A Aix, ce 27 janvier 4745. êtes encore assez bon pour me faire part de vos | moi, je vous prie, monsieur, les témoignages lumières sur Despréaux, je tâcherai aussi d'en de votre amitié; je cesserai de vivre avant de profiter. J'ai le bonheur que mes sentiments cesser de les reconnoître. sur la comédie se rapprochent beaucoup des vôtres. J'ai toujours compris que le ridicule y devoit naître de quelque passion qui attachât l'esprit du spectateur, donnât de la vivacité à l'intrigue et de la véhémence aux personnages. Je ne pensois pas que les passions des gens du monde, pour être moins naïves que celles du peuple, fussent moins propres à produire ces effets, si un auteur naïf peignoit avec force leurs mœurs dépravées, leur extravagante vanité, leur esprit, sans le savoir, toujours hors de la nature, source intarissable de ridicules. J'ai vu bien souvent avec surprise le succès de quelques pièces du haut comique qui n'avoient pas même l'avantage d'être bien pensées. Je disois alors: Que seroit-ce si les mêmes sujets étoient traités par un homme qui sût écrire, former une intrigue et donner de la vie à ses peintures? C'est avec la plus sincère soumission que je vous propose mes idées. Je sais depuis long-temps qu'il n'y a que la pratique même Je n'aurois pas été long-temps fàché, monsieur, que mes papiers eussent vu le jour, s'ils ne l'avoient dû qu'à l'estime que vous en faisiez; mais puisqu'ils paroissoient sans votre aveu et avec les défauts que vous leur connoissez, il vaut beaucoup mieux, sans doute, qu'ils soient encore à notre disposition. Je ne regrette que la peine qu'on vous a donnée pour une si grande bagatelle. Mon rhume continue toujours avec la fièvre et d'autres incommodités qui m'affoiblissent et m'épuisent. Tous les maux m'assiégent; je voudrois les souffrir avec patience, mais cela est bien difficile. Si je puis mériter, monsieur, que vous m'accordiez une amitié bien sincère, j'es des arts qui puisse nous donner sur la compo-père qu'elle me sera grandement utile, et fera, tant que je vivrai, ma consolation et ma force. VAUVENARGUES. sition des idées saines. Vous les avez tous cultivés dès votre enfance avec une tendre attention; et le peu de vues que j'ai sur le goût, je les dois principalement, monsieur, à vos ouvrages. Celui qui vous occupe présentement occupera bientôt la France. Je conçois qu'un travail si difficile et si pressé demande vos soins. Vous avez néanmoins trouvé le temps de me parler de mes frivoles productions, et de consoler par les assurances de votre amitié mon cœur affligé. Ces marques aimables d'humanité sont bien chères à un malheureux qui ne doit plus avoir de pensées que pour la vertu. J'espère pouvoir vous en remercier de vive voix à la fin de mai, si ma santé me permet de me mettre en voyage. Je serois inconsolable si je ne vous trouvois pas à Paris dans ce temps-là. Un gros rhume que j'ai sur la poitrine, avec la fièvre depuis quinze jours, interrompt le plaisir que j'ai de m'entretenir avec vous. Continuez La Princesse de Navarre, comédie-ballet en trois actes, demandée pour la fête donnée par le roi en son château de Versailles, le 23 février 1745, à l'occasion du premier mariage du Dauphin. B. VAUVENARGUES. AU MÊME. A M. DE VAUVENARGUES '. A Versailles, ce 3 avril 1745. Vous pourriez, monsieur, me dire comme Horace, Sic raro scribis, ut toto non quater anno. Ce ne seroit pas la seule ressemblance que vous auriez avec ce sage aimable : il a pensé quelquefois comme vous dans ses vers; mais il me semble que son cœur n'étoit pas si sensible que le vôtre. C'est cette extrême sensibilité que j'aime; sans elle vous n'auriez point fait cette belle oraison funèbre dictée par l'éloquence et la tendre amitié. La première façon dont vous l'aviez commencée me paroît sans comparaison Cette lettre, imprimée pour la première fois dans la Correspondance générale de Voltaire sous la date du 3 avril 1746, est du 3 avril 1745: on peut s'en assurer par la seule lecture des allusions aux divers évènements de cette année; et la réponse de Vauvenargues que nous avons sous les yeux vient encore le confirmer. B. plus touchante, plus pathétique que la