Fait à Besançon, au mois de juillet 1737. le sauvera de l'erreur? Y a-t-il dans son esprit | philosophes, de dire quelquefois obscurément un autre tribunal qui puisse infirmer les arrêts en un volume ce que la poésie et l'éloquence et les résolutions de celui-ci? Approfondissons peignent beaucoup mieux d'un seul trait. davantage. Tout être créé dépend nécessairement des lois de sa création; l'homme est visiblement dans cette dépendance; ses actions. pourroient-elles lui appartenir lorsque son être même ne lui est pas propre? Dieu même ne pourroit suspendre ses lois absolues sur notre ame, sans anéantir en elle toute action. Un être qui a tout reçu ne peut agir que par ce qui lui a été donné; et toute la puissance divine, qui est infinie, ne sauroit le rendre indépendant. Toutefois en suivant ces lois primitives dont je parle, nous suivons nos propres desirs. Ces lois sont l'essence de notre être, et ne sont point distinctes de nous-mêmes, puisque nous n'existons qu'en elles. Nous nommons liberté avec raison la puissance d'agir par elles, et nécessité la violence qu'elles souffrent des objets extérieurs, comme lorsque nous sommes en prison ou dans quelque autre dépendance involontaire. Ce qui fait illusion aux partisans du libre arbitre, c'est le sentiment qu'ils en trouvent dans leur conscience. Ce sentiment-là n'est point faux. Soit que nos passions ou nos réflexions nous déterminent, il est vrai que c'est nous qui nous déterminons; car il y auroit de la folie à distinguer nos sentiments ou nos pensées de nous-mêmes. Ainsi la liberté et la nécessité subsistent ensemble. Ainsi le raisonnement et l'expérience justifient la foi qui les admet. C'est ce que M. de Voltaire a parfaitement bien exprimé dans ces beaux vers: Sur un autel de fer, un livre inexplicable J'aimerois mieux avoir fait ces douze vers que le long chapitre de la puissance de M. Locke. C'est le propre des philosophes qui ne sont que RÉPONSE AUX CONSÉQUENCES DE LA NÉCESSITÉ. On dit : Si tout est nécessaire, il n'y a plus de vice. Je réponds qu'une chose est bonne ou mauvaise en elle-même, et nullement parcequ'elle est nécessaire ou ne l'est pas. Qu'un homme soit malade parcequ'il le veut, ou qu'il soit malade sans le vouloir, cela ne revient-il pas au même ? Celui qui s'est blessé lui-même à la chasse n'est-il pas aussi réellement blessé que celui qui a reçu à la guerre un coup de fusil? et celui qui est en délire pour avoir trop bu n'est-il pas aussi réellement fou, pendant quelques heures, que celui qui l'est devenu par maladie? Dira-t-on que Dieu n'est point parfait, parcequ'il est nécessairement parfait? Ne fautil pas dire, au contraire, qu'il est d'autant plus parfait, qu'il ne peut être imparfait ? S'il n'étoit pas nécessairement parfait, il pourroit déchoir de sa perfection à laquelle il manqueroit un plus haut degré d'excellence, et qui dès lors ne mériteroit plus ce nom. Il en est de même du vice plus il est nécessaire, plus il est vice; rien n'est plus vicieux dans le monde que ce qui, par son fond, est incapable d'être bien. Mais, dira quelqu'un, si le vice est une maladie de notre ame, il ne faut donc pas traiter les vicieux autrement que des malades. Sans difficulté: rien n'est si juste, rien n'est plus humain. Il ne faut pas traiter un scélérat autrement qu'un malade; mais il faut le traiter comme un malade. Or, comment en use-t-on avec un malade? par exemple, avec un blessé qui a la gangrène dans le bras? si on peut sauver le bras sans risquer le corps, on sauve le bras; mais si on ne peut sauver le bras qu'au péril du corps, on le coupe, n'est-il pas vrai? Il faut donc en user de même avec un scélérat : si on RÉPONSE AUX CONSÉQUENCES DE LA NÉCESSITÉ. 