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dans ce livre d'abord méprisé, et font assez | quoique dans une langue différente, quand on peu de cas de la frivole imagination des Lettres Persanes, dont la hardiesse, en certains endroits, fait le plus grand mérite. Le grand nombre des juges décide à la longue d'après les voix du petit nombre éclairé; vous me paroissez, monsieur, fait pour être à la tête de ce petit nombre. Je suis fâché que le parti des armes que vous avez pris vous éloigne d'une ville où je serois à portée de m'éclairer de vos lumières; mais ce même esprit de justesse qui vous fait préférer l'art de Racine à l'intempérance de Corneille, et la sagesse de Locke à la profusion de Bayle, vous servira dans votre métier. La justesse sert à tout. Je m'imagine que M. de Catinat auroit pensé comme vous.

J'ai pris la liberté de remettre au coche de Nancy un exemplaire que j'ai trouvé d'une des moins mauvaises éditions de mes foibles ouvrages; l'envie de vous offrir ce petit témoignage de mon estime l'a emporté sur la crainte que votre goût me donne.

J'ai l'honneur d'être, avec tous les sentiments que vous méritez, monsieur, votre, etc.

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Je suis au désespoir que vous me forciez à respecter Corneille. Je relirai les morceaux que vous me citez; et si je n'y trouve pas tout le sublime que vous y sentez, je ne parlerai de ma vie de ce grand homme, afin de lui rendre au moins par mon silence l'hommage que je lui dérobe par mon foible goût. Permettez-moi cependant, monsieur, de vous répondre sur ce que vous le comparez à Archimède, qu'il y a bien de la différence entre un philosophe qui a posé les premiers fondements des vérités géométriques, sans avoir d'autre modèle que la nature et son profond génie, et un homme qui, sachant les langues mortes, n'a pas même fait passer dans la sienne toute la perfection des maîtres qu'il a imités. Ce n'est pas créer, ce me semble, que de travailler avec des modèles,

ne les égale pas. Newton, dont vous parlez, monsieur, a été guidé, je l'avoue, par Archimède et par ceux qui ont suivi Archimède; mais il a surpassé ses guides: partant, il est inventeur. Il faudroit donc que Corneille eût aussi surpassé ses maîtres pour être au niveau de Newton, bien loin d'être au-dessus de lui. Ce n'est pas que je lui refuse d'avoir des beautés originales, je le crois; mais Racine a le même avantage. Qui ressemble moins à Corneille que Racine? Qui a suivi une route, je ne dis pas plus différente, mais plus opposée? Qui est plus original que lui? En vérité, monsieur, si l'on peut dire que Corneille a créé le théâtre, doit-on refuser à Racine la même louange? Ne vous semble-t-il pas même, monsieur, que Racine, Pascal, Bossuet, et quelques autres, ont créé la langue françoise? Mais si Corneille et Racine ne peuvent prétendre à la gloire des premiers inventeurs, et qu'ils aient eu l'un et l'autre des maîtres, lequel les a mieux imités?

Que vous dirai-je, après cela, monsieur, sur les louanges que vous me donnez? S'il étoit convenable d'y répondre par des admirations sincères, je le ferois de tout mon cœur; mais la gloire d'un homme comme vous est à n'être plus loué et à dispenser les éloges. J'attends avec toute l'impatience imaginable le présent dont vous m'honorez. Vous croyez bien, monsieur, que ce n'est pas pour connoître davantage vos ouvrages : je les porte toujours avec moi. Mais de les avoir de votre main et de les recevoir comme une marque de votre estime, c'est une joie, monsieur, que je ne contiens point, et que je ne puis m'empêcher de répandre sur le papier. Il faut que vous voyiez, monsieur, toute la vanité qu'elle m'inspire. Je joins ici un petit discours que j'ai fait depuis votre lettre, et je vous l'envoie avec la même confiance que j'enverrois à un autre la Mort de César ou Athalie. Je souhaite beaucoup, monsieur, que vous en soyez content pour moi, je serai charmé si vous le trouvez digne de votre critique, ou que vous m'estimiez assez pour me dire qu'il ne la mérite pas, supposé qu'il en soit indigne. Ce sera alors, monsieur, que je me permettrai d'espérer votre amitié. En atten

dant, je vous offre la mienne de tout mon | louanges dont vous honorez mes foibles écrits. cœur, et suis avec passion, monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur.

VAUVENARGUES.

