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cun prince, mais malgré tous les princes de la terre, qui l'ont combattue.

Que l'on considère cette suite merveilleuse de prophètes qui se sont succédé les uns aux autres pendant deux mille ans, et qui ont tous prédit en tant de manières différentes jusques aux moindres circonstances de la vie de JésusChrist, de sa mort, de sa résurrection, de la mission des apôtres, de la prédication de l'Évan

sieurs autres choses qui concernent l'établissement de la religion chrétienne et l'abolition du judaïsme.

Que l'on considère la sainteté, la hauteur et l'humilité d'une ame chrétienne. Les philosophes païens se sont quelquefois élevés audessus du reste des hommes par une manière de vivre plus réglée, et par des sentiments qui avoient quelque conformité avec ceux du chris-gile, de la conversion des nations, et de plutianisme. Mais ils n'ont jamais reconnu pour vertu ce que les chrétiens appellent humilité, et ils l'auroient même crue incompatible avec les autres dont ils faisoient profession. Il n'y a que la religion chrétienne qui ait su joindre ensemble des choses qui avoient paru jusque-là si opposées, et qui ait appris aux hommes que, bien loin que l'humilité soit incompatible avec les autres vertus, sans elle toutes les autres vertus ne sont que des vices et des défauts.

Que l'on considère les merveilles de l'Écriture sainte, qui sont infinies, la grandeur et la sublimité plus qu'humaine des choses qu'elle contient, et la simplicité admirable de son style, qui n'a rien d'affecté, rien de recherché, et qui porte un caractère de vérité qu'on ne sauroit désavouer.

Que l'on considère la personne de Jésus-Christ en particulier. Quelque sentiment qu'on ait de lui, on ne peut pas disconvenir qu'il n'eût un esprit très grand et très relevé, dont il avoit donné des marques dès son enfance, devant les docteurs de la loi : et cependant, au lieu de s'appliquer à cultiver ses talents par l'étude et la fréquentation des savants, il passe trente ans de sa vie dans le travail des mains et dans une retraite entière du monde; et pendant les trois années de sa prédication, il appelle à sa compagnie et choisit pour ses apôtres des gens sans science, sans étude, sans crédit; et il s'attire pour ennemis ceux qui passoient pour les plus savants et les plus sages de son temps. C'est une étrange conduite pour un homme qui a dessein d'établir une nouvelle religion.

Que l'on considère en particulier ces apôtres choisis par Jésus-Christ, ces gens sans lettres, sans étude, et qui se trouvent tout d'un coup assez savants pour confondre les plus habiles philosophes, et assez forts pour résister aux rois et aux tyrans qui s'opposoient à l'établissement de la religion chrétienne qu'ils annonçoient.

Que l'on considère l'accomplissement admirable de ces prophéties, qui conviennent si parfaitement à la personne de Jésus-Christ, qu'il est impossible de ne pas le reconnoître, à moins de vouloir s'aveugler soi-même.

Que l'on considère l'état du peuple juif, et devant et après la venue de Jésus-Christ, son état florissant avant la venue du Sauveur, et son état plein de misères depuis qu'ils l'ont rejeté : car ils sont encore aujourd'hui sans aucune marque de religion, sans temple, sans sacrifices, dispersés par toute la terre, le mépris et le rebut de toutes les nations.

Que l'on considère la perpétuité de la religion chrétienne, qui a toujours subsisté depuis le commencement du monde, soit dans les saints de l'ancien Testament, qui ont vécu dans l'attente de Jésus-Christ avant sa venue; soit dans ceux qui l'ont reçu et qui ont cru en lui depuis sa venue: au lieu que nulle autre religion n'a la perpétuité, qui est la principale marque de la véritable.

Enfin, que l'on considère la sainteté de cette religion, sa doctrine, qui rend raison de tout jusques aux contrariétés qui se rencontrent dans l'homme, et toutes les autres choses singulières, surnaturelles et divines qui y éclatent de toutes parts.