629 : : peut l'épargner sans faire tort à la société dont | sa rigueur? Quoi de plus aimable que ses dons, il est membre, il faut l'épargner; mais si le salut ou de plus terrible que ses coups? Mais, pourde la société dépend de sa perte, il faut qu'il suivez-vous, malgré cela je ne puis m'empêcher meure: cela est dans l'ordre. Mais Dieu punira- d'excuser un homme que la nature seule a fait t-il aussi ce misérable dans l'autre monde, qui méchant. Eh bien! mon ami, excusez-le; poura été puni dans celui-ci, et qui n'a vécu d'ail- quoi vous défendre de la pitié? La nature a leurs que selon les lois de son être? Cette ques- rempli le cœur des bons de l'horreur du vice; tion ne regarde pas les philosophes, c'est aux mais elle y a mis aussi la compassion pour temthéologiens à la décider. Ah! du moins, conti- pérer cette haine trop fière, et les rendre plus nue-t-on, en punissant le criminel qui nuit à la indulgents. Si la créance de la nécessité augsociété, vous ne direz pas que c'est un homme mente encore ces sentiments d'humanité, si elle foible et méprisable, un homme odieux. Et rappelle plus fortement les hommes à la clépourquoi ne le dirois-je pas? Ne dites-vous pas mence, quel plus beau système? O mortels, vous-même d'un homme qui manque d'esprit, tout est nécessaire le rien ne peut rien enque c'est un sot? et de celui qui n'a qu'un œil, gendrer; il faut donc que le premier principe ne dites-vous pas qu'il est borgne? Assurément, de toutes choses soit éternel; il faut que les ce n'est pas leur faute s'ils sont ainsi faits. Cela êtres créés, qui ne sont point éternels, tiennent est tout différent, répondez-vous je dis d'un tout ce qui est en eux de l'Ètre éternel qui les a homme qui manque d'esprit, que c'est un sot; faits. Or, s'il y avoit dans l'esprit de l'homme mais je ne le méprise point. Tant mieux; vous quelque chose de véritablement indépendant ; faites fort bien: car si cet homme qui manque s'il y avoit, par exemple, une volonté qui ne d'esprit a l'ame grande, vous vous tromperiez en dépendit pas du sentiment et de la réflexion disant que c'est un homme méprisable; mais de qui la précèdent, il s'ensuivroit que cette vocelui qui manque en même temps d'esprit et de lonté seroit à elle-même son principe. Ainsi cœur, vous ne pouvez pas vous tromper en disant il faudroit dire qu'une chose qui a commencé qu'il est méprisable, parceque dire qu'un homme a pu se donner l'être avant que d'ètre; il fauest méprisable, c'est dire qu'il manque d'esprit droit dire que cette volonté, qui hier n'étoit et de cœur. Or, on n'est point injuste quand on point, s'est pourtant donné l'existence qu'elle a ne pense en cela que ce qui est vrai et ce qu'il aujourd'hui : effet impossible et contradictoire. est très impossible de ne pas penser. A l'égard Ce que je dis de la volonté, il est aisé de l'apde ceux que la nature a favorisés des beautés pliquer à toute autre chose; il est, dis-je, aisé du génie ou de la vertu, il faudroit être bien de sentir que c'est une loi générale à laquelle peu raisonnable pour se défendre de les aimer, est soumise toute la nature. En un mot, je me par cette raison qu'ils tiennent tous ces biens de trompe fort, ou c'est une contradiction de dire la nature. Quelle absurdité! quoi, parceque qu'une chose est, et qu'elle n'est pas nécessaiM. de Voltaire est né poëte, j'estimerois moins rement. Ce principe est beau et fécond, et je ses poésies? parcequ'il est né humain, j'ho- crois qu'on en peut tirer les conséquences les norerois moins son humanité? parcequ'il est né plus lumineuses sur les matières les plus diffigrand et sociable, je n'aimerois pas tendre- ciles ; mais le malheur veut que les philosophes ment toutes ses vertus? C'est parceque toutes ne fassent qu'entrevoir la vérité, et qu'il y en ces choses se trouvent en lui invinciblement, que ait peu de capables de la mettre dans un beau je l'en aime et l'en estime davantage; et comme il jour. ne dépend pas de lui de n'être pas le plus beau génie de son siècle, il ne dépend pas de moi de n'être pas le plus passionné de ses admirateurs et de ses amis. Il est bon nécessairement, je l'aime de même. Qu'y a-t-il de beau et de grand que ce que la nature a fait ? Qu'y a-t-il de difforme et de foible que ce qu'elle a produit dans | Sur la justice. La justice est le sentiment d'une ame amoureuse de l'ordre, et qui se contente du sien. Elle est le fondement des sociétés; nulle vertu n'est plus utile au genre humain; nulle n'est consacrée à meilleur titre. Le potier ne doit rien à l'argile qu'il a pétrie, dit saint Paul; Dieu ne | ports, une forme et des proportions, c'est-àpeut être injuste. Cela est visible; mais nous en dire un ordre, et cet ordre