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que la subordination des caractères a été plus évidente et plus indubitable. La création de Jussieu est devenue, comme celle de Newton, d'autant plus certaine qu'on l'a appliquée à un plus grand nombre de corps de la série naturelle, et que ces corps ont joui de propriétés plus élevées. Ce n'est pas qu'en zoologie, par exemple, malgré l'introduction du principe, on en ait fait une mauvaise application qui a retardé les progrès de la science, parce qu'il a d'abord été mal compris; mais, à mesure qu'il le sera mieux, il prendra plus de force, et nous ne devons pas craindre de dire que tous les progrès ultérieurs de la science des corps naturels ne sont qu'une extension des principes posés par de Jussieu, dans un livre qui, pour les naturalistes, mérite aussi bien le titre de principes de la philosophie naturelle que celui de Newton. Mais il a été présenté avec toute la modestie du véritable génie, et il s'élaborait dans le silence et à l'écart, dans le sanctuaire de la piété scientifique, pour ainsi dire, dans le calme d'une âme et d'une famille profondément religieuse, pendant que le fracas des passions politiques agitait le monde, et que les flots de la tourmente amoncelaient les ruines. Il a été produit sans fracas, sans jactance, et bien plus, ceux qui ont cherché à en étendre l'application, quoiqu'ils ne l'aient pas compris malgré leurs grandes prétentions, ont, par le vacarme de la renommée flatteuse, cherché à étouffer sa véritable origine; et un beau jour on a entendu les complaisants de cette grossière supercherie, de ce honteux escamotage, proclamer comme les créateurs de cette immense découverte scientifique et intellectuelle, ceux qui avaient essayé d'en faire une maladroite application. Mais le jour de la justice historique a déjà paru, et Jussieu, créateur et sans rival dans une des parties

importantes de la science, verra tous les philosophes et tous les naturalistes le proclamer l'une des gloires les plus incontestables de l'esprit humain, et l'une des branches les plus importantes du tronc des sciences naturelles, dont Buffon par la hauteur des conceptions et l'éclat du coloris, Linné par la lucidité de la nomenclature, sont les deux autres branches.

La science des corps naturels peut en effet être considérée comme le tableau de la pensée créatrice, le prototype de l'idée de Dieu dans la création, aperçue, sentie, lue par le génie de l'homme; et, comme dans tout tableau, devant présenter trois parties principales : 1o le dessin ou la délinéation des choses arrêtées, exposées, dénommées; 2° la composition, comprenant la disposition, le costume, l'ordre sous lequel ces idées arrêtées, dessinées, doivent être présentées afin d'en faire un tout; 3o enfin la couleur ou le coloris, l'harmonie, comprenant le clair-obscur qui doit animer cette grande pensée, la répandre, la propager, l'échauffer et la faire pénétrer peu à peu et sans effort dans l'esprit humain, pour s'élever alors à la conception de Dieu par le sentiment de ses œuvres.

Ainsi, il est donc évident que la science devait maintenant chercher une méthode à l'aide de laquelle la conception de la nature pût arriver à celui qui la contemple, et la démonstration à celui qui écoute. C'est cet effort, dû à la célèbre famille de Jussieu, que nous allons étudier. Ce n'a pas été l'œuvre d'un seul esprit, mais le résultat d'une suite d'hommes qui ont tous travaillé dans la même direction. Nous aurons donc à faire connaître Antoine, Joseph, Bernard et Laurent de Jussieu, ce qui comprend depuis 1686 jusqu'à 1836.

II. Éléments et extrait de Biographie.

1o Pour les trois premiers, la Biographie de Michaud et leurs écrits.

2o Pour Antoine-Laurent: 1° ses écrits; 2° son Éloge historique, par M. Flourens; 3° une Notice de M. Adolphe Brongniart; 4° une Note de son fils, M. Adrien de Jussieu.