Et qu'on juge, après tout cela, s'il est possible de douter que la religion chrétienne soit la seule véritable, et si jamais aucune autre a rien eu qui en approchât.

ARTICLE V.

Véritable religion prouvée par les contrariétés. qui sont dans l'homme, et par le péché originel.

I.

Les grandeurs et les misères de l'homme sont

tellement visibles, qu'il faut nécessairement que | que vous êtes, et regardez les bêtes dont vous êtes le compagnon.

la véritable religion nous enseigne qu'il y a en lui quelque grand principe de grandeur, et en même temps quelque grand principe de misère. Car il faut que la véritable religion connoisse à fond notre nature; c'est-à-dire, qu'elle connoisse tout ce qu'elle a de grand et tout ce qu'elle a de misérable, et la raison de l'un et de l'autre. Il faut encore qu'elle nous rende raison des étonnantes contrariétés qui s'y rencontrent. S'il y a un seul principe de tout, une seule fin de tout, il faut que la vraie religion nous enseigne à n'adorer que lui et à n'aimer que lui. Mais comme nous nous trouvons dans l'impuissance d'adorer ce que nous ne connoissons pas, et d'aimer autre chose que nous, il faut que la religion, qui instruit de ces devoirs, nous instruise aussi de cette impuissance, et qu'elle nous en apprenne les remèdes.

Il faut, pour rendre l'homme heureux, qu'elle lui montre qu'il y a un Dieu; qu'on est obligé de l'aimer; que notre véritable félicité est d'être à lui, et notre unique mal d'être séparés de lui; qu'elle nous apprenne que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connoître et de l'aimer; et qu'ainsi, nos devoirs nous obligeant d'aimer Dieu, et notre concupiscence nous en détournant, nous sommes pleins d'injustice. Il faut qu'elle nous rende raison de l'opposition que nous avons à Dieu et à notre propre bien; il faut qu'elle nous en enseigne les remèdes, et les moyens d'obtenir ces remèdes. Qu'on examine sur cela toutes les religions du monde, et qu'on voie s'il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse.

Que deviendra donc l'homme? Sera-t-il égal à Dieu ou aux bêtes? Quelle effroyable distance! Que serons-nous done? Quelle religion nous enseignera à guérir l'orgueil et la concupiscence? Quelle religion nous enseignera notre bien, nos devoirs, les foiblesses qui nous en détournent, les remèdes qui peuvent les guérir, et le moyen d'obtenir ces remèdes? Voyons ce que nous dit sur cela la sagesse de Dieu, qui nous parle dans la religion chrétienne.

C'est en vain, ô homme! que vous cherchez dans vous-même le remède à vos misères. Toutes vos lumières ne peuvent arriver qu'à connoitre que ce n'est point en vous que vous trouverez ni la vérité ni le bien. Les philosophes vous l'ont promis, ils n'ont pu le faire1. Ils ne savent ni quel est votre véritable bien, ni quel est votre véritable état. Comment auroient-ils donné des remèdes à vos maux, puisqu'ils ne les ont pas seulement connus? Vos maladies principales sont l'orgueil, qui vous soustrait à Dieu, et la concupiscence, qui vous attache à la terre; et ils n'ont fait autre chose qu'entretenir au moins une de ces maladies. S'ils vous ont donné Dieu pour objet, ce n'a été que pour exercer votre orgueil. Ils vous ont fait penser que vous lui êtes semblable par votre nature. Et ceux qui ont vu la vanité de cette prétention vous ont jeté dans l'autre précipice, en vous faisant entendre que votre nature étoit pareille à celle des bêtes, et vous ont porté à chercher votre bien dans les concupiscences, qui sont le partage des animaux. Ce n'est pas là le moyen de vous instruire de vos injustices. N'attendez donc ni vérité, ni consolation des hommes. Je suis celle qui vous ai formé, et qui puis seule vous apprendre qui vous êtes. Mais vous n'êtes plus maintenant en l'état où je vous ai formé. J'ai créé l'homme, saint, innocent, parfait; je l'ai rempli de lumière et d'intelligence; je lui ai communiqué ma gloire et mes merveilles. L'oeil de l'homme voyoit alors la majesté de Dieu. Il n'étoit pas dans les ténèbres qui l'aveuglent, ni dans la mortalité et dans les misères qui l'affligent. Mais il n'a pu soutenir tant de gloire sans tomber dans la présomption. Il a 'C'est-à-dire, n'ont pu trouver la vérité à l'aide des lu