subsistera tant qu'un concluons qu'il est donc juste, et nous nous agent supérieur s'abstiendra de le déranger. Il étonnons qu'il juge tous les hommes par la ne faut donc pas s'étonner que l'univers ait ses même loi, quoiqu'il ne donne pas à tous la même lois et une certaine économie. Je vous défie de grace; et quand on nous démontre que cette concevoir un seul atome sans cet attribut. Mais, conduite est formellement opposée aux prin- dit-on, ce qui vous étonne, ce n'est pas que cipes de l'équité, nous disons que la justice l'univers ait un ordre immuable et nécessaire, divine n'est point semblable à la justice humaine: mais c'est la beauté, la grandeur et la magniqu'on définisse donc cette justice contraire à la ficence de son ordre. Foibles philosophes! ennôtre. Il n'est pas raisonnable d'attacher deux tendez-vous bien ce que vous dites? Savez-vous idées différentes au même terme, pour lui que vous n'admirez que les choses qui passent donner tantôt un sens, tantôt un autre, selon vos forces ou vos connoissances? Savez-vous nos besoins ; et il faudroit ôter toute équivoque que si vous compreniez bien l'univers, et qu'il sur une matière de cette importance. ne s'y rencontrât rien qui passât les limites de votre pouvoir, vous cesseriez aussitôt de l'admirer. C'est donc votre très grande petitesse foiblesse infinie qui vous le représente dans qui fait un colosse de l'univers. C'est votre votre poussière, animé d'un esprit si vaste, si tout bornés que vous êtes, vous ne laissez pas puissant et si prodigieux. Cependant tout petits, d'apercevoir de grands défauts dans cet infini, et il vous est impossible de justifier tous les maux moraux et physiques que vous y éprouvez. Vous dites que c'est la foiblesse de votre esprit qui vous empêche de voir l'utilité et la bienséance de ces désordres apparents. Mais pourquoi ne croyez-vous pas tout aussi bien que c'est cette même foiblesse de vos lumières qui vous empêche de saisir le vice des beautés appal'univers a la meilleure forme possible, puisque rentes que vous admirez 1? Vous répondez que Dieu l'a fait tel qu'il est. Cette solution est d'un Sur la providence. Les inondations ou la sécheresse font périr les fruits; le froid excessif dépeuple la terre des animaux qui n'ont point d'abri; les maladies épidémiques ravagent en tous lieux l'espèce humaine et changent de vastes royaumes en déserts; les hommes se détruisent eux-mêmes par les guerres, et le foible est la proie du fort. Celui qui ne possède rien, s'il ne peut travailler, qu'il meure: c'est la loi du sort; il diminue et s'évanouit à la face du soleil, délaissé de toute la terre. Les bêtes se dévorent aussi entre elles : le loup, l'épervier, le faucon, si les animaux plus foibles leur échappent, périssent eux-mêmes; rivaux de la barbare cruauté des hommes, ils se partagent ses restes sanglants et ne vivent que de carnage. O terre! ô terre, tu n'es qu'un tombeau et un champ couvert de dépouilles ; tu n'enfantes que pour la mort. Qui t'a donné l'être? Ton ame paroît endormie dans ses fers. Qui préside à tes mouvements? Te faut-il admirer dans ta constante et invariable imperfection? Ainsi s'exhale le chagrin d'un philosophe qui ne connoît que la raison et la nature sans révélation. 1 Mais pourquoi ne croyez-vous pas aussi bien que c'est cette même foiblesse de vos lumières qui vous empeche de sentir le vice de ces beautés apparentes que vous admire:? Cette idée paroît absolument fausse; car la beauté de l'ordre qui régit l'univers est dans l'univers même. Ce que nous admirons, c'est que l'univers subsiste; car nous ne pouvons douter qu'il subsiste. Qu'il puisse subsister autrement, mieux si l'on veut, à la bonne heure ; il n'en est pas moins vrai qu'il subsiste. Je puis voir plus loin, mais il n'en est pas moins admirable que je voie. Je puis avoir un sens de plus, mes sens n'en sont pas moins une machine admirable. Ces résultats que je ne puis nier, sont ce que j'appelle les beautés de l'ordre de l'univers. Ces Sur l'économie de l'univers. Tout ce qui a l'être a un ordre, c'est-à-dire beautés ne peuvent donc être simplement apparentes, puisque une certaine manière d'exister qui lui est aussi essentielle que son être