Biographie de Jussieu (Antoine), le chef ou l'aîné, de 1686 à 1738. Il naquit à Lyon, le 8 juillet 1686, de parents dans une honnête aisance: son père, Laurent de Jussieu, médecin et pharmacien, était originaire de Montroti, petit bourg dans les montagnes du Lyonnais. Lucie Cousin, sa mère, était de Lyon. Ils eurent seize enfants. Il était, par la profession de son père, dans une position qui le dirigeait vers la botanique; aussi, dès l'âge de quatorze ans, il herborisait dans les environs de Lyon. A dix-huit ans il étudiait la médecine à Montpellier, sous Magnol, qui a, dit-on, préparé le nom et l'idée de familles naturelles. Plus tard, il fut appelé à Paris par Tournefort, et admis au Jardin des Plantes pour y professer la botanique, comme suppléant de ce célèbre botaniste, dont il devint le successeur en 1710, à vingt-quatre ans, contre le droit qu'en avait Vaillant, démonstrateur sous Tournefort, et qui soutenait la doctrine du sexe des plantes.

Le Jardin des Plantes n'était, comme nous l'avons vu, qu'une déviation du Collège de France, dans la direction de la pratique médicale. Vaillant, né en 1669 et mort en 1722, y fut d'abord introduit par Fagon, alors intendant du Jardin des Plantes et premier médecin du roi. L'enseignement de la botanique se partageait dans cet établissement entre un professeur chargé d'enseigner,

et un démonstrateur chargé de faire connaître les plantes, et qui était comme une sorte d'aide pour le professeur; c'était à ce démonstrateur qu'appartenait de droit la succession au professorat. L'ordre fut donc interverti en faveur de Jussieu.

Presque immédiatement après sa nomination au professorat, Jussieu fut nommé de l'Académie des sciences, en 1711. Ce fut alors que, pour étudier les plantes, il voyagea aux frais du gouvernement dans plusieurs provinces de France, les îles d'Hières, la vallée de Nice, les montagnes d'Espagne, d'où il rapporta à Paris un assez grand nombre de plantes. Il s'adonna ensuite à la pratique de la médecine dans la capitale, travailla par conséquent peu à la méthode naturelle; mais il tendit la main à ses deux frères, qui vont la développer. Dans sa pratique médicale, il aimait surtout à soigner les pauvres ; il y en avait tous les jours chez lui un grand nombre; il les aidait de ses soins et de sa bourse. Il mourut d'une espèce d'apoplexie, le 22 juin 1758, âgé de soixante-douze ans. Sa fortune était assez considérable; son frère Bernard en fut le seul héritier. Ce Jussieu ne se borna pas à la botanique, mais il enrichit les Annales de l'Académie d'un grand nombre de mémoires.

Son Mémoire sur les champignons prouve qu'il y avait en lui le germe d'un botaniste.

Ses mémoires sur les empreintes de végétaux et surtout de fougères dans les schistes carbonifères, sur l'hippopotame et les os fossiles des environs de Montpellier; sur les bufonites; sur les ammonites, prouvent qu'il était bon observateur, qu'il avait une rare sagacité comparative, et qu'il ne craignait pas de déduire les conséquences qui lui paraissaient légitimes.

Ses Mémoires sur les mines d'Almaden, sur l'eau de la Seine et sa salubrité, prouvent qu'il ne négligeait pas son état de médecin.

C'est dans ces divers travaux qu'il a montré le premier, par la comparaison, que les impressions de fougères qu'on trouve dans les schistes houilliers, ont leurs analogues dans les Indes; ce qu'il a fait également pour certaines parties d'animaux, entre autres les palais de la raie aigle.

Il a aussi traité de la nécessité d'établir une méthode nouvelle des plantes, et il forme une classe particulière pour les fougères, à laquelle doivent se rapporter nonseulement les champignons, les agarics, mais encore les lichens.

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Quelque difficulté que nous présentent les plantes dans leur configuration, dans leur manière de végéter, de se multiplier, elles ne laissent pas d'avoir entre elles une certaine analogie, sur laquelle sont établis les rapports qui les font distinguer en familles.

Les champignons sont de celles qui s'éloignent le plus de cette analogie, d'où plus de difficulté à leur donner une place convenable dans la méthode nouvelle d'arranger les plantes. » P. 532.

Sur ces entrefaites et dans cette direction, la famille jugea qu'il ne suffisait pas d'avoir des plantes des pays connus, pour établir des principes, mais qu'il fallait encore explorer les pays lointains; et Joseph de Jussieu alla au Pérou pour y remplir cette mission.

Joseph de Jussieu (le voyageur, le martyr de la botanique), frère d'Antoine et de Bernard de Jussieu. Il naquit à Lyon, le 3 septembre 1704. Il était le dernier des seize enfants de Laurent de Jussieu. Élevé et formé par son frère aîné, il varia dans ses goûts et la direction de

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