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rience, que je fais ce que je veux ; mais la même expérience m'enseigne que je ne veux que ce que mes sentiments ou mes pensées m'ont dicté. Nulle volonté dans les hommes qui ne doive sa direction à leurs tempéraments, à leurs raisonnements et à leurs sentiments actuels.

dance involontaire; nous suivons les lois éter- | également sensibles: car je sais, par expénelles en suivant nos propres desirs; mais nous les suivons sans contrainte, et voilà notre liberté. Subtilité, direz-vous; ce n'est point agir de soimême que d'agir par une impression et des lois étrangères. Mais vous raisonnez là sur un principe faux; l'impression et les lois de Dieu ne nous sont point étrangères: elles constituent notre essence, et nous n'existons qu'en elles. Ne dites-vous pas : Mon corps, ma vie, ma santé, mon ame? Pourquoi ne diriez-vous pas Ma volonté, mon action? Croyez-vous votre ame étrangère, parcequ'elle vient de Dieu et qu'elle n'existe qu'en lui? Votre volonté, votre action, sont des productions de votre ame; elles sont donc vôtres aussi.

Sur cela, l'on oppose encore l'exemple des malheureux qui se perdent dans le crime, contre toutes leurs lumières. La vérité luit sur eux, le vrai bien est devant leurs yeux; cependant ils s'en écartent; ils se creusent un abyme, ils s'y plongent sans frayeur ; ils préfèrent une joie courte à des peines infinies. Donc ce n'est ni leur connoissance ni le goût naturel de la félicité qui déterminent leur cœur ; donc c'est leur volonté seule qui les pousse à ces excès. Mais ce raisonnement est foible; les contradictions apparentes qui lui servent comme d'appui sont faciles à lever. Un libertin qui connoît le vrai bien, qui le veut et qui s'en écarte, n'y renonce nullement ; il se fonde sur sa jeu

il perd de vue son objet naturel; l'idée en est dans sa mémoire, mais il ne la rappelle pas; elle ne paroît qu'à demi; elle est éclipsée dans la foule; des sentiments plus vifs l'écartent, la dérobent, l'exténuent; ces sentiments impérieux remplissent la capacité de son esprit corrompu. Prenez cependant le même homme au milieu de ses plaisirs; présentez-lui la mort prête à le saisir ; qu'il n'ait plus qu'un seul jour à vivre; que le feu vengeur des crimes s'allume à ses yeux impurs et brûle tout autour de lui; s'il lui reste un rayon de foi, s'il espère encore en Dieu, si la peur n'a pas troublé son ame lâche et coupable, croyez-vous qu'il hésite alors à fléchir son juge irrité, et à se couvrir de poussière devant la majesté de Dieu qui va le juger?

Mais, en ce cas-là, direz-vous, la liberté n'est qu'un nom, les hommes se croyoient libres en suivant leur volonté : c'étoit une erreur manifeste. Vous vous égarez encore les hommes ont eu raison de distinguer deux états extrêmement opposés; ils ont nommé liberté la puissance d'agir par les lois de leur être, et néces-nesse, sur la bonté divine ou sur la pénitence; sité la violence que souffrent ces mêmes lois. C'est toujours Dieu qui agit dans toutes ces circonstances; mais quand il nous meut malgré nous, cela s'appelle contrainte; et quand il nous conduit par nos propres desirs, cela se nomme liberté. Il falloit bien deux noms divers pour désigner deux actions différentes; car, encore que le principe soit le même, le sentiment ne l'est pas. Mais, au fond, aucun homme sage n'a jamais pu ni dù étendre ce terme de liberté jusques à l'indépendance: cela choque trop la raison, l'expérience et la piété. Ce qui fait pourtant illusion aux partisans du libre arbitre, c'est le sentiment intérieur qu'ils en trouvent dans leur conscience: car ce sentiment n'est pas faux. Que ce soit notre raison ou nos passions qui nous meuvent, c'est nous qui nous déterminons; il y auroit de la folie à distinguer ses pensées ou ses sentiments de soi. Je puis me mettre au régime pour rétablir ma santé, pour mortifier mes sens ou pour quelque autre motif: c'est toujours moi qui agis, je ne fais que ce que je veux; je suis donc libre, je le sens, et mon sentiment est fidèle. Mais cela n'empêche pas que mes volontés ne tiennent aux idées qui les précèdent; leur chaîne et leur liberté sont

Tout ce qu'on peut dire à cela, c'est que le bien le plus grand ne nous remue pas toujours, mais celui qui se fait sentir avec plus de vivacité. L'illusion est de confondre des souvenirs languissants avec des idées très vives, ou des notions qui reposent dans le sein de la mémoire avec des idées présentes et des sentiments actuels. Il est certain cependant que des idées absentes ou des idées affoiblies ne peuvent guère plus sur nous que celles qu'on n'a jamais cues.

