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hasard ou une servile industrie ont avancés; mais je n'étois pas né pour m'élever par ces moyens; je n'ai jamais porté envie à ces misérables.

JAFIER.

RENAUD.

C'est le sort des hommes de génie qui n'ont Et pourquoi avois-tu de l'ambition, si tu instruments des grands qui les emploient; ils que du génie et du courage. Ils ne sont que les méprisois l'injustice de la fortune?

ne recueillent jamais ni la gloire ni le fruit principal des entreprises qu'ils ont conduites, et que l'on doit à leur prudence; mais le témoignage de leur conscience leur est bien doux. Ils sont considérés, du moins, des grands qu'ils servent; ils les maîtrisent quelquefois dans leur conduite; et enfin quelques uns parviennent, s'élèvent au-dessus de leurs protecteurs, et

RENAUD.

Parceque j'avois l'ame haute, et que j'aimois à lutter contre mon mauvais destin: le combat me plaisoit sans la victoire.

JAFIER.

Il est vrai que la fortune t'avoit fait naître emportent au tombeau l'estime des peuples. hors de ta place.

RENAUD.

Et la nature, mon cher Jafier, m'y appeloit l'échafaud. et se révoltoit.

JAFIER.

RENAUD.

J'aimois mieux la mort qu'une vie oisive; je savois bien vivre sans gloire, mais non sans activité et sans intrigue.

de cette entreprise, qui étoit conduite par des hommes plus puissants que toi.

RENAUD.

Crois-tu que j'aie regretté la vie? Un homme Ne pouvois-tu vivre tranquillement sans au- qui craint la mort n'est pas même digne de torité et sans gloire?

vivre 1.

JAFIER.

Avoue cependant que tu te conduisois avec imprudence. Tu portois trop haut tes projets. Ignorois-tu qu'un gentilhomme françois comme toi, qui avoit peu de bien, qui n'étoit recommandable ni par son nom, ni par ses alliances, ni par sa fortune, devoit renoncer à ces grands desseins?

RENAUD.

Ami, ce fut cette pensée qui me fit quitter ma patrie après avoir tenté tout ce qui dépendoit de moi pour m'y élever. J'errois en divers pays; je vins à Venise, et tu sais le reste.

JAFIER.

Oui, je sais que tu fus sur le point d'élever ta fortune sur les débris de cette puissante république; mais quand tu aurois réussi, tu n'aurois jamais eu la principale gloire ni le fruit

JAFIER.

Ce sont ces sentiments qui t'ont conduit sur

Ce dialogue est une simple esquisse. Rien n'y est approfondi; et de beaux développements. L'histoire de la conjuration de et cependant l'auteur auroit pu y faire entrer de beaux tableaux Venise, par l'abbé de Saint-Réal, lui auroit fourni les matériaux nécessaires. Il y avoit quelque chose de sombre et de mystérieux dans le gouvernement de Venise qui attache l'imagination et qui a répandu du charme et de l'intérêt sur les ouvrages où il en a été question. Au reste, il est à-peu-près évident que tous les dé tails de cette fameuse conspiration sont sortis de l'imagination de l'abbé de Saint-Réal, qui écrivoit l'histoire à peu près comme Varillas son modèle, sans se mettre en peine de la vérité des faits et de l'exactitude des détails.

J'ai cru m'apercevoir, en lisant avec attention ces dialogues de Vauvenargues, qu'il y avoit dans son ame des semences d'ambition. On sait qu'il fit quelques démarches infructueuses réussir de son temps, un esprit d'intrigue et de servilité inpour entrer dans la carrière diplomatique ; mais il falloit, pour compatible avec son caractère naturellement noble et porté aux grandes choses et aux grandes pensées. Il est malheureux pour des ames de cette trempe de naître dans un siècle d'égoïsme et de petitesse; elles s'y trouvent contraintes, resserrées, et leur essor, sans cesse comprimé, les jette dans la mélancolie et quelquefois même dans l'abattement. Je ne lis point le dialogue entre Brutus et un jeune Romain sans soupçonner que l'auteur, en faisant parler ce dernier personnage, a voulu peindre les dispositions de son esprit et quelques uns des évène. ments de sa vie. Je ne suis pas de ceux qui condamnent l'ambition d'une manière absolue; j'en juge par les effets qu'elle provertu, je la considère comme un des plus nobles mouvements duit. Si elle est utile aux hommes, si elle est accompagnée de la de l'ame; si elle ne recherche le crédit et l'autorité que pour satisfaire d'autres passions viles, telles que l'avarice, la haine, la

cruauté, je la déteste et la méprise au sein même de son opu

lence et de son pouvoir. S.

