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cette gloire. J'ai mieux connu que vous, qui | j'ai pu la mériter. Ne vois-je pas ici les plus êtes jeune, ce qu'elle vaut.

grands hommes de l'antiquité, Homère, Virgile, Euripide, qui sont encore poursuivis dans le tombeau par ce même esprit de critique qui

LE JEUNE HOMME.

vous devoit tant?

Seriez-vous mécontent de votre siècle, qui les a dégradés pendant leur vie? Dans le même temps qu'ils sont adorés de quelques personnes sensées dont ils enchantent l'imagination, ils sont méprisés et tournés en ridicule par les esprits médiocres qui manquent de goût 1. Je voyois passer le Tasse, il y a quelques jours, suivi de quelques beaux esprits qui lui faisoient leur cour. Plusieurs ombres de grands seigneurs qui étoient avec moi, me demandèrent qui c'étoit? Sur cela le duc de Ferrare prit la parole, et répondit que c'étoit un poëte auquel il avoit fait donner des coups de bâton pour châtier son insolence. Voilà comme les gens du monde et les grands savent honorer le génie.

MOLIÈRE.

Quelques uns de mes contemporains m'ont rendu justice c'étoient même les meilleurs esprits; mais le plus grand nombre me regardoit comme un comédien qui faisoit des vers. Le prince me protégeoit; quelques courtisans m'aimoient; cependant j'ai souffert d'étranges humiliations.

LE JEUNE HOMME.

Cela est-il possible? Je ne fais que de quitter le monde; on y fait très peu de cas des talents: mais j'y ai ouï dire que ceux qui avoient ouvert la carrière avoient joui de plus de considération.

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LE JEUNE HOMME.

J'ai souvent ouï dans le monde de pareils discours, et j'en étois indigné. Car, enfin, qu'estce qu'un grand poëte? sinon un grand génie, un homme qui domine les autres hommes par son imagination; qui leur est supérieur en vivacité; qui connoît, par un sentiment plein de lumière, les passions, les vices et l'esprit des hommes; qui peint fidèlement la nature, parcequ'il la connoit parfaitement, et qu'il a des idées plus vives de toutes choses que les autres; une ame qui est capable de s'élever, un génie ardent, laborieux, éloquent, aimable; qui ne se borne charpentier fait des cadres et des tables dans point à faire des vers harmonieux, comme un son atelier, mais qui porte dans le commerce du monde son feu, sa vivacité, son pinceau et son esprit, et qui conserve, par conséquent, parmi les hommes, le même mérite qui le fait admirer dans son cabinet.

MOLIÈRE.

Les gens qui réfléchissent savent tout cela, mon cher ami, mais ces gens-là sont en petit nombre.

Si les grands génies de l'antiquité qui enchantent l'imagination des personnes sensées sont méprisés et tournés en ridicule par les médiocres, je ne vois pas trop de quoi ils ont à se plaindre, et Molière avec eux : car, comme Vauvenargues l'a si bien dit lui-même dans la maxime LXV: « Nous sommes moins offensés du mépris des sots que d'être médiocrement estimés des gens d'esprit. » B.

LE JEUNE HOMME.

Hé! pourquoi s'embarrasser des autres?

MOLIÈRE.

Parcequ'on a besoin de tout le monde; parcequ'ils sont les plus forts; parcequ'on en souffre du mal quand on n'en reçoit pas de bien; enfin, parcequ'un homme qui a les vues un peu grandes voudroit régner, s'il pouvoit, dans tous les esprits, et qu'on est toujours inconsolable de n'obtenir que la moindre partie de ce qu'on mérite '.

Dans le temps où Vauvenargues écrivoit ce dialogue, il y

avoit encore en France beaucoup de ces esprits médiocres qui croyoient se distinguer de la foule en méprisant les plus beaux chefs-d'œuvre de l'antiquité, qu'ils étoient incapables de comprendre et de juger: ils s'imaginoient montrer de la force d'esprit et de la philosophie en affectant de dédaigner ce qui avoit été consacré par l'admiration des siècles. L'origine de cette manie ridicule remonte aux dernières années du dix-septième siè

cle; elle se perpétua dans le dix-huitième par l'influence de La Motte, qui n'étoit point un écrivain sans mérite, mais dont la

