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Montaigne, né dans un état chrétien, fait profession de la religion catholique, et en cela il n'a rien de particulier; mais comme il a voulu chercher une morale fondée sur la raison, sans les lumières de la foi, il prend ses principes dans cette supposition, et considère l'homme destitué de toute révélation. Il met donc toutes choses dans un doute si universel et si général, que l'homme doutant même s'il doute, son incertitude roule sur elle-même dans un cercle perpétuel et sans repos : s'opposant également à ceux qui disent que tout est incertain, et à ceux qui disent que tout ne l'est pas, parcequ'il ne veut rien assurer. C'est dans ce doute qui doute de soi, et dans cette ignorance qui s'ignore, que consiste l'essence de son opinion. Il ne peut l'exprimer par aucun terme positif: car s'il dit qu'il doute, il se trahit, en assurant au moins qu'il doute ; ce qui étant formellement contre son intention, il est réduit à s'expliquer par interrogation; de sorte que ne voulant pas dire, Je ne sais, il dit, Que sais-je? De quoi il a fait sa devise, en la mettant sous les bassins d'une balance, lesquels pesant les contradictoires, se trouvent dans un parfait équilibre. En un mot, il est pur pyrrhonien. Tous ses discours, tous ses essais, roulent sur ce principe; et c'est la seule chose qu'il prétend bien établir. Il détruit insensiblement tout ce qui passe pour le plus certain parmi les hommes, non pas pour établir le contraire, avec une certitude de laquelle seule il est ennemi, mais pour faire voir seulement que, les apparences étant égales de part et d'autre, on ne sait où asseoir sa croyance.

de l'état; il ne prétend pas que son avis soit meilleur, il n'en croit aucun bon. Il veut seulement prouver la vanité des opinions les plus reçues : montrant que l'exclusion de toutes lois diminueroit plutôt le nombre des différends, que cette multitude de lois, qui ne sert qu'à l'augmenter, parceque les difficultés croissent à mesure qu'on les pèse, les obscurités se multiplient par les commentaires ; et que le plus sûr moyen d'entendre le sens d'un discours, est de ne pas l'examiner, de le prendre sur la première apparence: car, si peu qu'on l'observe, toute sa clarté se dissipe. Sur ce modèle il juge à l'aventure de toutes les actions des hommes et des points de l'histoire, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre; suivant librement sa première vue, et sans contraindre sa pensée sous les règles de la raison, qui n'a, selon lui, que de fausses mesures. Ravi de montrer, par son exemple, les contrariétés d'un mème esprit dans ce génie tout libre, il lui est également bon de s'emporter ou non dans les disputes,, ayant toujours, par l'un ou l'autre exemple, un moyen de faire voir la foiblesse des opinions : étant porté avec tant d'avantage dans ce doute universel, qu'il s'y fortifie également par son triomphe et par sa défaite.

C'est dans cette assiette, toute flottante et toute chancelante qu'elle est, qu'il combat avec une fermeté invincible les hérétiques de son temps, sur ce qu'ils assuroient connoître seuls le véritable sens de l'Écriture; et c'est de là encore qu'il foudroie l'impiété horrible de ceux qui osent dire que Dieu n'est point. Il les entreprend particulièrement dans l'apologie de Raimond de Sébonde; et, les trouvant dépouillés volontairement de toute révélation, et abanDans cet esprit, il se moque de toutes les as- donnés à leur lumière naturelle, toute foi mise surances; il combat, par exemple, ceux qui à part, il les interroge de quelle autorité ils enont pensé établir un grand remède contre les treprennent de juger de cet Être souverain, qui procès, par la multitude et la prétendue jus- est infini par sa propre définition : eux qui ne tesse des lois comme si on pouvoit couper la connoissent véritablement aucune des moindres racine des doutes, d'où naissent les procès! choses de la nature! Il leur demande sur quels comme s'il y avoit des digues qui pussent arrê- principes ils s'appuient, et il les presse de les ter le torrent de l'incertitude, et captiver les lui montrer. Il examine tous ceux qu'ils peuconjectures! Il dit, à cette occasion, qu'il vau- vent produire; et il pénètre si avant, par le tadroit autant soumettre sa cause au premier pas- lent où il excelle, qu'il montre la vanité de tous sant qu'à des juges armés de ce nombre d'ordon- | ceux qui passent pour les plus éclairés et les nances. Il n'a pas l'ambition de changer l'ordre | plus fermes. Il demande si l'ame connoît quel