DIALOGUE XVIII.

PLATON ET DENIS-LE-TYRAN.

DENIS.

Oui, je le maintiens, mon cher philosophe, la pitié, l'amitié, la générosité, ne font que glisser sur le cœur de l'homme; pour l'équité, il n'y en a aucun principe dans sa nature.

PLATON.

Quand il seroit vrai que les sentiments d'humanité ne seroient point durables dans le cœur de l'homme.....

DENIS.

Cela ne peut être plus vrai; il n'y a de durable dans le cœur de l'homme que l'amourpropre.

PLATON.

Eh bien! que concluez-vous de cette supposition?

DENIS.

Je conclus que j'ai eu raison de me défier de tous les hommes, de rapporter tout à moi, de n'aimer que moi.

DENIS.

plus habile que vos sujets, vous n'étiez pas obligé envers eux à être juste. Mais vous avez trouvé des hommes encore plus heureux et plus habiles que vous ; ils vous ont chassé de la place que vous aviez usurpée. Après avoir éprouvé si durement les inconvénients de la violence, devriez-vous persister dans votre erreur? Mais, puisque votre expérience n'a pu vous instruire, je le tenterois vainement. Adieu; je ne veux point infecter mon esprit du poison dangereux de vos maximes.

PLATON.

Parceque la nature les a faits raisomables, et que, si elle ne leur a pas accordé l'équité, elle leur a donné la raison pour la leur faire connoître et pratiquer; car vous ne niez pas, du moins, que la raison ne montre la nécessité de la justice?

DENIS.

La raison veut que les habiles et les forts gouvernent, et qu'ils fassent observer aux autres hommes l'équité: voilà ce que je vous accorde.

DENIS.

Et moi, je veux toujours haïr les vôtres : la vertu me condamne avec trop de rigueur, pour que je puisse jamais la souffrir.

I.

Sur l'histoire des hommes illustres.

PLATON.

Les histoires des hommes illustres trompent la jeunesse. On y présente toujours le mérite Vous niez donc que les hommes soient obligés comme respectable, on y plaint les disgraces à être justes? qui l'accompagnent, et on y parle avec mépris de l'injustice du monde à l'égard de la vertu et Pourquoi y seroient-ils obligés, puisque la des talents. Ainsi, quoiqu'on y fasse voir les nature ne les a pas faits tels? hommes de génie presque toujours malheureux, on peint cependant leur génie et leur condition avec de si riches couleurs, qu'ils paroissent dignes d'envie dans leurs malheurs mêmes. Cela vient de ce que les historiens confondent leurs intérêts avec ceux des hommes mêmes sentiers, et aspirant à-peu-près à la illustres dont ils parlent. Marchant dans les mêmes sentiers, et aspirant à-peu-près à la même gloire, ils relèvent autant qu'ils peuvent l'éclat des talents; on ne s'aperçoit pas qu'ils plaident leur propre cause, et comme on n'entend que leur voix, on se laisse aisément séduire à la justice de leur cause, et on se persuade aisément que le parti le meilleur est aussi le plus appuyé des honnêtes gens. L'expérience détrompe là-dessus. Pour peu qu'on ait vu le

PLATON.

C'est-à-dire que vous, qui étiez plus fort et monde, on découvre bientôt son injustice na

RÉFLEXIONS

SUR DIVERS SUJETS.