P. S. Quoique ce paquet soit déja assez considérable, et qu'il soit ridicule de vous envoyer un volume par la poste, j'espère cependant, monsieur, que vous ne trouverez pas mauvais que j'y joigne encore un petit fragment. Vous avez répondu à ce que j'ai eu l'honneur de vous écrire de deux grands poëtes, d'une manière si obligeante et si instructive, qu'il m'est permis d'espérer que vous ne me refuserez pas les mêmes lumières sur trois orateurs 2 si célèbres.

A M. DE VAUVENARGUES.

Paris, le 17 mai 1743.

J'ai tardé long-temps à vous remercier, monsieur, du portrait que vous avez bien voulu m'envoyer de Bossuet, de Fénelon et de Pascal; vous êtes animé de leur esprit quand vous parlez d'eux. Je vous avoue que je suis encore plus étonné que je ne l'étois, que vous fassiez un métier, très noble à la vérité, mais un peu barbare, et aussi propre aux hommes communs et bornés qu'aux gens d'esprit. Je ne vous croyois que beaucoup de goût et de connoissances, mais je vois que vous avez encore plus de génie. Je ne sais si cette campagne vous permettra de le cultiver. Je crains même que ma lettre n'arrive au milieu de quelque marche, ou dans quelque occasion où les belles-lettres sont très peu de saison. Je réprime mon envie de vous dire tout ce que je pense, et je me borne au plaisir de vous assurer de la singulière estime que vous m'inspirez.

Je suis, monsieur, votre, etc.

VOLTAIRE.

A M. DE VOLTAIRE.

A Aix, ce 21 janvier 1745.

J'ai reçu, monsieur, avec la plus grande confiance et la reconnoissance la plus tendre, les

Corneille et Racine. B.

» Bossuet, Fénelon et Pascal. B.

Je ne dois pas être fâché que le premier discours que j'ai pris la liberté de vous envoyer ait vu le jour, puisqu'il a votre approbation malgré ses défauts. J'aurois souhaité seulement le donner à M. de La Bruère dans une imperfection moins remarquable.

J'ai lu avec grande attention ce que vous me faites l'honneur de m'écrire sur La Fontaine. Je croyois que le mot instinct auroit pu convenir à un auteur qui n'auroit mis que du sentiment, de l'harmonie et de l'éloquence dans ses vers, et qui d'ailleurs n'auroit montré ni pénétration ni réflexion; mais qu'un homme qui pense par-tout, dans ses contes, dans ses préfaces, dans ses fables, dans les moindres choses, et dont le caractère même est de penser ingénieusement et avec finesse; qu'un esprit si solide soit mis dans le rang des hommes qui ne pensent point, parcequ'il n'aura pas eu dans la conversation le don de s'exprimer, défaut que les hommes qui sont exagérateurs ont probablement fort enflé, et qui méritoit plus d'indulgence dans ce grand poëte, je vous avoue, monsieur, que cela me surprend. Il n'appartient pas à un homme né en Provence de connoître la juste signification des mots, et vous aurez la bonté de me pardonner les préventions que je puis avoir là-dessus.

J'ai corrigé mes pensées à l'égard de Molière, sur celles que vous avez eu la bonté de me communiquer ; je les ajouterai à cette lettre. Je vous prie de les relire jusqu'à la fin. Si vous

I LA BRUÈRE, et non LA BRUYÈRE, comme le disent toutes les éditions. Nous relevons cette faute parcequ'elle a été commise même par M. Suard.

Vauvenargues ne parle évidemment pas ici de l'auteur des

Caractères, mort en 1696, mais bien de La Bruère, poëte lyrique, son contemporain, et qui publia dans le Mercure des fragments de ses ouvrages.

Bruère (Charles Le Clerc de La) eut le privilége du Mercure depuis 1744 jusqu'à sa mort, arrivée en 1754, à l'âge de trenteneuf ans. Le Mercure, sous lui et sous Fuzelier son associé, ne fut point le bureau de la satire; il sut le rendre intéressant par d'autres moyens. Voltaire a fait, à l'occasion d'une pièce de cet auteur (les Voyages de l'Amour, opéra représenté en mai 1736), les vers suivants, que nous citons parcequ'ils sont peu

connus :

L'Amour t'a prêté son flambeau;
Quinault, son ministre fidèle,
T'a laissé son plus doux pinceau :
Tu vas jouir d'un sort si beau
Sans jamais trouver de cruelle,
Et sans redouter un Boileau.... — B.