Enfin Montaigne examine profondément les sciences; la géométrie, dont il tâche de montrer l'incertitude dans ses axiomes et dans les termes qu'elle ne définit point, comme d'étendue, de mouvement, etc.; la physique et la médecine, qu'il déprime en une infinité de façons; l'histoire, la politique, la morale, la jurisprudence, etc. De sorte que, sans la révélation, nous pourrions croire, selon lui, que la vie est un songe dont nous ne nous éveillons qu'à la mort, et pendant lequel nous avons aussi peu les principes du vrai que durant le sommeil naturel. C'est ainsi qu'il gourmande si fortement et si cruellement la raison dénuée de la foi, que, lui faisant douter si elle est raison

que chose; si elle se connoît elle-même; si elle | hommes? Nous n'en avons d'autres marques que est substance ou accident, corps ou esprit; ce l'uniformité des conséquences, qui n'est pas touque c'est que chacune de ces choses; et s'il n'y jours un signe de celle des principes; car ceuxa rien qui ne soit de l'un de ces ordres; si elle ci peuvent bien être différents, et conduire connoît son propre corps; si elle sait ce que néanmoins aux mêmes conclusions, chacun sac'est que matière; comment elle peut raison- chant que le vrai se conclut souvent du faux. ner, si elle est matière; et comment elle peut être unie à un corps particulier, et en ressentir les passions, si elle est spirituelle. Quand a-t-elle commencé d'être? avec ou devant le corps? finit-elle avec lui, ou non? ne se trompe-t-elle jamais? sait-elle quand elle erre? vu que l'essence de la méprise consiste à la méconnoître. Il demande encore si les animaux raisonnent, pensent, parlent : qui peut décider ce que c'est que le temps, l'espace, l'étendue, le mouvement, l'unité, toutes choses qui nous environnent, et entièrement inexplicables; ce que c'est que santé, maladie, mort, vie, bien, mal, justice, péché, dont nous parlons à toute heure ; si nous avons en nous des principes du vrai; et si ceux que nous croyons, et qu'on ap-nable, et si les animaux le sont ou non, ou plus pelle axiomes, ou notions communes à tous les ou moins que l'homme, il la fait descendre de hommes, sont conformes à la vérité essentielle. l'excellence qu'elle s'est attribuée, et la met, Puisque nous ne savons que par la seule foi par grace, en parallèle avec les bêtes, sans lui qu'un Etre tout bon nous les a données véri- permettre de sortir de cet ordre, jusqu'à ce tables, en nous créant pour connoître la vérité, qu'elle soit instruite, par son Créateur même, qui saura, sans cette lumière de la foi, si, étant de son rang qu'elle ignore: la menaçant, si formées à l'aventure, nos notions ne sont pas elle gronde, de la mettre au-dessous de toutes, incertaines, ou si, étant formées par un être ce qui lui paroît aussi facile que le contraire ; faux et méchant, il ne nous les a pas données et ne lui donnant pouvoir d'agir cependant que fausses pour nous séduire? Montrant par-là que pour reconnoître sa foiblesse avec une humilité Dieu et le vrai sont inséparables, et que si l'un sincère, au lieu de s'élever par une sotte vaest ou n'est pas, s'il est certain ou incertain, nité. On ne peut voir, sans joie, dans cet aul'autre est nécessairement de même. Qui sait si teur, la superbe raison si invinciblement froisle sens commun, que nous prenons ordinaire-sée par ses propres armes, et cette révolte si ment pour juge du vrai, a été destiné à cette fonction par celui qui l'a créé? qui sait ce que c'est que vérité? et comment peut-on s'assurer de l'avoir sans la connoître? qui sait même ce que c'est qu'un être, puisqu'il est impossible de le définir, qu'il n'y a rien de plus général, et qu'il faudroit, pour l'expliquer, se servir de l'Etre même, en disant, c'est telle ou telle chose? Puis donc que nous ne savons ce que c'est qu'ame, corps, temps, espace, mouvement, vérité, bien, ni même l'être, ni expliquer l'idée que nous nous en formons, comment nous asSurerons-nous qu'elle est la même dans tous les

sanglante de l'homme contre l'homme, laquelle, de la société avec Dieu où il s'élevoit par les maximes de sa foible raison, le précipite dans la condition des bêtes; et on aimeroit de tout son cœur le ministre d'une si grande vengeance, si, étant humble disciple de l'Église par la foi, il eût suivi les règles de la morale, en portant les hommes, qu'il avoit si utilement humiliés, à ne pas irriter par de nouveaux crimes celui qui peut seul les tirer de ceux qu'il les a convaincus de ne pas pouvoir seulement connoître. Mais il agit au contraire en païen: voyons sa morale.

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III.