même pétrissez au hasard un morceau d'argile; en quelque état que vous le laissiez, cette argile aura des rap nous n'en jugeons que par les résultats de cet ordre. Cet ordre ne peut avoir de vices cachés, puisque ces vices le contrarieroient et empêcheroient les résultats que nous admirons. Au lieu que ce que nous prenons pour des défauts peut conduire à des résultats que nous ne connoissons pas; car on peut croire à ce qu'on ignore, et non pas nier ce que l'on connoit. S. théologien, non d'un philosophe. Or, c'est par | vérité. Ainsi la vraie religion n'est pas seulecet endroit qu'elle me touche, et je m'y soumets sans réserve. Mais je suis bien aise de faire connoître que c'est par la théologie et non par la vanité de la philosophie, qu'on peut prouver les dogmes de la religion. ment obligée de se démontrer, mais il faut encore qu'elle fasse voir qu'il n'y a de démonstration que de son côté. Aussi le fait-elle, et ce n'est pas sa faute si les théologiens, qui ne sont pas tous éclairés, ne choisissent pas bien leurs preuves. IMITATION DE PASCAL'. La religion chrétienne, disent tous les théologiens, est au-dessus de la raison; mais elle ne peut être contre la raison: car si une chose pouvoit être vraie et être néanmoins contraire à la raison, il n'y auroit aucun signe certain de tre aux mystères révélés qui la passent. Oui, répondent les libertins, les faits prouvés par la raison prouveroient la religion, même dans ce qui passe la raison; mais quelle dédans ce qui passe la raison; mais quelle démonstration peut-on avoir sur des faits, et principalement sur des faits merveilleux que l'esprit de parti peut avoir altérés ou supposés en tant de manières? Une seule démonstration, ajoutent-ils, doit prévaloir sur les plus fortes et les plus nombreuses apparences. Ainsi la plus grande probabilité de nos miracles ne contre-balanceroit pas une démonstration de la contradiction de nos mystères, supposé que l'on en eût une. vérité. donne des secours surnaturels. Les libertins disent qu'ils ne croient pas à ces secours; et la La vérité de la révélation est prouvée par les faits, continuent-ils: ce principe posé conformément à la raison, elle-même doit se soumet-preuve qu'ils donnent de leur fausseté, c'est qu'ils prétendent être aussi honnêtes gens que les vrais dévots, et qu'à leur avis un Socrate, un Trajan et un Marc-Aurèle valoient bien un David et un Moïse; mais ces raisons-là sont si foibles, qu'elles ne méritent pas qu'on les com batte. Illusions de l'impie. Il est donc question de savoir qui a pour soi la démonstration ou l'apparence. S'il n'y avoit que des apparences dans les deux partis, dès lors il n'y auroit plus de règle : car comment compter et peser toutes ces probabilités? S'il y avoit au contraire des démonstrations des deux côtés, on seroit dans la même peine, puisque alors la démonstration ne distingueroit plus la Du stoïcisme et du christianisme. Les stoïciens n'étoient pas prudents, car ils promettoient le bonheur dès cette vic, dont sères. Leur propre conscience devoit les accunous connoissons tous par expérience les miser et les convaincre d'imposture. Le titre Imitation de Pascal et la tournure de ces réflexions pourroient les faire regarder comme une critique de la manière de Pascal, qui rapporte quelquefois des objections contre la re ligion sans se mettre en peine de les détruire, comme dans cette réflexion : Les impies qui font profession de suivre la rai son, etc. He part., art. XVIII, des Pensées de B. Pascal ; et cette autre : Par les partis, etc. B. Ce qui distingue notre sainte religion de cette secte, c'est qu'en nous comme ses philosophes, des vertus surnaturelles, elle nous I. La religion chrétienne, qui est la dominante dans ce continent, y a rendu les Juifs odieux et les empêche de former des établissements. Ainsi les prophéties, dit l'insensé, s'accomplissent par la tyrannie de ceux qui les croient, et que leur religion oblige de les accomplir. H. Les Juifs, continue cet impie, ont été devant Jésus-Christ haïs et séparés de tous les peuples de la terre. Ils ont été dispersés et méprisés comme ils le sont. Cette dernière dispersion à la vérité est plus affreuse, car elle est plus longue, et