seconde; | vive voix: cela vaudra mieux. Recevez cepenil n'y auroit seulement qu'à en adoucir quelques traits et à ne pas comprendre tous les hommes dans le portrait funeste que vous en faites: il y a sans doute de belles ames, et qui pleurent leurs amis avec des larmes véritables. N'en êtesvous pas une preuve bien frappante, et croyezvous être assez malheureux pour être le seul qui soyez sensible? dant ici mes compliments sincères sur les graces que le roi vous a faites. Je desire, monsieur, qu'il fasse encore beaucoup d'autres choses qui méritent d'être louées, afin que votre reconnoissance honore toujours la vérité. Vous me permettez bien de prendre cet intérêt à votre gloire. Je suis bien aise d'avoir parlé comme Horace pensoit quelquefois. Je vous prie cependant de croire, quoique ce soit une chose honteuse à avouer, que je ne pense pas toujours comme Ne parlons plus de La Fontaine. Qu'importe qu'en plaisantant on ait donné le nom d'instinct au talent singulier d'un homme qui avoit tou-je parle. Après cette petite précaution, je crois que je puis recevoir les louanges que vous me donnez sur l'amitié. Celle que je prends la liberté, monsieur, d'avoir pour vous, me rendra digne un jour de votre estime. jours vécu à l'aventure, qui pensoit et parloit en enfant sur toutes les choses de la vie, et qui étoit si loin d'être philosophe! Ce qui me charme sur-tout de vos réflexions, monsieur, et de tout ce que vous voulez bien me communiquer, c'est cet amour si vrai que vous témoignez pour les beaux-arts; c'est ce goût vif et délicat qui se manifeste dans toutes vos expressions. Venez donc à Paris : j'y profiterai avec assiduité de votre séjour. Vous serez peut-être étonné de recevoir une lettre de moi, datée de Versailles. La cour ne sembloit guère faite pour moi; mais les graces que le roi m'a faites m'y arrêtent, et j'y suis à présent plus par reconnoissance que par intérêt. Le roi part, dit-on", les premiers jours du mois prochain, pour aller nous donner la paix à force de victoires. Vous avez renoncé à ce métier qui demande un corps avez renoncé à ce métier qui demande un corps plus robuste que le vôtre, et un esprit peu philosophique : c'est bien assez d'y avoir consacré vos plus belles années. Employez, monsieur, le reste de votre vie à vous rendre heureux; et songez que vous contribuerez à mon bonheur quand vous m'honorerez de votre commerce dont je sens tout le prix. VOLTAIRE. A M. DE VOLTAIRE. 1 A Aix, ce 30 avril 1745. Je ne vous dirai pas, monsieur, sic raro scribis, etc.; mais j'irai vous demander réponse de Voltaire venoit d'être nommé gentilhomme ordinaire, et historiographe de France. B. 2 Louis XV partit de Versailles accompagné du dauphin, et arriva au camp de Tournay le 8 mai 1745; le 14, par l'habileté du maréchal de Saxe, il gagna, sur le duc de Cumberland, la bataille de Fontenoy. B. VAUVENARGUES. A M. LE MARQUIS DE VAUVENARGUES. Sur un Éloge funèbre d'un officier, composé à Prague'. L'état où vous m'apprenez que sont vos yeux l'éloge funèbre que vous m'avez envoyé a auga tiré, monsieur, des larmes des miens, et menté mon amitié pour vous, en augmentant mon admiration pour cette belle éloquence avec n'est que trop vrai en général, Vous en exceplaquelle vous êtes né. Tout ce que vous dites tez sans doute l'amitié. C'est elle qui vous a inspiré et qui a rempli votre ame de ces sentiments qui condamnent le genre humain; plus les hommes sont méchants, plus la vertu est précieuse, et l'amitié m'a toujours paru la première de toutes les vertus, parcequ'elle est la première de nos consolations. Voilà la première oraison funèbre que le cœur ait dictée; toutes les autres sont l'ouvrage de la vanité. Vous craignez qu'il n'y ait un peu de déclamation. Il est bien difficile que ce genre d'écrire se garantisse de ce défaut : qui parle long-temps parle trop sans doute. Je ne connois aucun discours oratoire où il n'y ait des longueurs. Tout art a son endroit foible quelle tragédie est sans remplissage; quelle ode sans strophes inutiles? mais, quand le bon domine, il faut être satisfait. Voyez cet Éloge, page 611. D'ailleurs, ce n'est pas pour le public que vous | avez écrit: c'est