VAUVENARGUES.

AU MÊME.

A Aix, ce 27 janvier 4745.

Je n'aurois pas été long-temps fâché, monsieur, que mes papiers eussent vu le jour, s'ils ne l'avoient dù qu'à l'estime que vous en faisiez; mais puisqu'ils paroissoient sans votre aveu et avec les défauts que vous leur connoissez, il vaut beaucoup mieux, sans doute, qu'ils soient encore à notre disposition. Je ne regrette que la peine qu'on vous a donnée pour une si grande bagatelle.

êtes encore assez bon pour me faire part de vos | moi, je vous prie, monsieur, les témoignages lumières sur Despréaux, je tâcherai aussi d'en de votre amitié; je cesserai de vivre avant de profiter. J'ai le bonheur que mes sentiments cesser de les reconnoître. sur la comédie se rapprochent beaucoup des vôtres. J'ai toujours compris que le ridicule y devoit naître de quelque passion qui attachât l'esprit du spectateur, donnât de la vivacité à l'intrigue et de la véhémence aux personnages. Je ne pensois pas que les passions des gens du monde, pour être moins naïves que celles du peuple, fussent moins propres à produire ces effets, si un auteur naïf peignoit avec force leurs mœurs dépravées, leur extravagante vanité, leur esprit, sans le savoir, toujours hors de la nature, source intarissable de ridicules. J'ai vu bien souvent avec surprise le succès de quelques pièces du haut comique qui n'avoient pas même l'avantage d'être bien pensées. Je disois alors Que seroit-ce si les mêmes sujets Mon rhume continue toujours avec la fièvre étoient traités par un homme qui sût écrire, et d'autres incommodités qui m'affoiblissent et former une intrigue et donner de la vie à ses m'épuisent. Tous les maux m'assiégent; je voupeintures? C'est avec la plus sincère soumission drois les souffrir avec patience, mais cela est que je vous propose mes idées. Je sais depuis bien difficile. Si je puis mériter, monsieur, que long-temps qu'il n'y a que la pratique même vous m'accordiez une amitié bien sincère, j' ́esdes arts qui puisse nous donner sur la compo-père qu'elle me sera grandement utile, et fera, sition des idées saines. Vous les avez tous cul- tant que je vivrai, ma consolation et ma force. tivés dès votre enfance avec une tendre attenVAUVENARGUES. tion; et le peu de vues que j'ai sur le goût, je les dois principalement, monsieur, à vos ouvrages. Celui qui vous occupe présentement occupera bientôt la France. Je conçois qu'un travail si difficile et si pressé demande vos soins. Vous avez néanmoins trouvé le temps de me parler de mes frivoles productions, et de consoler par les assurances de votre amitié mon cœur affligé. Ces marques aimables d'humanité sont bien chères à un malheureux qui ne doit plus avoir de pensées que pour la vertu. J'espère pouvoir vous en remercier de vive voix à la fin de mai, si ma santé me permet de me mettre en voyage. Je serois inconsolable si je ne vous trouvois pas à Paris dans ce temps-là. Un gros rhume que j'ai sur la poitrine, avec la fièvre depuis quinze jours, interrompt le plaisir que j'ai de m'entretenir avec vous. Continuez

La Princesse de Navarre, comédie-ballet en trois actes, demandée pour la fête donnée par le roi en son château de Versailles, le 23 février 1745, à l'occasion du premier mariage du Dauphin. B.

A M. DE VAUVENARGUES '.

A Versailles, ce 3 avril 1745.

Vous pourriez, monsieur, me dire comme Horace,

Sic raro scribis, ut toto non quater anno.

Ce ne seroit pas la seule ressemblance que vous auriez avec ce sage aimable : il a pensé quelquefois comme vous dans ses vers; mais il me semble que son cœur n'étoit pas si sensible que le vôtre. C'est cette extrême sensibilité que j'aime; sans elle vous n'auriez point fait cette belle oraison funèbre dictée par l'éloquence et la tendre amitié. La première façon dont vous l'aviez commencée me paroît sans comparaison

Cette lettre, imprimée pour la première fois dans la Correspondance générale de Voltaire sous la date du 3 avril 1746, est du 3 avril 1745: on peut s'en assurer par la seule lecture des allusions aux divers évènements de cette année; et la réponse de Vauvenargues que nous avons sous les yeux vient encore le confirmer. B.