Ce sont donc nos idées actuelles qui font | guit. Voilà une résolution prise sur sa langueur naître le sentiment, le sentiment la volonté, et présente et le souvenir du passé. Remarquez la volonté l'action. Nous avons très souvent des que sa volonté ne se forme pas d'elle-même ; idées fort contraires et des sentiments opposés. cela est essentiel. Cette volonté néanmoins ne Tout est présent à l'esprit, tout s'y peint pres- doit pas trop nous arrêter. Tout est vicieux au que à-la-fois; du moins les objets s'y succèdent sein du vice; la sagesse d'un homme foible est avec beaucoup de vitesse et forment des desirs aussi fragile que lui; l'occasion en est le tomen foule ces desirs sont combattus; nul n'est beau. Voici donc déja l'habitude qui combat les proprement volonté, car la volonté décide; c'est sages conseils. L'habitude est toujours puisincertitude, anxiété. Mais les idées les plus sante, même sur un corps languissant. Pour sensibles, les plus entières, les plus vives, l'em- peu que les esprits soient mus, leurs profondes portent enfin sur les autres; le desir qui prend traces se rouvrent et leur donnent un cours plus le dessus change en même temps de nom et facile. Près de l'objet de son amour, l'homme détermine notre action. que je viens de vous peindre éprouve ce fatal pouvoir; son sang circule avec vitesse, sa foiblesse même s'anime, ses craintes et ses réflexions disparoissent comme des ombres. Pourroit-il songer à la mort lorsqu'il sent renaître sa vie, et prévoir la douleur lorsqu'il est enivré de plaisir? Sa force et son feu se rallument. Ce n'est pas qu'il ait oublié sa première résolution; peut-être est-elle encore présente. Mais, comme un souvenir fàcheux qui chancelle et s'évanouit, des desirs plus doux la combattent; l'objet de ses terreurs est loin, le plaisir est proche et certain; il y touche en mille manières par les sens ou par la pensée; le parfum d'une fleur que l'on vient de cueillir ne pénètre pas aussi vite que les impressions du plaisir; le goût des mets les plus rares n'entre pas si avant dans un homme affamé, ni celui d'un vin délicieux dans la pensée d'un ivrogne. Cependant l'expérience mêle encore quelque inquiétude à ces sentiments flatteurs; de secrets retours les balancent; des volontés commencées tombent et meurent aussitôt; la proximité du plaisir et la prévoyance des peines opposent entre eux ces desirs, les éteignent et les raniment : faites attention à cela. Mais enfin qu'est-ce que la vie, lorsqu'elle est abymée dans la vue de la mort, dans une tristesse sauvage, sans plaisir et sans liberté? Quelle folie de quitter le présent pour l'avenir, le certain pour l'incertain! Les voluptés les plus molles trouvent leur contre-poison; le régime, les remèdes, réparent bientôt les forces. Ce n'est point un mal sans ressource que de céder à l'occasion. Une seule foiblesse est-elle sans retour? Dorénavant l'on peut fuir le danger; mais on a tant fait de chemin... Là

Les philosophes nous assurent que le bien et le mal sont les deux grands principes de toutes les actions humaines. Le bien produit l'amour, le desir et la joie; le mal est suivi de tristesse, de crainte, de haine, d'horreur. Les idées de l'un et de l'autre en font naître le sentiment. Quelques uns pensent que le mal agit plus sur nous; que le bien ne nous détermine point d'une manière immédiate, mais par l'inquiétude ou malaise qui fait le fond des desirs. Tout cela n'est pas essentiel ; que ce soit par ce malaise qu'un bien imparfait laisse en nous, que le cœur se détermine, ou que le bien et le mal nous meuvent également d'une manière immédiate, il demeure inébranlable, dans l'une et l'autre hypothèse, que nos passions et nos idées actuelles sont le principe universel de toutes nos volontés. Je crois l'avoir démontré d'une manière évidente; mais comme les exemples sont bien plus palpables que les meilleures raisons, je veux en donner encore un. Vous y pourrez suivre à loisir tous les mouvements de l'esprit.