turelle envers le mérite, l'envie des hommes | de l'esprit humain, de s'étendre au-delà de
médiocres, qui traverse jusqu'à la mort les toutes ses conceptions, d'étonner et de confon-
hommes excellents, et enfin l'orgueil des hom- dre l'imagination par ce qu'elle lui fait aper-
mes élevés par la fortune, qui ne se relâche cevoir de la nature... Voilà du moins ce qui me
jamais en faveur de ceux qui n'ont que du mé- paroît de ces deux sciences. Je trouve la mo-
rite. Si on savoit cela de meilleure heure, on rale plus utile, parceque nos connoissances ne
travailleroit avec moins d'ardeur à la vertu; et sont guère profitables qu'autant qu'elles ap-
quoique la présomption de la jeunesse sur- prochent de la perfection; mais elle me paroît
monte tout, je doute qu'il entrât autant de jeu- aussi un peu bornée; au lieu que le seul aspect
nes gens dans la carrière.
des éléments de la physique accable mon ima-
gination..... Je me sens frapper d'une vive cu-
riosité à la vue de toutes les merveilles de l'uni-
vers, mais je suis dégoûté aussitôt du peu que
l'on en peut connoître, et il me semble qu'une
science si élevée au-dessus de notre raison n'est
pas trop faite pour nous.

Cependant ce qu'on a pu en découvrir n'a
pas laissé que de répandre de grandes lumières
sur toutes les choses humaines: d'où je conclus
qu'il est bon que beaucoup d'hommes s'appli-
quent à cette science et la portent jusqu'au de-
gré où elle peut être portée, sans se découra-
ger par la lenteur de leurs progrès et par
l'imperfection de leurs connoissances... Il faut
avouer que c'est un grand spectacle que celui
de l'univers : de quelque côté qu'on porte sa
vue, on ne trouve jamais de terme. L'esprit
n'arrive jamais ni à la dernière petitesse des
objets, ni à l'immensité du tout; les plus peti-
tes choses tiennent à l'infini ou à l'indéfini. L'ex-
trême petitesse et l'extrême grandeur échappent
également à notre imagination; elle n'a plus de
prise sur aucun objet dès qu'elle veut les ap-
profondir. Nous apercevons, dit Pascal, quel-
que apparence du milieu des choses, dans un dés-
espoir éternel d'en connoître ni le principe ni la
fin, etc. '.

II.

Sur la morale et la physique.

C'est un reproche ordinaire de la part des physiciens à ceux qui écrivent des mœurs, que la morale n'a aucune certitude comme les mathématiques et les expériences physiques. Mais je crois qu'on pourroit dire, au contraire, que l'avantage de la morale est d'être fondée sur peu de principes très solides, et qui sont à la portée de l'esprit des hommes; que c'est de toutes les sciences la plus connue, et celle qui a été portée plus près de sa perfection: car il y a peu de vérités morales un peu importantes qui n'aient été écrites; et ce qui manque à cette science, c'est de réunir toutes ces vérités et de les séparer de quelques erreurs qu'on y a mêlées; mais c'est un défaut de l'esprit humain plus que de cette science, car les hommes ne sont guère capables de concevoir aucun sujet tout entier et d'en voir les divers rapports et les différentes faces. L'avantage de la morale est donc d'être plus connue que les autres sciences; de-là on peut conclure qu'elle est plus bornée, ou qu'elle est plus naturelle aux hommes, ou l'un et l'autre à-la-fois : car on ne peut nier, je crois, qu'elle est plus naturelle aux hommes, et on est assez obligé de convenir, en même temps, que, se renfermant tout entière dans un sujet si borné que le genre humain, elle a moins d'étendue que la physique, qui embrasse toute la nature. Ainsi l'avantage de la morale sur la physique est de pouvoir être mieux connue et mieux possédée, et l'avantage de la physique sur la morale est d'être plus vaste et plus étendue. La morale se glorifie d'être plus sûre et plus praticable; et la physique, au contraire, de passer les bornes

La physique est incertaine à l'égard des principes du mouvement, à l'égard du vide ou du plein, de l'essence des corps, etc. Elle n'est certaine que dans les dimensions, les distances, les proportions et les calculs qu'elle emprunte de la géométrie.