littérature étoit très bornée, et sur-tout par l'influence de Fontenelle, qui fut pendant cinquante ans à la tête des hommes de

lettres. Fontenelle etoit un homme extrêmement adroit, qui avoit d'autres titres à la renommée que ses travaux purement

littéraires, et qui, sentant ce qui lui manquoit, auroit volontiers rabaissé les chefs-d'œuvre qu'il ne pouvoit égaler. Il suffisoit d'ailleurs que Boileau et Racine, contre lesquels il nourrit une inimitié séculaire, se fussent prononcés en faveur de la raison et des Anciens pour qu'il penchât du côté opposé. On peut rapporter à ce philosophe, si modéré en apparence, la plupart des hérésies littéraires qui ont obtenu quelque crédit dans le dernier siècle; et peut-être même le goût se seroit-il entièrement

corrompu si des hommes tels que Voltaire, Montesquieu, Buffon, Rousseau, n'eussent maintenu ses principes par leurs leçons et

par leurs exemples.

DIALOGUE XI.

RACINE ET BOSSUET.

BOSSUET.

Je récitois tout à l'heure, mon cher Racine, quelques uns de vos vers que je n'ai pas oubliés. Je suis enchanté de la richesse de vos expressions, de la vérité de votre pinceau et de vos idées, de votre simplicité, de vos images, et même de vos caractères qui sont si peu estimés; car je leur trouve un très grand mérite, et le plus rare, celui d'être pris dans la nature. Vos personnages ne disent jamais que ce qu'ils doivent, parlent avec noblesse et se caractérisent sans affectation. Cela est admirable.

RACINE.

Je ne suis pas surpris que vous m'aimiez un Peu. Je vous ai toujours admiré; vous aviez le gé nie poétique et l'invention dans l'expression, qui est le talent même que mes ennemis sont obligés de m'accorder. Il y a plus d'impétuosité et de plus grands traits dans vos ouvrages que dans ceux des plus grands poëtes.

BOSSUET.

Hélas! mon ami, mes ouvrages ne sont presque plus connus que d'un très petit nombre de gens de lettres et d'hommes pieux. Les matières que j'ai traitées ne sont nullement du goût des gens du monde.

Les écrivains du dix-septième siècle n'étoient pas mieux traités par Fontenelle que les Anciens. Il ne pardonna jamais à Racine et à Boileau les épigrammes qu'ils avoient lancées contre sa malheureuse tragédie d'Aspar. Il ne rendoit pas au premier la justice qui lui étoit due, et refusoit le génie à l'auteur de l'Art poétique. Il auroit même volontiers attaqué Voltaire, si la crainte des représailles n'eût un peu refroidi son ressentiment contre un homme qui avoit tant de supériorité sur lui.

Nous sommes très heureusement délivrés de ces opinions fausses et ridicules qui ont fait tant de mal dans le dernier siè

RACINE.

Que dites-vous donc? je ne puis vous croire;

cle: on est revenu à l'étude et à l'admiration des Anciens avec une ardeur qui promet à la littérature françoise une nouvelle époque de génie et de gloire. Je pourrois citer des traductions et des ouvrages originaux où l'on retrouve les graces et le charme du génie antique. On a banni de la prose cette pompe indigente de paroles, cette recherche puérile d'antithèses, cette affectation du bel esprit qui déshonoroit, il n'y a pas encore long-temps, même les productions de quelques membres de l'Académie. Ons'est également débarrassé de cette sécheresse que l'esprit d'analyse, porté à l'excès, avoit introduite dans notre littérature. Il ne faut pas confondre cet abus de l'analyse avec l'esprit vraiment philosophique, dont aucun genre ne peut se pas-meilleures choses; mais, après tout, il faudra toujours en reveser : c'est lui seul qui peut donner de la force au raisonnement, nir à cet axiome d'un poëte philosophe : « Le bien penser est la de la justesse aux idées. Sans son secours, l'imagination ne pro- source du bien écrire. » S.

duiroit que des monstres semblables à celui que nous dépeint Horace dans les premiers vers de l'épître aux Pisons. Montaigne, Boileau, Molière, La Fontaine, Voltaire, Montesquieu, Rousseau, ont allié l'esprit philosophique à l'imagination, et l'on ne voit pas que l'un ait jamais nui à l'autre. On peut abuser de l'esprit philosophique comme on abuse de l'imagination et des

RACINE.