Représentez-vous donc un homme d'une santé languissante et d'un esprit corrompu; placez-le auprès d'une femme aussi corrompue que lui: l'indécence de cet exemple doit le rendre encore plus sensible; d'ailleurs il a ses modèles dans toutes les conditions. J'unis par les nouds les plus forts, des cœurs unis par leurs penchants. Mais je suppose que cet homme est exténué de débauches; ses làches habitudes ont détruit sa santé : cependant il n'est pas auprès de sa maîtresse pour les renouveler toujours; il n'est venu que pour la voir; sa pensée n'ose aller plus loin, parcequ'il souffre et qu'il lan

dessus vient un regard qui donne d'autres pensées; la crainte et la raison se cachent, le charme présent les dissipe, et la volonté dominante se consomme dans le plaisir.

Mais si cet homme, direz-vous, vouloit retenir ses idées, sa première résolution ne s'effaceroit pas ainsi. S'il le vouloit bien, d'accord; mais je l'ai déja dit, et je le répète encore, cet homme ne peut le vouloir, que ses réflexions n'aient la force de créer cette volonté. Or, ses sensations plus puissantes exténuent ses réflexions, et ses réflexions exténuées produisent des desirs si foibles, qu'ils cèdent sans résistance à l'impression des sens.

Sentez donc dans ces exemples la vérité des principes que j'ai établis, faites-en l'application. Le voluptueux de sang-froid connoît et veut son vrai bien, qui est la vie et la santé ; près de l'objet de sa passion, il en perd le goût et l'idée; conséquemment il s'en éloigne, il court après un bien trompeur. Lorsque la raison s'offre à lui, son affection se tourne vers elle; lorsqu'elle fait place au mensonge, ou que, captivée par l'objet présent, son affection change aussi, sa volonté suit ses idées ou ses sentiments actuels: rien n'est si simple que cela.

La raison et les passions, les vices et la vertu dominent ainsi tour-à-tour selon leur degré de force et selon nos habitudes; selon notre tempérament, nos principes, nos mœurs; selon les occasions, les pensées, les objets, qui sont sous les yeux de l'esprit. Jésus-Christ a marqué cette disposition et cette foiblesse des hommes en leur apprenant la prière. Craignez, dit-il, les tentations; priez Dieu qu'il vous en éloigne, et qu'il vous détourne du mal. Mais les hommes, peu capables de replier leur esprit, prennent ce pouvoir qui est en eux d'être mus indifféremment vers toute sorte d'objets par leur volonté toute seule, pour une indépendance totale. Il est bien vrai que leur cœur est maniable en tout sens; mais leurs desirs orgueilleux dependent de leurs pensées, et leurs pensées, de Dieu seul. C'est donc dans cette puissance de nous mouvoir de nous-mêmes, selon les lois de notre être, que consiste la liberté : cependant ces lois dépendent des lois de la création, car elles sont éternelles, et Dieu seul peut les changer par les effets de sa grace.

Vous pourrez, si vous le voulez, user d'une distinction, n'appeler point liberté les mouvements des passions nés d'une action étrangère, quoiqu'elle soit invisible; vous ne donnerez ce nom qu'aux seules dispositions qui soumettent nos démarches aux règles de la raison : toutefois ne sortez point d'un principe irrefutable; reconnoissez toujours que la même raison, la sagesse et la vertu ne sont que des dépendances du principe de notre être, ou des impulsions nouvelles de Dieu qui donne la vie et le mouvement à tout.

Mais, afin de retenir ces vérités importantes, permettez que je les place sous le même point de vue. Nous avons mis d'abord toute la liberté à pouvoir agir de nous-mêmes et de notre propre gré; nous avons reconnu cette puissance en nous, quoiqu'elle y soit limitée par les objets extérieurs; nous n'admettons point cependant de volontés indépendantes des lois de la création, parceque cela seroit impie et contraire à l'expérience, à la raison, à la foi. Mais cette dépendance nécessaire ne détruit point la liberté; elle nous est même extrêmement utile. Que seroit-ce qu'une volonté sans guide, sans règle, sans cause? Il est heureux pour nous qu'elle soit dirigée ou par nos sentiments ou par notre raison; car nos sentiments, nos idées, ne diffèrent point de nous-mêmes, et nous sommes vraiment libres, lorsque les objets extérieurs ne nous meuvent point malgré nous.

La volonté rappelle ou suspend nos idées; nos idées forment ou varient les lois de la volonté; les lois de la volonte sont par-là des dépendances des lois de la création : mais les lois de la création ne nous sont point étrangères ; elles constituent notre être, elles forment notre essence, elles sont entièrement nôtres, et nous pouvons dire hardiment que nous agissons par nous-mêmes, quand nous n'agissons que par elles.