pour vous, c'est pour le soulagement de votre cœur ; le mien est pénétré de l'état où vous êtes. Puissent les belles-lettres vous consoler! Elles sont en effet le charme de la vie quand on les cultive pour elles-mêmes, comme elles le méritent; mais quand on s'en sert comme d'un organe de la renommée, elles se vengent bien de ce qu'on ne leur a pas offert un culte assez pur; elles nous suscitent des ennemis qui nous persécutent jusqu'au tombeau. Zoïle eût été capable de faire tort à Homère vivant. Je sais bien que les Zoïles sont détestés, qu'ils sont méprisés de toute la terre, et c'est là précisément ce qui les rend dangereux. On se trouve compromis, malgré qu'on en ait, avec un homme couvert d'opprobres. Je voudrois, malgré ce que je vous dis là, que votre ouvrage fùt public; car, après tout, quel Zoile pourroit médire de ce que l'amitié, la douleur et l'éloquence ont inspiré à un jeune officier, et qui ne seroit étonné de voir le génie de M. Bossuet à Prague? Adieu, monsieur, soyez heureux, si les hommes peuvent l'être; je compterai parmi mes beaux jours celui où je pourrai vous revoir. Je suis, avec les sentiments les plus tendres, etc., etc. '. VOLTAIRE. A M. DE VOLTAIRE. (Cette lettre s'est trouvée sans date.) Je vous accable, monsieur, de mes lettres. Je sens l'indiscrétion qu'il y a à vous dérober à vous-même; mais lorsqu'il me vient en pensée que je puis gagner quelque degré dans votre amitié ou votre estime, je ne résiste pas à cette idée. J'ai retrouvé, il y a peu de temps, quelques vers que j'ai faits dans ma jeunesse. Je ne suis pas assez impudent pour montrer moi-même de telles sottises; je n'aurois jamais osé vous les lire; mais, dans l'éloignement qui nous sépare, et dans une lettre, je suis plus hardi. Le sujet des premières pièces est peu honnête. Je manquois beaucoup de principes lorsque je les ai Cette lettre, qui, dans la correspondance générale de Voltaire, se trouve sans date, a été écrite dans les derniers jours de décembre 1745. B. hasardées; j'étois dans un âge où ce qui est le plus licencieux paroît trop souvent le plus aimable. Vous pardonnerez ces erreurs d'un esprit follement amoureux de la liberté, et qui ne savoit pas encore que le plaisir même a ses bornes. Je n'achevai pas le morceau commencé sur la mort d'Orphée; je crus m'apercevoir que les rimes redoublées que j'avois choisies n'étoient pas propres au genre terrible. Je jugeai selon mes lumières ; il peut arriver qu'un homme de génie fasse voir un jour le contraire. Si mes vers n'étoient que très foibles, je prendrois la liberté de vous demander à quel degré; mais je crois les voir tels qu'ils sont. Je n'ai pu cependant me refuser de vous donner ce témoignage de l'amour que j'ai eu de très bonne heure pour la poésie. Je l'aurois cultivée avec ardeur, si elle m'avoit plus favorisé; mais la peine que me donna ce petit nombre de vers ridicules, me fit une loi d'y renoncer. Aimez, monsieur, malgré cette foiblesse, un homme qui aime lui-même si passionnément tous les arts; qui vous regarde, dans leur décadence, comme leur unique soutien, et respecte votre génie autant qu'il chérit vos bontés 1. VAUVENARGUES. P.S. Vous avez eu la bonté, monsieur, de me faire apercevoir que le commencement de mon éloge funèbre exagéroit la méchanceté des hommes. Je l'ai supprimé, et rétabli un ancien exorde qui peut-être ne vaut pas mieux. J'ai du discours, mais je ne vous envoie que le prefait encore quelques changements dans le reste mier. J'espère toujours avoir le plaisir de vous voir à la fin de mai. Comme ce sera probablement ici la dernière lettre que j'aurai l'honneur de vous écrire, je la fais sans bornes. AU MEME. A Paris, dimanche matin, mai 1746. Je ne mérite aucune des louanges dont vous m'honorez. Mon livre est rempli d'impertinences et de choses ridicules. Je vais cependant Cette lettre, trouvée sans date, suivit de près la précédente; tout porte à croire qu'elle est du mois de janvier 1746. B. travailler à le rendre moins méprisable, puis- | de la Princesse de Navarre et du Temple de la que vous voulez bien m'aider à le refaire. Dès Gloire leur fait déja dire que vous n'avez plus que vous m'aurez