En lisant Montaigne, et le comparant avec Épictète, on ne peut se dissimuler qu'ils étoient assurément les deux plus grands défenseurs des deux plus célèbres sectes du monde infidèle, et qui sont les seules, entre celles des hommes destitués de la lumière de la religion, qui soient en quelque sorte liées et conséquentes. En effet, que peut-on faire sans la révélation, que de suivre l'un ou l'autre de ces deux systèmes? Le premier : Il y a un Dieu, donc c'est lui qui a créé l'homme; il l'a fait pour lui-même il l'a créé tel qu'il doit être pour être juste et devenir heureux : donc L'homme peut connoître la vérité, et il est à portée de s'élever par la sagesse jusqu'à Dieu, qui est son souverain bien. Second système : l'homme ne peut s'élever jusqu'à Dieu, ses inclinations contredisent la loi; il est porté à chercher son bonheur dans les biens visibles, et même en ce qu'il y a de plus honteux. Tout paroît donc incertain, et le vrai bien l'est aussi : ce qui semble nous réduire à n'avoir ni règle fixe pour les mœurs, ni certitude dans les sciences.

De ce principe, que hors de la foi tout est | lieu que la sienne est naïve, familière, plaidans l'incertitude, et en considérant combien sante, enjouée, et, pour ainsi dire, folâtre : il y a de temps qu'on cherche le vrai et le bien, elle suit ce qui la charme, et badine négligemsans aucun progrès vers la tranquillité, il con- ment des accidents bons et mauvais, couchée clut qu'on doit en laisser le soin aux autres; mollement dans le sein de l'oisiveté tranquille, demeurer cependant en repos, coulant légère d'où elle montre aux hommes qui cherchent la ment sur ces sujets, de peur d'y enfoncer en ap- félicité avec tant de peine, que c'est là seulepuyant; prendre le vrai et le bien sur la pre- ment où elle repose, et que l'ignorance et l'inmière apparence, sans les presser, parcequ'ils curiosité sont deux doux oreillers pour une tête sont si peu solides, que, quelque peu que l'on bien faite, comme il le dit lui-même. serre la main, ils échappent entre les doigts, et la laissent vide. Il suit donc le rapport des sens, et les notions communes, parcequ'il faudroit se faire violence pour les démentir, et qu'il ne sait s'il y gagneroit, ignorant où est le vrai. Il fuit aussi la douleur et la mort, parceque son instinct l'y pousse, et qu'il ne veut pas y résister par la même raison. Mais il ne se fie pas trop à ces mouvements de crainte, et n'oseroit en conclure que ce soient de véritables maux: vu qu'on sent aussi des mouvements de plaisir qu'on accuse d'être mauvais, quoique la nature, dit-il, parle au contraire. « Ainsi je << n'ai rien d'extravagant dans ma conduite, poursuit-il ; j'agis comme les autres; et tout < ce qu'ils font dans la sotte pensée qu'ils sui‹ vent le vrai bien, je le fais par un autre principe, qui est que les vraisemblances étant pareillement de l'un et de l'autre côté, l'exemple et la commodité sont les contre-poids qui ‹ m'entraînent. » Il suit les mœurs de son pays, parceque la coutume l'emporte; il monte son cheval, parceque le cheval le souffre, mais sans croire que ce soit de droit: au contraire, il ne sait pas si cet animal n'a pas celui de se servir de lui. Il se fait même quelque violence pour éviter certains vices; il garde la fidélité au mariage, à cause de la peine qui suit les désordres: la règle de ses actions étant en tout la commodité et la tranquillité. Il rejette donc bien loin cette vertu stoïque qu'on peint avec une mine sévère, un regard farouche, des cheveux hérissés, le front ridé et en sueur, dans une posture pénible et tendue, loin des hommes, dans un morne silence, et seule sur la pointe d'un rocher: fantôme, dit Montaigne, capable d'effrayer les enfants, et qui ne fait autre chose, avec un travail continuel, que de chercher un repos où elle n'arrive jamais; au

Il y a un plaisir extrême à remarquer dans ces divers raisonnements en quoi les uns et les autres ont aperçu quelque chose de la vérité qu'ils ont essayé de connoître. Car s'il est agréable d'observer dans la nature le desir qu'elle a de peindre Dieu dans tous ses ouvrages où l'on en voit quelques caractères, parcequ'ils en sont les images, combien plus est-il juste de considérer dans les productions des esprits les efforts qu'ils font pour parvenir à la vérité, et de remarquer en quoi ils y arrivent et en quoi ils s'en égarent? C'est la principale utilité qu'on doit tirer de ses lectures.