Ils devroient du moins admirer vos oraisons funèbres.

BOSSUET.

Ce titre seul les rebute; on n'aime ni les louanges, ni les choses tristes.

le genre dont nous parlons est le plus terrible: | n'exige de nous ni sagacité ni profondeur : il car les hommes ne sont effrayés que de la mort. faut être un grand peintre pour être poëte, Or, qu'est-ce que le sujet de vos oraisons funè- mais on peut être un grand peintre sans avoir bres, sinon la mort, c'est-à-dire la seule chose une grande étendue d'esprit et des vues fines. qui inspire de la terreur à l'esprit humain? Se pourroit-il que les hommes ne fussent pas frappés par des discours qui ne s'exercent que sur le sujet le plus frappant et le plus intéressant pour l'humanité? J'avois cru que c'étoit le véritable champ du pathétique et du sublime.

BOSSUET.

I

La nation françoise est légère; on aime mieux le conte du Bélier ou celui de Joconde que tout ce pathétique dont vous parlez.

RACINE.

Si cela est, Corneille et moi, nous ne devons pas nous flatter de conserver long-temps notre réputation.

BOSSUET.

Vous vous trompez; les bons auteurs du théâtre ne mourront jamais, parcequ'on les fait revivre tous les ans, et on empêche le monde de les oublier; d'ailleurs les poëtes se soutiennent toujours mieux que les orateurs, parcequ'il y a plus de gens qui font des vers qu'il n'y en a qui écrivent en prose; parceque les vers sont plus faciles à retenir et plus difficiles à faire; parcequ'enfin les poëtes traitent des sujets toujours intéressants, au lieu que les orateurs, dont l'éloquence ne s'exerce ordinairement que sur de petits faits, périssent avec la mémoire de ces sujets mêmes.

RACINE.

Les vrais orateurs, comme vous, devroient du moins se soutenir par les grandes pensées qu'ils ont semées dans leurs écrits, par la force et la solidité de leurs raisonnements; car tout cela doit se trouver dans un ouvrage d'éloquence. Nous autres poëtes, nous pouvons quelquefois manquer par le fond des choses, si nous sommes harmonieux, si nous avons de l'imagination dans l'expression; il nous suffit, d'ailleurs, de penser juste sur les choses de sentiment, et on

Conte d'Hamilton. B.
Conte de La Fontaine. B.

BOSSUET.

On peut aussi avoir cette étendue d'esprit, cette finesse, cette sagesse, cet art qui est nécessaire aux orateurs, et y joindre le charme de l'harmonie et la vivacité du pinceau : vous êtes la preuve de ce que je dis.

RACINE.

De même un orateur peut avoir toutes les parties' d'un poëte, et il n'y a même que l'harmonie qui en fasse la différence; encore faut-il qu'il y ait une harmonie dans la bonne prose.

BOSSUET.

Je pense comme vous et comme un grand poëte qui vous a suivi, mon cher Racine : la poésie est l'éloquence harmonieuse.

RACINE.

L'auteur dont vous parlez est aussi éloquent en prose qu'en vers; il a cet avantage sur tous les poëtes, qui n'ont point su écrire en prose; ainsi on peut s'en rapporter à son jugement : c'est lui qui a dit de vous, que vous étiez le seul écrivain françois en prose qui fût éloquent. Si ce grand homme ne s'est point trompé, il faudroit convenir que le génie de l'éloquence est plus rare que celui de la poésie.

BOSSUET.

Je ne crois pas qu'il soit moins commun, mais je crois qu'il l'est bien autant : les véritablement grands hommes dans tous les genres sont toujours très rares.

Je sais gré à Vauvenargues d'avoir employé cette expression; elle étoit bannie du langage depuis le siècle de Montaigne, qui s'en est souvent servi dans ses Essais, et toujours à propos. Je crois que Voltaire a réclamé en sa faveur en quelque endroit de ses ouvrages, et les Anglois, accoutumés depuis long-temps à

vivre de pillage, l'ont empruntée de nos premiers écrivains, et l'ont soigneusement conservée. On trouveroit dans Amyot et

dans Montaigne d'autres expressions aussi énergiques qu'on

pourroit rajeunir avec succès. Nous ne connoissons pas toutes

les ressources et toutes les richesses de notre langue, et en gé
néral on ne lit pas assez les écrivains du seizième siècle. S.
2 Voltaire. B.