Sera-ce celle qu'enseignoient les philosophes, qui nous proposent pour tout bien un bien qui est en nous? Est-ce là le vrai bien? Ont-ils trouvé le remède à nos maux? Est-ce avoir guéri la présomption de l'homme, que de l'avoir égalé à Dieu? Et ceux qui nous ont égalés aux bêtes, et qui nous ont donné les plaisirs de la terre pour tout bien, ont-ils apporté le remède à nos concupiscences? Levez vos yeux vers Dieu, disent les uns voyez celui auquel vous ressemblez, et qui vous a fait pour l'adorer; vous pouvez vous rendre semblable à lui; la sagesse vous y égalera, si vous voulez la suivre. Et les autres disent: Baissez vos yeux vers la terre, chétif vermières de la raison.

que le mensonge : incapables d'ignorer absolument, et de savoir certainement ; tant il est manifeste que nous avons été dans un degré de perfection dont nous sommes malheureusement tombés!

voulu se rendre centre de lui-même, et indépen- | sentons une image de la vérité, et ne possédons dant de mon secours. Il s'est soustrait à ma domination; et s'égalant à moi par le desir de trouver sa félicité en lui-même, je l'ai abandonné à lui; et révoltant toutes les créatures qui lui étoient soumises, je les lui ai rendues ennemies: en sorte qu'aujourd'hui l'homme est devenu semblable aux bêtes, et dans un tel éloignement de moi, qu'à peine lui reste-t-il quelque lumière confuse de son auteur, tant toutes ses connoissances ont été éteintes ou troublées! Les sens, indépendants de la raison, et souvent maîtres de la raison, l'ont emporté à la recherche des plaisirs. Toutes les créatures ou l'affligent, ou le tentent, et dominent sur lui, ou en le soumettant par leur force, ou en le charmant par leurs douceurs: ce qui est encore une domination plus terrible et plus impérieuse.

Voilà l'état où les hommes sont aujourd'hui. Il leur reste quelque instinct puissant du bonheur de leur première nature, et ils sont plongés dans les misères de leur aveuglement et de leur concupiscence, qui est devenue leur seconde

nature.

II.

De ces principes que je vous ouvre, vous pouvez reconnoître la cause de tant de contrariétés qui ont étonné tous les hommes, et qui les ont partagés. Observez maintenant tous les mouve ments de grandeur et de gloire que le sentiment de tant de misères ne peut étouffer, et voyez s'il ne faut pas que la cause en soit une autre nature.

III.

Connoissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vous-même. Humiliez-vous, raison impuissante; taisez-vous, nature imbécile; apprenez que l'homme passe infiniment l'homme, et entendez de votre maître votre condition véritable, que vous ignorez.

Car enfin, si l'homme n'avoit jamais été corrompu, il jouiroit de la vérité et de la félicité avec assurance. Et si l'homme n'avoit jamais été que corrompu, il n'auroit aucune idée, ni de la vérité, ni de la béatitude. Mais malheureux que nous sommes, et plus que s'il n'y avoit aucune grandeur dans notre condition, nous avons une idée du bonheur, et ne pouvons y arriver; nous

Qu'est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu'il y a eu autrefois en l'homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, qu'il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l'environne, en cherchant dans les choses absentes le secours qu'il n'obtient pas des présentes, et que les unes et les autres sont incapables de lui donner, parceque ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable?

IV.