Il semble que la source des erreurs d'Épie- | pes opposés, qui paroissent incompatibles dans les doctrines purement humaines. En voici la raison: les sages du monde ont placé les contrariétés dans un même sujet; l'un attribuoit la force à la nature, l'autre la foiblesse à cette même nature; ce qui ne peut subsister: au lieu que la foi nous apprend à les mettre en des sujets différents; toute l'infirmité appartient à la nature, toute la puissance au secours de Dieu. Voilà l'union étonnante et nouvelle qu'un Dieu seul pouvoit enseigner, que lui seul pouvoit faire, et qui n'est qu'une image et qu'un effet de l'union ineffable des deux natures dans la seule personne d'un Homme-Dieu. C'est ainsi que la philosophie conduit insensiblement à la théologie : et il est difficile de ne pas y entrer, quelque vérité que l'on traite, parcequ'elle est le centre de toutes les vérités; ce qui paroît ici parfaitement, puisqu'elle renferme si visiblement ce qu'il y a de vrai dans ces opinions contraires. Aussi on ne voit pas comment aucun d'eux pourroit refuser de la suivre. S'ils sont pleins de la grandeur de l'homme, qu'en ontils imaginé qui ne cède aux promesses de l'Évangile, lesquelles ne sont autre chose que le digne prix de la mort d'un Dieu? Et s'ils se plaisent à voir l'infirmité de la nature, leur idée n'égale point celle de la véritable foiblesse du péché, dont la même mort a été le remède. Chaque parti y trouve plus qu'il ne desire; et, ce qui est admirable, y trouve une union solide: eux qui ne pouvoient s'allier dans un degré infiniment inférieur!

tète et des stoïciens d'une part, de Montaigne et des épicuriens de l'autre, est de n'avoir pas su que l'état de l'homme à présent diffère de celui de sa création. Les uns, remarquant quelques traces de sa première grandeur, et ignorant sa corruption, ont traité la nature comme saine, et sans besoin de réparateur; ce qui les mène au comble de l'orgueil. Les autres, éprouvant sa misère présente, et ignorant sa première dignité, traitent la nature comme nécessairement infirme et irréparable; ce qui les précipite dans le désespoir d'arriver à un véritable bien, et de là, dans une extrême lâcheté. Ces deux états, qu'il falloit connoître ensemble pour voir toute la vérité, étant connus séparément, conduisent nécessairement à l'un de ces deux vices à l'orgueil ou à la paresse, où sont infailliblement plongés tous les hommes avant la grace; puisque, s'ils ne sortent point de leurs désordres par lâcheté, ils n'en sortent que par vanité, et sont toujours esclaves des esprits de malice, à qui, comme le remarque saint Augustin, on sacrifie en bien des manières.

C'est donc de ces lumières imparfaites qu'il arrive que les uns connoissant l'impuissance et non le devoir, ils s'abattent dans la làcheté; les autres connoissant le devoir sans connoître leur impuissance, ils s'élèvent dans leur orgueil. On s'imaginera peut-être qu'en les alliant, on pourroit former une morale parfaite : mais, au lieu de cette paix, il ne résulteroit de leur assemblage qu'une guerre et une destruction générale car les uns établissant la certitude, et les autres le doute, les uns la grandeur de l'homme, les autres sa foiblesse, ils ne sauroient se réunir et se concilier; ils ne peuvent ni subsister seuls à cause de leurs défauts, ni s'unir à cause de la contrariété de leurs oppositions.

IV.

Mais il faut qu'ils se brisent et s'anéantissent pour faire place à la vérité de la révélation. C'est elle qui accorde les contrariétés les plus formelles par un art tout divin. Unissant tout ce qui est de vrai, chassant tout ce qu'il y a de faux, elle enseigne avec une sagesse véritablement céleste le point où s'accordent les princi

V.

Les chrétiens ont, en général, peu de besoin de ces lectures philosophiques. Néanmoins Épictète a un art admirable pour troubler le repos de ceux qui le cherchent dans les choses extérieures, et pour les forcer à reconnoître qu'ils sont de véritables esclaves et de misérables aveugles; qu'il est impossible d'éviter l'erreur et la douleur qu'ils fuient, s'ils ne se donnent sans réserve à Dieu seul. Montaigne est incomparable pour confondre l'orgueil de ceux qui, sans la foi, se piquent d'une véritable justice; pour désabuser ceux qui s'attachent à leur opinion, et qui croient, indépendamment de l'existence et des perfections de Dieu, trouver dans les

sciences des vérités inébranlables; et pour con- | ce peuple. D'abord il ne savoit quel parti prendre; mais il se résolut enfin de se prêter à sa bonne fortune. Il reçut donc tous les respects qu'on voulut lui rendre, et il se laissa traiter de roi.