M. Newton, au moyen d'une seule cause occulte, explique tous les phénomènes de la nature; et les Anciens, en admettant plusieurs causes occultes, n'expliquoient pas la moindre

1 Voyez les Pensées de Pascal, Ire part., art. IV, pensée 1.

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partie de ces phénomènes. La cause occulte de | clamations et les autorités, pour discuter le M. Newton est celle qui produit la pesanteur et l'attraction mutuelle des corps; mais il n'est pas impossible peut-être que cette pesanteur et cette attraction ne soient à elles-mêmes leur propre cause: car il n'est pas nécessaire qu'une qualité que nous apercevons dans un sujet y soit produite par une cause, elle peut exister par elle-même.

vrai avec exactitude. Le desir qu'il a eu dans tous ses écrits de rabaisser l'antiquité l'a conduit à en découvrir tous les faux raisonnements, tout le fabuleux, les déguisements des histoires anciennes et la vanité de leur philosophie. Ainsi la querelle des Anciens et des Modernes, qui n'étoit pas fort importante en elle-même, a produit des dissertations sur les traditions et sur les fables de l'antiquité, qui ont découvert le caractère de l'esprit des hommes, détruit les superstitions et agrandi les vues de la morale. M. de Fontenelle a excellé encore à peindre la foiblesse et la vanité de l'esprit humain : c'est dans cette partie, et dans les vues qu'il a eues sur l'Histoire ancienne et sur la Superstition, qu'il me paroît véritablement original. Son esprit fin et profond ne l'a trompé que dans les choses de sentiment; par-tout ailleurs il est admirable.

On ne demande pas pourquoi la matière est étendue: c'est là sa manière d'exister; elle ne peut être autrement. Ne se peut-il pas faire que la pesanteur lui soit aussi essentielle que l'étendue? Pourquoi non?

Il n'est aucune portion de matière qui ne soit étendue l'étendue est donc essentielle à la matière. Mais s'il n'y a aucune portion de matière qui ne soit pesante, ne faudroit-il pas ajouter la pesanteur à l'essence de la matière?

Si le mouvement n'est autre chose que la pesanteur des corps, nous voilà bien avancés dans le secret de la nature!

IV.
Sur l'ode.

III.
Sur Fontenelle.

Je ne sais point si Rousseau a surpassé Horace et Pindare dans ses odes; s'il les a surpassés, je conclus que l'ode est un mauvais genre, ou du moins un genre qui n'a pas encore atteint à beaucoup près sa perfection. L'idée que j'ai de l'ode est que c'est une espèce de délire, un transport de l'imagination. Mais ce transport et ce délire, s'ils étoient vrais et non pas feints, devroient remplir les odes de sentiment; car il n'arrive jamais que l'imagination soit véritablement échauffée sans passionner l'ame : or je ne crains pas qu'on puisse dire que nos odes soient fort passionnées. Ce défaut de passion est d'autant plus considérable dans ces petits poëmes, que la plupart sont vides de pensées ; et il me semble que tout ouvrage qui est vide de pen

M. de Fontenelle mérite d'être regardé par la postérité comme un des plus grands philosophes de la terre. Son Histoire des Oracles, son petit traité de l'Origine des Fables, une grande partie de ses Dialogues, sa Pluralité des Mondes, sont des ouvrages qui ne devroient jamais périr, quoique le style en soit froid et peu na-sées doit être rempli de sentiment. Rien n'est

turel en beaucoup d'endroits. On ne peut refuser à l'auteur de ces ouvrages d'avoir donné de nouvelles lumières au genre humain. Personne n'a mieux fait sentir que lui cet amour immense que les hommes ont pour le merveilleux, cette pente extrême qu'ils ont à respecter les vieilles traditions et l'autorité des Anciens. C'est à lui, en grande partie, qu'on doit cet esprit philosophique qui fait mépriser les dé

Toutes nos démonstrations ne tendent qu'à nous faire connoître les choses avec la même évidence que nous les connoissons par sentiment. Connoître par sentiment est donc le plus haut degré de connoissance; il ne faut donc pas demander une raison de ce que nous connois sons par sentiment.

plus froid que de très beaux vers où l'on ne trouve que de l'harmonie et des images sans chaleur et sans enthousiasme.

Mais ce qui fait que Rousseau est si admiré malgré ce défaut de passion, c'est que la plupart des poëtes qui ont essayé de faire des odes, n'ayant pas plus de chaleur que lui, n'ont pu même atteindre à son élégance, à son harmonie, à sa simplicité et à la richesse de sa poésie.