La violence que nos desirs souffrent des objets du dehors est entièrement distincte de la nécessité de nos actions. Une action involontaire n'est point libre; mais une action nécessaire peut être volontaire, et libre par conséquent. Ainsi la nécessité n'exclut point la liberté; la religion les admet l'une et l'autre la foi, la raison, l'expérience, s'accordent à cette opinion:

c'est par elle que l'on concilie l'Écriture avec | seul assouvir ses desirs dans la possession de elle-même et avec nos propres lumières : qui lui-même. pourroit la rejeter?

Connoissons donc ici notre sujétion profonde. Que l'erreur, la superstition, se fondent à la lumière présente à nos yeux; que leurs ombres soient dissipées, qu'elles tombent, qu'elles s'effacent aux rayons de la vérité, comme des fantômes trompeurs. Adorons la hauteur de Dieu, qui règne dans tous les esprits comme il règne sur tous les corps; déchirons le voile funeste qui cache à nos foibles regards la chaîne éternelle du monde et la gloire du Créateur. Quel spectacle admirable que ce concert éternel de tant d'ouvrages immenses, et tous assujettis à des lois immuables! O majesté invisible! votre puissance infinie les a tirés du néant, et l'uni- | vers entier dans vos mains formidables est comme un fragile roseau. L'orgueil indocile de l'homme oseroit-il murmurer de sa subordination? Dieu seul pouvoit être parfait; il falloit donc qu'il soumît l'homme à cet ordre inévitable, comme les autres créatures: en sorte que l'homme pût leur communiquer son action et recevoir aussi la leur. Ainsi les objets extérieurs forment des idées dans l'esprit, ces idées des sentiments, ces sentiments des volontés, ces volontés des actions en nous et hors de nous. Une dépendance si noble dans toutes les parties de ce vaste univers doit conduire nos réflexions à l'unité de son principe; cette subordination fait la solide grandeur des êtres subordonnés. L'excellence de l'homme est dans sa dépendance; sa sujétion nous étale deux images merveilleuses, la puissance infinie de Dieu et la dignité de notre ame: la puissance de Dieu, qui comprend toutes choses, et la dignité de notre ame, émanée d'un si grand principe, vivante, agissante en lui, et participante ainsi de l'infinité de son être par une si belle union. L'homme indépendant seroit un objet de mépris; toute gloire, toute ressource, cessent aussitôt pour lui; la foiblesse et la misère sont son unique partage; le sentiment de son imperfection fait son supplice éternel: mais le même sentiment, quand on admet sa dépendance, fait sa plus douce espérance; il lui découvre d'abord le néant des biens finis, et le ramène à son principe, qui veut le rejoindre à lui, et qui peut

Cependant, comme nos esprits se font sans cesse illusion, la main qui forma l'univers est toujours étendue sur l'homme: Dieu détourne loin de nous les impressions passagères de l'exemple et du plaisir; sa grace victorieuse sauve ses élus sans combat, et Dieu met dans tous les hommes des sentiments très capables de les ramener au bien et à la vérité, si des habitudes plus fortes ou des sensations plus vives ne les retenoient dans l'erreur. Mais comme il est ordinaire qu'une grace suffisante pour les ames modérées cède à l'impétuosité d'un génie vif et sensible, nous devons attendre en tremblant les secrets jugements de Dieu, courber notre esprit sous la foi, et nous écrier avec saint Paul: O profondeur éternelle, qui peut sonder tes abymes! qui peut expliquer pourquoi le péché du premier homme s'est étendu sur sa race! pourquoi des peuples entiers qui n'ont point connu la vie sont réservés à la mort! pourquoi tous les humains, pouvant être sauvés, sont tous exposés à périr!

RÉPONSE

A QUELQUES OBJECTIONS.

Je ne détruis en aucune manière la nécessité des bonnes œuvres, en établissant la nécessité de nos actions. Il est vrai qu'on peut inférer de mes principes, que ces mêmes œuvres sont en nous des graces de Dieu; qu'elles ne reçoivent leur prix que de la mort du Sauveur, et que Dieu couronne dans les justes ses propres bienfaits. Mais cette conséquence est conforme à la foi, et si conforme, qu'une autre doctrine lui seroit tout-à-fait contraire, et ne pourroit pas s'expliquer. Ne me demandez donc pas pourquoi la nécessité des bonnes œuvres, dès que leur mérite ne vient pas à nous? car ce n'est pas à moi à vous répondre là-dessus ; c'est à l'Église. On vous demanderoit aussi pourquoi la mort de Jésus-Christ! Dieu ne pouvoit-il pas faire qu'Adam ne péchât jamais? Ne pouvoit-il racheter son péché par le sang de son fils? Sans doute

un Dieu tout-puissant pouvoit changer tout cela; il pouvoit créer les hommes aussi heureux que les anges, il pouvoit les faire naître sans péché: de même il pouvoit nous sauver et nous condamner sans les œuvres. Qui doute de ces vérités? Cependant il ne le veut pas, et cette raison doit suffire, parcequ'il n'y a rien qui répugne à l'idée d'un être parfait dans une pareille doctrine, et que n'ayant point de prétexte pour la rejeter, nous avons l'autorité de l'Église pour l'accepter : ce qui fait pencher la balance et décide la question.