RACINE.

dont vous étiez jaloux comme poëte. La seule Qu'appelez-vous, je vous prie, de grands chose qui m'ait étonné, c'est que votre Éminence ait favorisé des écrivains indignes de sa protection '.

hommes ?

BOSSUET.

Tous ceux qui surpassent les autres par le cœur et par l'esprit, qui ont la vue plus nette et plus fine, qui discernent mieux les choses humaines, qui jugent mieux, qui s'expriment mieux, qui ont l'imagination plus forte et le génie plus vaste.

RACINE.

Voilà en effet ce qui fait de très grands hommes. De tels esprits sont faits pour s'estimer et pour s'aimer, malgré la différence de leur travail et de leurs objets; c'est aux petits esprits à dégrader ou les uns ou les autres, selon le parti qu'ils ont pris : comme ceux qui sont attachés à quelque faction décrient les chefs du parti contraire, tandis que ces mêmes chefs s'estiment et se craignent réciproquement.

DIALOGUE XII.

LE CARDINAL DE RICHELIEU ET LE
GRAND CORNEILLE.

CORNEILLE.

RICHELIEU.

Pourquoi ne l'aurois-je pas été? un ministre de peu d'esprit auroit pu être assez ébloui de sa puissance pour mépriser vos talents; mais, pour moi, je connoissois le prix du génie, et j'étois jaloux d'une gloire où la fortune n'avoit point de part. Avois-je donc tant de tort?

RICHELIEU.

Je suis venu dans un mauvais temps, mon cher Corneille; il y avoit peu de gens de mérite les hommes à travailler, en accordant une propendant mon ministère, et je voulois encourager tection marquée à tous les arts; il est vrai que je ne vous ai pas assez distingué en cela je suis très blamable.

CORNEILLE.

Ajoutez que je n'ai point connu tout ce que Est-il vrai que votre Éminence ait été jalouse vous valiez. Mon esprit étoit peut-être resserré, de mes écrits? comme le vôtre, dans les bornes de son talent. Vous n'aviez pas l'esprit de la cour, et moi, je n'avois pour les lettres qu'un goût défec

tueux 2.

CORNEILLE.

Moins que veut bien avouer votre Éminence. Il est vrai que j'avois quelque génie ; mais je ne fus pas courtisan. J'avois naturellement cette inflexibilité d'esprit que j'ai donnée si souvent à mes héros. Comme eux, j'avois une vertu dure, un esprit sans délicatesse et trop resserré dans les bornes de mon art; il n'est pas étonnant qu'un grand ministre, accoutumé aux devoirs et à la flatterie des plus puissants de l'État, ait négligé un homme de mon carac

tère.

RICHELIEU.

riantes de ce poëme, t. X, p. 188, de l'édition de ses œuvres complètes en 66 vol., Paris, Renouard, 1819. B.

On peut citer parmi ces écrivains Des Marêts, Colletet, Faret et Chapelain. Il admit quelque temps le grand Corneille dans cette troupe; mais le mérite de Corneille se trouva incompatible avec ces poëtes, et il fut aussitôt exclus. Richelieu faisoit des vers, et ce fut même pour faire représenter la tragé die de Mirame, dont il avoit donné le sujet, et dans laquelle

lais-Royal. B.

Cette jalousie honoroit Corneille, et ne de-il avoit fait plus de cinq cents vers, qu'il fit bâtir la salle du Pavoit pas nuire à la réputation de son protecteur; car vous daigniez l'être, et vous récompensiez, dit un auteur', comme ministre, ce même génie

2 On veut absolument que le cardinal de Richelieu ait été

jaloux des succès de Corneille: cela me paroît aussi vraisemblable que si Racine eût été jaloux des victoires du grand Condé.