vaincre si bien la raison de son peu de lumière et de ses égarements, qu'il est difficile après cela d'être tenté de rejeter les mystères, parcequ'on croit y trouver des répugnances: car l'esprit en est si battu, qu'il est bien éloigné de Mais, comme il ne pouvoit oublier sa condivouloir juger si les mystères sont possibles; ce tion naturelle, il pensoit, en même temps qu'il que les hommes du commun n'agitent que trop recevoit ces respects, qu'il n'étoit pas le roi que souvent. Mais Épictète, en combattant la pa- ce peuple cherchoit, et que ce royaume ne lui resse, mène à l'orgueil, et pourroit être nuisi- appartenoit pas. Ainsi il avoit une double penble à ceux qui ne sont pas persuadés de la cor-sée, l'une par laquelle il agissoit en roi, l'autre par laquelle il reconnoissoit son état véritable, et que ce n'étoit que le hasard qui l'avoit mis en la place où il étoit. Il cachoit cette dernière pensée, et il découvroit l'autre. C'étoit par la première qu'il traitoit avec le peuple, et par la dernière qu'il traitoit avec soi-même.

Ne vous imaginez pas que ce soit par un

ruption de toute justice qui ne vient pas de la foi. Montaigne est absolument pernicieux, de son côté, à ceux qui ont quelque pente à l'impiété et aux vices. C'est pourquoi ces lectures doivent être réglées avec beaucoup de soin, de discrétion et d'égard à la condition et aux mœurs de ceux qui s'y appliquent. Mais il semble qu'en les joignant elles ne peuvent que réus-moindre hasard que vous possédez les richesses sir, parceque l'une s'oppose au mal de l'autre. Il est vrai qu'elles ne peuvent donner la vertu, mais elles troublent dans les vices : l'homme se trouvant combattu par les contraires, dont l'un chasse l'orgueil, et l'autre la paresse, et ne pouvant reposer dans aucun de ces vices par ses raisonnements, ni aussi les fuir tous.

ARTICLE XII.

Sur la condition des grands.

I.

Pour entrer dans la véritable connoissance de votre condition', considérez-la dans cette image.

Un homme fut jeté par la tempête dans une ile inconnue, dont les habitants étoient en peine de trouver leur roi, qui s'étoit perdu : et comme il avoit, par hasard, beaucoup de ressemblance de corps et de visage avec ce roi, il fut pris pour lui, et reconnu en cette qualité par tout

Pascal adresse la parole à M. Arthus Gouffier, duc de Roan

nez, duc et pair de France. Après avoir été gouverneur du Poitou, il se retira à la maison de l'institution des pères de l'Oratoire. Il eut la plus grande part aux soins que les amis de Pascal

prirent, en 1668, de recueillir et mettre au jour ses Pensées. Tout cet article est tiré du livre: De l'Éducation d'un Prince, par Chanteresne (Nicole). Les pensees sont de Pascal; la rédaction est de Nicole.

dont vous vous trouvez maitre, que celui par lequel cet homme se trouvoit roi. Vous n'y avez aucun droit de vous-même et par votre nature, non plus que lui : et non seulement vous ne vous trouvez fils d'un duc, mais vous ne vous trouvez au monde que par une infinité de hasards. Votre naissance dépend d'un mariage, ou plutôt de tous les mariages de ceux dont vous descendez. Mais d'où dépendoient ces mariages? d'une visite faite par rencontre, d'un discours en l'air, de mille occasions imprévues.

Vous tenez, dites-vous, vos richesses de vos ancêtres; mais n'est-ce pas par mille hasards que vos ancêtres les ont acquises, et qu'ils vous les ont conservées? Mille autres aussi habiles qu'eux, les avoir acquises. Vous imaginez-vous aussi que ou n'ont pu en acquérir, ou les ont perdues après ce soit par quelque voie naturelle que ces biens véritable. Cet ordre n'est fondé que sur la seule ont passé de vos ancêtres à vous? Cela n'est pas volonté des législateurs, qui ont pu avoir de bonnes raisons pour l'établir, mais dont aucune certainement n'est prise d'un droit naturel que vous ayez sur ces choses. S'il leur avoit plu d'ordonner que ces biens, après avoir été possédés par les pères durant leur vie, retourneroient à la république après leur mort, vous n'auriez aucun sujet de vous en plaindre.

Ainsi, tout le titre par lequel vous possédez votre bien n'est pas un titre fondé sur la nature,

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