Chose étonnante cependant, que le mystère le plus éloigné de notre connoissance, qui est celui de la transmission du péché originel, soit une chose dans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connoissance de nous-mêmes! Car il est sans doute qu'il n'y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui, étant si éloignés de cette source, semblent incapables d'y participer. Cet écoulement ne nous paroît pas seulement impossible, il nous semble même très injuste: car qu'y a-t-il de plus contraire aux éternellement un enfant incapable de volonté, règles de notre misérable justice que de damner pour un péché où il paroît avoir eu si peu de part, qu'il est commis six mille ans avant qu'il fût en être? Certainement rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine; et cependant, sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nousmêmes. Le noeud de notre condition prend ses retours et ses plis dans cet abyme. De sorte que l'homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n'est inconcevable à l'homme.

Le péché originel est une folie devant les hommes; mais on le donne pour tel. On ne doit donc pas reprocher le défaut de raison en cette doctrine, puisqu'on ne prétend pas que la raison puisse y atteindre. Mais cette folie est plus sage que toute la sagesse des hommes : Quod stultum est Dei, sapientius est hominibus. (I. Cor., 1,25.)

désespoir.

Car, sans cela, que dira-t-on qu'est l'homme? | vanité, mais c'étoit en se précipitant dans le Tout son état dépend de ce point imperceptible. Et comment s'en fût-il aperçu par sa raison, puisque c'est une chose au-dessus de sa raison; et que sa raison, bien loin de l'inventer par ses voies, s'en éloigne quand on le lui présente?

V.

Ces deux états d'innocence et de corruption étant ouverts, il est impossible que nous ne les reconnoissions pas. Suivons nos mouvements, observons-nous nous-mêmes, et voyons si nous n'y trouverons pas les caractères vivants de ces deux natures. Tant de contradictions se trouveroient-elles dans un sujet simple?

Cette duplicité de l'homme est si visible, qu'il y en a qui ont pensé que nous avions deux ames: un sujet simple leur paroissant incapable de telles et si soudaines variétés, d'une présomption démesurée à un horrible abattement de

cœur.

Ainsi toutes ces contrariétés, qui sembloient devoir le plus éloigner les hommes de la connoissance d'une religion, sont ce qui doit plus tôt les conduire à la véritable.

Pour moi, j'avoue qu'aussitôt que la religion chrétienne découvre ce principe, que la nature des hommes est corrompue et déchue de Dieu, cela ouvre les yeux à voir par-tout le caractère de cette vérité : car la nature est telle, qu'elle marque par-tout un Dieu perdu, et dans l'homme,

et hors de l'homme.

ou

Sans ces divines connoissances, qu'ont pu faire les hommes, sinon, ou s'élever dans le sentiment intérieur qui leur reste de leur grandeur passée, ou s'abattre dans la vue de leur foiblesse présente? Car, ne voyant pas la vérité entière, ils n'ont pu arriver à une parfaite vertu. Les uns, considérant la nature comme interrompue, les autres comme irréparable, ils n'ont pu fuir, l'orgueil, ou la paresse, qui sont les deux sources de tous les vices; puisqu'ils ne pouvoient, sinon, ou s'y abandonner par lâcheté, ou en sortir par l'orgueil. Car s'ils connoissoient l'excellence de l'homme, ils en ignoroient la corruption; de sorte qu'ils évitoient bien la paresse, mais ils se perdoient dans l'orgueil. Et s'ils reconnoissoient l'infirmité de la nature, ils en ignoroient la dignité; de sorte qu'ils pouvoient bien éviter la

