a jamais subi la gêne des Règles, la raison principale en est que les passions se manifestent tout entières par des impulsions instantanées tandis que la volonté se reconnaît surtout à la constance des effets, et il n'y a pas de constance sans une certaine durée...

... L'intrigue pour l'intrigue, le fait pour le fait, le pur intérêt de curiosité, de suprise, enfin la conception mélodramatique du théâtre n'existe pas dans Corneille, quoi qu'on en dise: il est rigoureusement vrai que l'intrigue est chez lui occasion, soutien, ou effet du mécanisme psychologique...

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Sa conception de la vérité dramatique est rationaliste... Il veut du merveilleux rationnel... Il a pris ses sujets presque exclusivement dans l'histoire et chez les historiens... Mais Corneille s'est arrêté avec prédilection à l'histoire romaine où il n'y ait guère d'époque qu'il n'ait repré

sentée...

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