donné vos corrections 2, je de génie. Je suis si choqué de ces impertinences, mettrai la main à l'œuvre. J'avois le plus grand qu'elles me dégoûtent non seulement des gens dégoût pour cet ouvrage; vos bontés réveillent de lettres, mais des lettres mêmes. Je vous conmon amour-propre; je sens vivement le prix de jure, mon cher maître, de polir si bien votre votre amitié. Je veux du moins faire tout ce qui ouvrage, qu'il ne reste à l'envie aucun prétexte dépend de moi pour la mériter. J'ai dit à pour l'attaquer. Je m'intéresse tendrement à M. Marmontel ce que vous me chargiez de lui votre gloire, et j'espère que vous pardonnerez dire. J'attends impatiemment votre retour, et au zèle de l'amitié ce conseil, dont vous n'avez vous remercie tendrement. pas besoin. VAUVENARGUES. VAUVENARGUES. AU MÊME. A M. AMELOT, Secrétaire d'État pour les affaires étrangères. MONSEIGNEUR. Je suis sensiblement touché que la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire et celle que j'ai pris la liberté de vous adresser pour le roi, n'aient A Paris, lundi matin, mai 1746. Vous me soutenez, mon cher maître, contre l'extrême découragement que m'inspire le sentiment de mes défauts. Je vous suis sensiblement obligé d'avoir lu si tôt mes Réflexions. Si vous êtes chez vous ce soir, ou demain ou après-pu attirer votre attention. Il n'est pas surpredemain, j'irai vous remercier. Je n'ai pas ré-nant, peut-être, qu'un ministre si occupé ne pondu hier à votre lettre, parce que celui qui l'a trouve pas le temps d'examiner de pareilles letapportée l'a laissée chez le portier, et s'en étoit tres; mais, monseigneur, me permettrez-vous ailé avant qu'on me la rendit. Je vous écrirois de vous dire que c'est cette impossibilité morale et je vous verrois tous les jours de ma vie, si où se trouve un gentilhomme qui n'a que du vous n'étiez pas responsable au monde de la zèle de parvenir jusqu'à son maître, qui fait le dévôtre. Ce qui a fait que je vous ai si peu parlé couragement que l'on remarque dans la noblesse de votre tragédie 3, c'est que mes yeux souf- des provinces, et qui éteint toute émulation? froient extrêmement lorsque je l'ai lue, et que des distractions du monde, pour tâcher de me J'ai passé, monseigneur, toute ma jeunesse loin j'en aurois mal jugé après une lecture si mal des distractions du monde, pour tâcher de me faite. Elle m'a paru pleine de beautés sublimes, rendre capable des emplois où j'ai cru que mon Vos ennemis répandent dans le monde qu'il n'y volonté si laborieuse me mettroit du moins au caractère m'appeloit; et j'osois penser qu'une a que votre premier acte qui soit supportable, niveau de ceux qui attendent toute leur fortune et que le reste est mal conduit et mal écrit. On de leurs intrigues et de leurs plaisirs. Je suis pen'a jamais été si horriblement déchaîné contre nétré, monseigneur, qu'une confiance que j'avois vous, qu'on l'est depuis quatre mois. Vous devez vous attendre que la plupart des gens de principalement fondée sur l'amour de mon devoir lettres de Paris feront les derniers efforts pour se trouve entièrement déçue. Ma santé ne me faire tomber votre pièce. Le succès médiocre permettant plus de continuer mes services à la guerre, je viens d'écrire à M. le duc de Biron pour le prier de nommer à mon emploi. Je n'ai pu, dans une situation si malheureuse, me refuser à vous faire connoître mon désespoir. Pardonnez-moi, monseigneur, s'il me dicte quel ■ Vauvenargues préparoit alors une édition de l'Introduction à la connoissance de l'esprit humain, suivie de Réflexions et Maximes, seuls ouvrages qu'il publia, et dont l'impression, commencée sous ses yeux, ne fut terminée qu'après sa mort. B. Les corrections dont parle Vauvenargues, écrites à la marge du manu-crit, sont les notes de Voltaire qui se trouvent que expression qui ne soit pas assez mesurée. dans cette édition. B. Je suis, etc., etc. 3 Vanvenargues veut ici parler de sémiramis, qui ne fut représentée que deux ans plus tard, le 29 septembre 1748. B. AVIS. Ce fut une heureuse découverte que celle des fragments inédits de Vauvenargues, du seul moraliste, du seul écrivain qui, en restant original, ait mérité d'être comparé