elle n'est pas accompagnée des mêmes consolations; cependant, ajoute l'impie, leur état présent n'est pas assez différent de leurs calamités passées, pour leur paroître un motif indispensable de conversion. III. Toute notre religion, poursuit-il, est appuyée sur l'immortalité de l'ame, qui n'étoit pas un dogme de foi chez les Juifs. Comment donc a-t-on pu nous dire de deux religions différentes dans un objet capital, qu'elles ne composent qu'une seule et même doctrine? Quel est le sectaire ou l'idolâtre qui ne prouvera pas la perpétuité de sa foi, si une telle diversité dans un tel article ne la détruit pas? IV. On dit ordinairement : Si Moïse n'avoit pas desséché les eaux de la mer, auroit-il eu l'impudence de l'écrire à la face de tout un peuple qu'il prenoit à témoin de ce miracle? Voici la réponse de l'impie: Si ce peuple eût passé la mer au travers des eaux suspendues, s'il eût été nourri pendant quarante ans par un miracle continuel, auroit-il eu l'imbécillité d'adorer un veau à la face du Dieu qui se manifestoit par ces prodiges, et de son serviteur Moïse? J'ai honte de répéter de pareils raisonnements. Voilà cependant les plus fortes objections de l'impiété. Cette extrême foiblesse de leurs discours n'est-elle pas une preuve sensible de nos vérités? suivre la mort? Nous n'osons encore le nier. seriez-vous d'adopter ce qu'ont cru vos pères, Pourquoi donc, mes amis, continue-t-il, refu ce que vous ont annoncé successivement tant de grands hommes, la seule chose qui puisse nous consoler des maux de la vie et de l'amertume de la mort? Ces paroles prononcées avec véhémence nous étonnent, et nous nous disons les uns aux autres : Cet homme connoît bien le cœur humain; il nous a convaincus de toutes nos misères. Les a-t-il guéries? répond un philosophe; non, il ne l'a pu. Vous a-t-il donné des lumières, continue-t-il, sur les choses qu'il vous a convaincu de ne pas savoir? Aucune. Que vous a-t-il donc enseigné ? Il nous a promis, répondons-nous, après cette vie, un bonheur éternel et sans mélange, et la possession immuable de la vérité. Hé! messieurs, dit ce philosophe, ne tient-il qu'à promettre pour vous convaincre? Croyez-moi, usez de la vie, soyez sages et laborieux. Je vous promets aussi que, s'il y a quelque chose après la mort, vous ne vous repentirez point de m'avoir cru. Vanité des philosophes. Foibles hommes! s'écrie un orateur, osezvous vous fier encore aux prestiges de la raison qui vous a trompés tant de fois? Avezvous oublié ce qu'est la vie, et la mort qui va la finir? Ensuite il leur peint avec force la terrible incertitude de l'avenir, la fausseté ou la foiblesse des vertus humaines, la rapidité des plaisirs qui s'effacent comme des songes et s'enfuient avec la vie. Il profite du penchant que nous avons à craindre ce que nous ne connoissons pas, et à souhaiter quelque chose de meilleur que ce que nous connoissons. Il emploie les menaces et les promesses, l'espérance et la crainte, vrais ressorts de l'esprit humain, qui persuadent bien mieux que la raison. Il nous interroge nous-mêmes et nous dit : N'estil pas vrai que vous n'avez jamais été solidement heureux? Nous en convenons. N'est-il pas vrai que vous n'avez aucune certitude de ce qui doit Ainsi un sophiste orgueilleux voudroit que l'on se confiât à ses lumières autant qu'on se confie à l'autorité de tout un peuple et de plusieurs siècles; mais les hommes ne lui défèrent qu'autant que leurs passions le leur conseillent, et un clerc n'a qu'à se montrer dans une tribune pour les ramener à leur devoir, tant la vérité a de force. LETTRES.. A M. DE VOLTAIRE. Nancy, le 4 avril 1745. Il y a long-temps, monsieur, que j'ai une dispute ridicule, et que je ne veux finir que par votre autorité : c'est sur une matière qui vous est connue. Je n'ai pas besoin de vous prévenir par beaucoup de paroles. Je veux vous parler Les lettres suivantes pourront paroître curieuses, en ce qu'elles apprennent quelle auroit été, sans Voltaire, l'opinion de Vauvenargues sur Corneille. La première contient en partie les réflexions dont se compose le fragment intitulé: Corneille et Racine, et d'autres réflexions qu'il supprima sans doute d'après l'autorité de Voltaire. |