il n'y auroit seulement qu'à en adoucir quelques traits et à ne pas comprendre tous les hommes dans le portrait funeste que vous en faites : il y a sans doute de belles ames, et qui pleurent leurs amis avec des larmes véritables. N'en êtesvous pas une preuve bien frappante, et croyezvous être assez malheureux pour être le seul qui soyez sensible?

plus touchante, plus pathétique que la seconde; | vive voix: cela vaudra mieux. Recevez cependant ici mes compliments sincères sur les graces que le roi vous a faites. Je desire, monsieur, qu'il fasse encore beaucoup d'autres choses qui méritent d'être louées, afin que votre reconnoissance honore toujours la vérité. Vous me permettez bien de prendre cet intérêt à votre gloire. Je suis bien aise d'avoir parlé comme Horace pensoit quelquefois. Je vous prie cependant de croire, quoique ce soit une chose honteuse à avouer, que je ne pense pas toujours comme

que je puis recevoir les louanges que vous me donnez sur l'amitié. Celle que je prends la liberté, monsieur, d'avoir pour vous, me rendra digne un jour de votre estime.

VAUVENARGUES.

A M. LE MARQUIS DE VAUVENARGUES.
Sur un Éloge funèbre d'un officier, composé
à Prague'.

Ne parlons plus de La Fontaine. Qu'importe qu'en plaisantant on ait donné le nom d'instinct au talent singulier d'un homme qui avoit tou-je parle. Après cette petite précaution, je crois jours vécu à l'aventure, qui pensoit et parloit en enfant sur toutes les choses de la vie, et qui étoit si loin d'être philosophe! Ce qui me charme sur-tout de vos réflexions, monsieur, et de tout ce que vous voulez bien me communiquer, c'est cet amour si vrai que vous témoignez pour les beaux-arts; c'est ce goût vif et délicat qui se manifeste dans toutes vos expressions. Venez donc à Paris : j'y profiterai avec assiduité de votre séjour. Vous serez peut-être étonné de recevoir une lettre de moi, datée de Versailles. La cour ne sembloit guère faite pour moi; mais les graces que le roi m'a faites m'y arrêtent, et j'y suis à présent plus par reconnoissance que par intérêt. Le roi part, dit-on, les premiers jours du mois prochain, pour aller nous donner la paix à force de victoires. Vous avez renoncé à ce métier qui demande un corps plus robuste que le vôtre, et un esprit peu philosophique : c'est bien assez d'y avoir consacré vos plus belles années. Employez, monsieur, le reste de votre vie à vous rendre heureux; et songez que vous contribuerez à mon bonheur quand vous m'honorerez de votre commerce dont je sens tout le prix.

VOLTAIRE.

A M. DE VOLTAIRE.

A Aix, ce 30 avril 1745.

1

Je ne vous dirai pas, monsieur, sic raro scribis, etc. ; mais j'irai vous demander réponse de

Voltaire venoit d'être nommé gentilhomme ordinaire, et historiographe de France. B.

2 Louis XV partit de Versailles accompagné du dauphin, et arriva au camp de Tournay le 8 mai 1745; le 14, par l'habileté du maréchal de Saxe, il gagna, sur le duc de Cumberland, la bataille de Fontenoy. B.

L'état où vous m'apprenez que sont vos yeux a tiré, monsieur, des larmes des miens, et l'éloge funèbre que vous m'avez envoyé a augmenté mon amitié pour vous, en augmentant mon admiration pour cette belle éloquence avec n'est que trop vrai en général, Vous en exceplaquelle vous êtes né. Tout ce que vous dites tez sans doute l'amitié. C'est elle qui vous a inspiré et qui a rempli votre ame de ces sentiments qui condamnent le genre humain; plus les hommes sont méchants, plus la vertu est précieuse, et l'amitié m'a toujours paru la première de toutes les vertus, parcequ'elle est la première de nos consolations. Voilà la première oraison funèbre que le cœur ait dictée; toutes les autres sont l'ouvrage de la vanité. Vous craignez qu'il n'y ait un peu de déclamation. Il est bien difficile que ce genre d'écrire se garantisse de ce défaut : qui parle long-temps parle trop sans doute. Je ne connois aucun discours oratoire où il n'y ait des longueurs. Tout art a son endroit foible : quelle tragédie est sans remplissage; quelle ode sans strophes inutiles? mais, quand le bon domine, il faut être satisfait.