Ainsi il est admiré non seulement pour les beau- | du sublime; choquant, par son indifférence et son indécision, les ames impérieuses et décisives; obscur et fatigant en mille endroits, faute de méthode; en un mot, malgré tous les charmes de sa naïveté et de ses images, très foible orateur, parcequ'il ignoroit l'art nécessaire d'arranger un discours, de déterminer, de passionner et de conclure.

tés réelles de ses ouvrages, mais aussi pour les défauts de ses imitateurs. Les hommes sont faits de manière qu'ils ne jugent guère que par comparaison; et jusqu'à ce qu'un genre ait atteint sa véritable perfection, ils ne s'aperçoivent point de ce qui lui manque ; ils ne s'aperçoivent pas même qu'ils ont pris une mauvaise route, et qu'ils ont manqué le génie d'un certain genre, tant que le vrai génie et la vraie route leur sont inconnus. C'est ce qui a fait que tous les mauvais auteurs qui ont primé dans leur siècle ont passé incontestablement pour de grands hommes, personne n'osant contester à ceux qui faisoient mieux que les autres qu'ils fussent dans le bon chemin.

V.

Sur Montaigne et Pascal.

Montaigne pensoit naturellement et hardiment; il joignoit à une imagination inépuisable un esprit invinciblement tourné à réfléchir. On admire dans ses écrits ce caractère original qui manque rarement aux ames vraies; on y retrouve par-tout ce génie qu'on ne peut d'ailleurs refuser aux hommes qui sont supérieurs à leur siècle. Montaigne a été un prodige dans des temps barbares; cependant on n'oseroit dire qu'il ait évité tous les défauts de ses contemporains ; il en avoit lui-même de considérables qui lui étoient propres, qu'il a défendus avec esprit, mais qu'il n'a pu justifier, parcequ'on ne justifie point de vrais défauts. Il ne savoit ni lier ses pensées, ni donner de justes bornes à ses discours, ni rapprocher utilement les vérités, ni en conclure. Admirable dans les détails, incapable de former un tout, savant à détruire, foible à établir; prolixe dans ses citations, dans ses raisonnements, dans ses exemples; fondant sur des faits vagues et incertains des jugements hasardeux; affoiblissant quelquefois de fortes preuves par de vaines et inutiles conjectures, se penchant souvent du côté de l'erreur pour contrepeser l'opinion; combattant par un doute trop universel la certitude; parlant trop de soi, quoi qu'on dise, comme il parloit trop d'autre chose; incapable de ces passions altières et véhémentes qui sont presque les seules sources

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Pascal n'a surpassé Montaigne ni en naïveté, ni en imagination. Il l'a surpassé en profondeur, en finesse, en sublimité, en véhémence; il a porté à sa perfection l'éloquence d'art que Montaigne ignoroit entièrement, et n'a point été égalé dans cette vigueur de génie par laquelle on rapproche les objets et on résume un discours; mais la chaleur et la vivacité de son esprit pouvoient lui donner des erreurs dont le génie ferme et modéré de Montaigne n'étoit pas aussi susceptible.

VI.

Sur la poésie et l'éloquence.

M. de Fontenelle dit formellement, en plusieurs endroits de ses ouvrages, que l'éloquence et la poésie sont peu de chose, etc... Il me semble qu'il n'est pas trop nécessaire de défendre l'éloquence. Qui devroit mieux savoir que M. de Fontenelle, que la plupart des choses humaines, je dis celles dont la nature a abandonné la conduite aux hommes, ne se font que par la séduction? c'est l'éloquence qui non seulement convainc les hommes, mais qui les échauffe pour les choses qu'elle leur a persuadées, et qui par conséquent se rend maîtresse de leur conduite. Si M. de Fontenelle n'entendoit par l'éloquence qu'une vaine pompe de paroles, l'harmonie, le choix, les images d'un discours, encore que toutes ces choses contribuent beaucoup à la persuasion, il pourroit cependant en faire peu d'estime, parcequ'elles n'auroient pas grand pouvoir sur des esprits fins et profonds comme le sien. Mais M. de Fontenelle ne peut ignorer que la grande éloquence ne se borne point à l'imagination, et qu'elle embrasse la profondeur du raisonnement qu'elle fait valoir, ou par un grand art et par une régulière netteté, ou par une chaleur d'expression et de génie qui entraîne les esprits les plus opinia

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