De là viennent les diverses sectes des stoïciens et des épicuriens, des dogmatistes et des académiciens, etc. La seule religion chrétienne a pu guérir ces deux vices, non pas en chassant l'un et l'autre par la sagesse de la terre, mais en chassant l'un et l'autre par la simplicité de l'Évangile. Car elle apprend aux justes, qu'elle élève jusqu'à la participation de la Divinité même, qu'en ce sublime état ils portent encore la source de toute la corruption, qui les rend, durant toute la vie, sujets à l'erreur, à la misère, à la mort, au péché ; et elle crie aux plus impies qu'ils sont capables de la grace de leur Rédempteur. Ainsi, donnant à trembler à ceux qu'elle justifie, et consolant ceux qu'elle condamne, elle tempère avec tant de justesse la crainte avec l'espérance, par cette double capacité qui est commune à tous, et de la grace et du péché, qu'elle abaisse infiniment plus que la seule raison ne peut faire, mais sans désespérer; et qu'elle élève infiniment plus que l'orgueil de la nature, mais sans enfler: faisant bien voir par-là qu'étant seule exempte d'erreur et de vice, il n'appartient qu'à elle, et d'instruire, et de corriger les hommes.

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La misère porte au désespoir : la grandeur | sont capables d'être unis à Dieu, n'est autre chose inspire la présomption.

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Les philosophes ne prescrivoient point des sentiments proportionnés aux deux états. Ils inspiroient des mouvements de grandeur pure, et ce n'est pas l'état de l'homme. Ils inspiroient des mouvements de bassesse pure, et c'est aussi peu l'état de l'homme. Il faut des mouvements de bassesse, non d'une bassesse de nature, mais de pénitence; non pour y demeurer, mais pour aller à la grandeur. Il faut des mouvements de grandeur, mais d'une grandeur qui vienne de la grace, et non du mérite, et après avoir passé par la bassesse.

XI.

Nul n'est heureux comme un vrai chrétien, ni raisonnable, ni vertueux, ni aimable. Avec combien peu d'orgueil un chrétien se croit-il unià Dieu! avec combien peu d'abjection s'égalet-il aux vers de la terre!

Qui peut donc refuser à cés célestes lumières de les croire et de les adorer? Car n'est-il pas plus clair que le jour que nous sentons en nousmêmes des caractères ineffaçables d'excellence? Et n'est-il pas aussi véritable que nous éprouvons à toute heure les effets de notre déplorable condition? Que nous crie donc ce chaos et cette confusion monstrueuse, sinon la vérité de ces deux états, avec une voix si puissante, qu'il est impossible d'y résister?

XII.

que la vue de leur bassesse. Mais s'ils l'ont bien sincère, qu'ils la suivent aussi loin que moi, et qu'ils reconnoissent que cette bassesse est telle en effet, que nous sommes par nous-mêmes incapables de connoître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrois bien savoir d'où cette créature, qui se reconnoît si foible, a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu, et d'y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. L'homme sait si peu ce que c'est que Dieu, qu'il ne sait pas ce qu'il est lui-même : et tout troublé de la vue de son propre état, il ose dire que Dieu ne peut pas le rendre capable de sa communication! Mais je voudrois lui demander si Dieu demande autre chose de lui, sinon qu'il l'aime et le connoisse; et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connoissable et aimable à lui, puisqu'il est naturellement capable d'amour et de reconnoissance. Car il est sans doute qu'il connoît au moins qu'il est, et qu'il aime quelque chose. Donc s'il voit quelque chose dans les ténèbres où il est, et s'il trouve quelque sujet d'amour parmi les choses de la terre, pourquoi, si Dieu lui donne quelques rayons de son essence, ne sera-t-il pas capable de le connoître et de l'aimer en la manière qu'il lui plaira de se communiquer à lui? Il y a donc sans doute une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu'ils paroissent fondés sur une humilité apparente, qui n'est ni sincère, ni raisonnable, si elle ne nous fait confesser que, ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes, nous ne pouvons l'apprendre que de Dieu.

ARTICLE VI.

Soumission et usage de la raison.

I.

La dernière démarche de la raison, c'est de connoître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent. Elle est bien foible si elle ne va jusque-là. Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, se soumettre où il faut. Qui ne fait ainsi, n'entend pas la force de la raison. Il y en a qui pèchent contre ces trois principes, ou en assurant tout comme démonstratif, manque de

Ce qui détourne les hommes de croire qu'ils se connoître en démonstrations; ou en doutant

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