Boileau est le premier qui ait accrédité cette opinion en disant :

Voltaire a dit dans son commentaire sur Corneille, au sujet du mot bienfaits, employé par l'auteur d'Horace dans l'Épitre dédicatoire de cette pièce au cardinal de Richelieu : « Ce mot bienfaits fait voir que le cardinal de Richelieu savoit ré- On en conclut, ce qui n'etoit peut-être pas dans la pensée du compenser en premier ministre, ce méme talent qu'il avoit poëte, que Richelieu n'avoit pu voir sans jalousie le triomphe persécuté dans l'auteur du CID. » —Voltaire a encore dit quel de Corneille. Fontenelle a été plus loin que Boileau: il dit exque chose d'analogue dans le Temple du Goût. Voyez les Va-pressément que le cardinal fut aussi alarmé du succès prodigieux

En vain contre le Cid un ministre se ligue,
Tout Paris, pour Chimène, a les yeux de Rodrigue.

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du cid que s'il eût vu les Espagnols aux portes de Paris. Cette exagération de la part du petit-neveu de Corneille s'est généralement répandue, et elle prète tant à la déclamation, elle est si favorable à la vanité des auteurs, qu'il est difficile d'en douter sans soulever une foule d'esprits qui la regardent comme une vérité historique. Cela ne m'empêchera pas d'en dire mon sentiment d'après l'opinion que j'ai conçue du cardinal de Richelieu et de l'esprit de son ministère, l'une des époques les plus intéressantes de notre histoire.

Le souvenir des guerres civiles n'étoit pas encore effacé du cœur des François ; la paix étoit rétablie dans l'État, mais il étoit aisé de voir qu'il existoit dans les esprits une fermentation sourde qui auroit éclaté sous une administration moins énergique que celle du cardinal de Richelieu. Ce ministre avoit trop de lumières pour ne pas apercevoir cette agitation générale et les conséquences qui pouvoient en résulter. Il prit une résolution digne de son génie, se mit à la tête de l'opinion publique pour

la diriger, et fournit un aliment à l'activité des esprits. Ce fut alors qu'il fonda l'Académie Françoise, qu'il encouragea les lettres, les sciences et les arts, protégea ceux qui les cultivoient, les appela autour de lui, leur donna de la considération et fixa tous les regards sur la gloire littéraire et les travaux de la pensée. Cette impulsion donnée surpassa les espérances du cardinal. Les François, accoutumés aux querelles de religion, s'occupèrent alors de débats et de discussions littéraires. Un sonnet, un madrigal, attiroient l'attention de la cour et de la ville. A cette époque parut le premier chef-d'œuvre de Corneille; il excita un enthousiasme et une admiration générale. On ne s'entretenoit que du cid, on ne se lassoit point de le voir. Tout fut oublié pour le cid. Le ministre saisit cette occasion pour suivre son plan. Il fit faire la critique de cette tragédie, comme Alcibiade fit couper la queue de son chien afin que les Athéniens, occupés de cette bizarrerie, ne cherchassent point à contrarier ses vues politiques. Je ne vois dans la conduite du cardinal de Richelieu que beaucoup d'adresse et point du tout un sentiment d'envie, indigne d'un grand ministre. Observez de plus qu'à cette époque même Corneille jouissoit d'une pension que lui faisoit le cardinal. L'envie n'est pas si généreuse. Au reste, le mouvement imprimé aux esprits par la politique de Richelieu ne s'est plus arrêté : il a élevé la France à un haut degré de gloire

littéraire, et c'est peut-être à cette conception politique que nous devons les chefs-d'œuvre qui ont illustré le règne de

Louis XIV et celui de son successeur. S.

■ Mazarin (Jules), né à Piscina dans l'Abruzze, le 44 juillet 1602, de la famille des Martinozzi, mourut le 9 mars 1661. B.

RICHELIEU.

C'est que vous poussiez un peu trop loin la tromperie; c'est que vous trompiez par choix et par foiblesse, plus que par nécessité et par raison.

MAZARIN.

Je suivois en cela mon caractère timide et défiant. Je n'avois pas assez de fermeté pour résister en face aux courtisans; mais je reprenois ensuite par ruse ce que j'avois cédé par foiblesse.

RICHELIEU.

Vous étiez né avec un esprit souple, délié, profond, pénétrant; vous connoissiez tout ce qu'on peut tirer de la foiblesse des hommes, et vous avez été bien loin dans cette science.

MAZARIN.

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RICHELIEU.

Votre ministère a souffert de justes reproches, parceque vous aviez de grands défauts. Mais vous aviez en même temps un esprit supérieur à ces défauts mêmes; vous joigniez à la vivacité de vos lumières une ambition vaste et

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