à Pascal pour la vigueur, à La Bruyère pour la finesse, à Fénelon pour la grace et la pureté. Ces fragments, que nous reproduisons ici, contiennent dix-huit dialogues, plus de cent pensées, autant de maximes, un éloge de Louis XV, des réflexions sur Newton, Montaigne et Fontenelle, et quelques remarques sur la poésie et l'éloquence. Toutes ces pièces sont précieuses, toutes reflètent plus ou moins la belle ame de l'auteur, toutes méritent de tenir une place dans ses œuvres, au moins comme études, si ce n'est toujours comme modèles; dans toutes enfin on reconnoît ce goût si pur, cette vertu si élevée qui avoit passionné Voltaire, et qui, suivant son expression, le consoloit de la décadence du siècle. | | M. Roux Alpheran, qui fut long-temps possesseur des manuscrits autographes de Vauvenargues, se décida enfin à les publier vers la fin de 1849, c'està-dire plus de soixante-douze ans après la mort de l'auteur. C'est sur l'édition qui fut donnée à cette époque que nous publions la nôtre; mais plusieurs années auparavant, en 1843, le même éditeur avoit fait paroître plusieurs lettres de Voltaire à Vauvenargues, et qui ne furent point réunies aux œuvres de ce dernier. Ces lettres, que nous recueillons avec soin, formoient une brochure de seize pages; elles furent imprimées à Aix, et restèrent à-peu-près inconnues à Paris. Nous en citerons un passage qui pourra donner une idée de l'admiration, ou, pour mieux dire, de la vénération que ce sage de vingtsix ans inspiroit à Voltaire. « Aimable créature! «< beau génie! s'écrioit-il, j'ai lu votre premier ma<< nuscrit, et j'y ai admiré cette hauteur d'une « grande ame qui s'élève au-dessus des petits bril<< lants des Isocrates. Si vous étiez né quelques an« nées plus tôt, mes ouvrages en vaudroient mieux; «< mais au moins, sur la fin de ma carrière, vous << m'affermissez dans la route que vous suivez. Le << grand, le pathétique, le sentiment, voilà mes << maîtres, vous êtes le dernier. Je vais vous lire en« core; vous êtes la plus douce de mes consolations « dans les maux qui m'accablent. » Non, ce n'est pas là une de ces coquetteries banales dont le philosophe de Ferney fut toujours si prodigue! c'est l'hommage qu'une ame supérieure rend à la vertu dont elle éprouve l'influence. Il est des moments où Voltaire sembloit né pour n'aimer qu'elle; en lisant ce choix de lettres, on est tenté de croire que tout ce qui déshonore ses écrits appartient aux coteries de son siècle, et que le reste seul est à lui. Peut-être ne manqua-t-il à cet homme prodigieux, pour être toujours admirable, qu'un ami comme Vauvenargues. Si vous étiez né quelques années plus tôt, mes ouvrages en vaudroient mieux. N'est-ce pas l'aveu d'une conscience qui se reproche d'avoir trop sacrifié aux petites passions du jour ? n'est-ce pas aussi le mouvement d'un cœur qui se sent fait pour les grandes choses, et qui sait qu'on n'y arrive que par la vertu? Toutes les lettres de ce recueil sont inspirées par le même enthousiasme; toutes renferment les mêmes sentiments et les mêmes éloges, et cependant c'est un fait remarquable, que l'admiration de celui qui entraîna son siècle ne put donner de la renommée aux ouvrages de Vauvenargues. Le génie de ce jeune écrivain devoit être méconnu de ses contemporains, et même, de nos jours, il n'est apprécié que par un petit nombre de lecteurs. Vauvenargues n'avoit rien de ce qui séduit la multitude, de ce qui donne les succès du moment; point de recherches, point d'affectations; il est à-la-fois simple et élevé, clair et profond, sage et animé, et ce n'est pas le lot de tout le monde de savoir discerner les beautés naturelles qui résultent de l'harmonie parfaite du caractère de celui qui écrit avec ce qu'il écrit. Ainsi, dans les jours les plus brillants de notre littérature, lorsque la multitude dédaignoit Phèdre et condamnoit Athalie, un homme seul, Boileau, leur prodiguoit son admiration, et cet homme seul avoit raison contre tout le monde : il jugeoit comme la postérité. Mais quelle délicatesse de goût! quel sentiment exquis du beau il falloit avoir pour lutter ainsi contre le siècle! Racine lui-même craignit de s'être trompé, et la |