1 Voyez cet Éloge, page 611.

D'ailleurs, ce n'est pas pour le public que vous | hasardées; j'étois dans un âge où ce qui est le

avez écrit: c'est pour vous, c'est pour le soulagement de votre cœur ; le mien est pénétré de l'état où vous êtes. Puissent les belles-lettres vous consoler! Elles sont en effet le charme de la vie quand on les cultive pour elles-mêmes, comme elles le méritent; mais quand on s'en sert comme d'un organe de la renommée, elles se vengent bien de ce qu'on ne leur a pas offert un culte assez pur; elles nous suscitent des ennemis qui nous persécutent jusqu'au tombeau. Zoïle eût été capable de faire tort à Homère vivant. Je sais bien que les Zoïles sont détestés, qu'ils sont méprisés de toute la terre, et c'est là précisément ce qui les rend dangereux. On se trouve compromis, malgré qu'on en ait, avec un homme couvert d'opprobres.

Je voudrois, malgré ce que je vous dis là, que votre ouvrage fùt public; car, après tout, quel Zoile pourroit médire de ce que l'amitié, la douleur et l'éloquence ont inspiré à un jeune officier, et qui ne seroit étonné de voir le génie de M. Bossuet à Prague? Adieu, monsieur, soyez heureux, si les hommes peuvent l'être; je compterai parmi mes beaux jours celui où je pourrai vous revoir.

Je suis, avec les sentiments les plus tendres, etc., etc. '.

VOLTAIRE.

A M. DE VOLTAIRE.

(Cette lettre s'est trouvée sans date.)

Je vous accable, monsieur, de mes lettres. Je sens l'indiscrétion qu'il y a à vous dérober à vous-même; mais lorsqu'il me vient en pensée que je puis gagner quelque degré dans votre amitié ou votre estime, je ne résiste pas à cette idée. J'ai retrouvé, il y a peu de temps, quelques vers que j'ai faits dans ma jeunesse. Je ne suis pas assez impudent pour montrer moi-même de telles sottises; je n'aurois jamais osé vous les lire; mais, dans l'éloignement qui nous sépare, et dans une lettre, je suis plus hardi. Le sujet des premières pièces est peu honnête. Je manquois beaucoup de principes lorsque je les ai

Cette lettre, qui, dans la correspondance générale de Voltaire, se trouve sans date, a été écrite dans les derniers jours de décembre 1745. B.

plus licencieux paroît trop souvent le plus aimable. Vous pardonnerez ces erreurs d'un esprit follement amoureux de la liberté, et qui ne savoit pas encore que le plaisir même a ses bornes. Je n'achevai pas le morceau commencé sur la mort d'Orphée; je crus m'apercevoir que les rimes redoublées que j'avois choisies n'étoient pas propres au genre terrible. Je jugeai selon mes lumières ; il peut arriver qu'un homme de génie fasse voir un jour le contraire. Si mes vers n'étoient que très foibles, je prendrois la liberté de vous demander à quel degré; mais je crois les voir tels qu'ils sont. Je n'ai pu cependant me refuser de vous donner ce témoignage de l'amour que j'ai eu de très bonne heure pour la poésie. Je l'aurois cultivée avec ardeur, si elle m'avoit plus favorisé; mais la peine que me donna ce petit nombre de vers ridicules, me fit une loi d'y renoncer. Aimez, monsieur, malgré cette foiblesse, un homme qui aime lui-même si passionnément tous les arts; qui vous regarde, dans leur décadence, comme leur unique soutien, et respecte votre génie autant qu'il chérit vos bontés 1.

VAUVENARGUES.

P.S. Vous avez eu la bonté, monsieur, de me faire apercevoir que le commencement de mon éloge funèbre exagéroit la méchanceté des hommes. Je l'ai supprimé, et rétabli un ancien exorde qui peut-être ne vaut pas mieux. J'ai du discours, mais je ne vous envoie que le prefait encore quelques changements dans le reste mier. J'espère toujours avoir le plaisir de vous voir à la fin de mai. Comme ce sera probablement ici la dernière lettre que j'aurai l'honneur de vous écrire, je la fais sans bornes.

AU MÊME.

A Paris, dimanche matin, mai 1746.

Je ne mérite aucune des louanges dont vous m'honorez. Mon livre est rempli d'impertinences et de choses ridicules. Je vais cependant

Cette lettre, trouvée sans date, suivit de près la précédente; tout porte à croire qu'elle est du mois de janvier 1746. B.

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