Mais, poursuivez-vous, si c'est Dieu qui est l'auteur de nos bonnes œuvres, et que tout soit en nous par lui, il est aussi l'auteur du mal, et conséquemment vicieux: blasphème qui fait horreur. Or, je vous demande à mon tour, qu'entendez-vous par le mal? Je sais bien que les vices sont en nous quelque chose de mauvais, parcequ'ils entraînent toutes sortes de désordres et la ruine des sociétés. Mais les maladies ne sont-elles pas mauvaises, les pestes, les inondations? Cependant cela vient de Dieu, et c'est lui qui fait les monstres et les plus nuisibles animaux; c'est lui qui crée en nous un esprit si fini et un cœur si dépravé, que, s'il a mis dans notre esprit le principe des erreurs, et dans notre cœur le principe des vices, comme on ne peut le nier, pourquoi répugneroit-il de le faire auteur de nos fautes et de toutes nos actions? Nos actions ne tirent leur être, leur mérite ou leur démérite, que du principe qui les a produites; or, si nous reconnoissons que Dieu a fait le principe qui est mauvais, pourquoi refuser de croire qu'il est l'auteur des actions qui n'en sont que les effets? N'y a-t-il pas contradiction dans ce bizarre refus?

Il ne sert de rien de répondre que Dieu met en nous la raison pour contenir ce principe vicieux, et que nous nous perdons par le mauvais usage que nous faisons de notre volonté. Notre volonté n'est corrompue que par ce mauvais principe, et ce mauvais principe vient de Dieu : car il est manifeste que le Créateur a donné aux créatures leur degré d'imperfection. Il n'eût pu les former parfaites, vu qu'il ne peut y avoir qu'un seul être parfait ainsi elles sont imparfaites, et, comme imparfaites, vicieuses; car le vice n'est autre chose qu'une sorte d'im

perfection. Mais de ce que la créature est imparfaite, doit-on tirer que Dieu l'est? et de ce que la créature imparfaite est vicieuse, peut-on conclure que le Créateur est vicieux?

Au moins seroit-il injuste, direz-vous, de punir dans les créatures une imperfection nécessaire. Oui, selon l'idée que vous avez de la justice; mais ne répugne-t-il pas à cette même idée, que Dieu punisse le péché d'Adam jusque dans sa postérité, et qu'il impute aux nations idolatres l'infraction des lois qu'ils ignorent 1? Que répondez-vous cependant, lorsqu'on vous oppose cela? Vous dites que la justice de Dieu n'est point semblable à la nôtre; qu'elle n'est point dépendante de nos foibles préjugés ; qu'elle est au-dessus de notre raison et de notre esprit. Eh! qui m'empêche de répondre la même chose: il n'y a pas de suite dans votre créance, ou du moins dans vos discours; ear, lorsqu'on vous presse un peu sur le péché originel et sur le reste, vous dites qu'on n'a pas d'idée de la justice de Dieu; et lorsque vous me combattez, vous voulez qu'on y en attache une qui condamne mes sentiments, et alors vous n'hésitez point à rendre la justice divine semblable à la justice humaine? Ainsi vous changez les définitions des choses selon vos besoins. Je suis de meilleure foi, je dis librement ma pensée : je crois que Dieu peut à son gré disposer de ses créatures, ou pour un supplice éternel, ou pour un bonheur infini, parcequ'il est le maître et qu'il ne nous doit rien. Je n'ai sur cela qu'un langage, vous ne m'en verrez pas changer. Je ne pense donc pas que la justice humaine soit essentielle au Créateur: elle nous est indispensable, parcequ'elle est des lois de Dieu la plus vive et la plus expresse; mais l'auteur de cette loi ne dépend que de lui seul, n'a que sa volonté pour règle, son bonheur pour unique fin. Il est vrai qu'il n'y a rien au monde de meilleur que la justice, que l'équité, que la vertu ; mais ce qu'il y a de plus grand dans les hommes est tellement imparfait, qu'il ne sauroit convenir à celui qui est parfait ; c'est même une superstition que de donner nos vertus à Dieu : cependant il est juste en un sens, il l'a dit, nous devons le croire. Or voici quelle est sa justice : il

Il semble qu'il faut qu'elles ignorent. B.

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