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porter les misères de leur fortune s'ils savoient borner leurs desirs, les pousse à des extrémités qui passent toutes leurs ressources, et les fait errer hors d'eux-mêmes loin des bornes de la raison. Ils se perdent dans leurs chimères; et pendant qu'ils y sont plongés, et pour ainsi dire abymés, la vieillesse, comme un sommeil dont on ne peut pas se défendre vers la fin d'un jour laborieux, les accable et les précipite dans la longue nuit du tombeau.

Formez donc vos projets, hommes ambitieux, lorsque vous le pouvez encore; hâtez-vous, achevez vos songes; poussez vos superbes chimères au période des choses humaines. Élevés par cette illusion au dernier degré de la gloire, vous vous convaincrez par vous-mêmes de la vanité des fortunes à peine vous aurez atteint, sur les ailes de la pensée, le faîte de l'élévation, vous vous sentirez abattus, votre joie mourra, la tristesse corrompra vos magnificences, et jusque dans cette possession imaginaire des faveurs du monde, vous en connoîtrez l'imposture. O mortels! l'espérance enivre; mais la possession sans espérance, même chimérique, traîne le dégoût après elle : au comble des grandeurs du monde, c'est là qu'on en sent le néant.

des erreurs de l'esprit qui l'humilient sans fin, des difformités corporelles qu'on ne peut ni cacher ni guérir, enfin des foiblesses de l'ame, qui sont de tous les maux le plus insupportable et le plus irremediable. Hélas! que vous êtes heureuses, ames simples, ames dociles! vous marchez dans les sentiers sûrs. Auguste religion! douce et noble créance, comment peuton vivre sans vous? Et n'est-il pas bien manifeste qu'il manque quelque chose aux hommes, lorsque leur orgueil vous rejette? les astres, la terre, les cieux, suivent, dans un ordre immuable, l'éternelle loi de leur être : toute la nature est conduite par une sagesse éclatante, l'homme seul flotte au gré de ses incertitudes et de ses passions tyranniques, plus troublé qu'éclairé de sa foible raison. Misérablement délaissé, conçoit-on qu'un être si noble soit le seul privé de la règle qui règne dans tout l'univers? ou plutôt n'est-il pas sensible que, n'en trouvant point de solide hors de la religion chrétienne, c'est celle qui lui fut tracée avant la naissance des cieux? Qu'oppose l'impie à la foi d'une autorité si sacrée? Pense-t-il qu'élevé par-dessus tous les ètres, son génie est indépendant? Et qui nourriroit dans ton cœur un si ridicule mensonge, être infirme! Tant de degrés de puissance, d'intelligence, que tu sens au-delà de toi, ne te font-ils pas soupçonner une souveraine raison? Tu vis, foible avorton de l'être; tu vis, et tu t'oses assurer que l'Étre parfait ne soit pas. Misérable, lève les yeux, regarde ces globes de feu qu'une force inconnue condense. Écoute, tout nous porte à croire que des êtres si merveilleux n'ont pas le secret de leur cours; ils ne sentent pas leur grandeur ni leur éternelle beauté; ils sont comme s'ils n'étoient pas. Parle donc; qui jouit de ces ètres aveugles qui ne peuvent jouir d'eux-mêmes? Qui met un accord si parfait entre tant de corps si divers, si puissants, si impétueux? D'où naît leur concert éternel? D'un mouvement simple, incréé... Je t'entends; mais ce mouvement qui opère ces grandes merveilles, les sait-il, ne les sait-il pas? Tu sais que tu vis; nul insecte n'ignore sa pro

Seigneur, ceux qui espèrent en vous s'élèvent sans peine au-dessus de ces réflexions accablantes. Lorsque le cœur, pressé sous le poids des affaires, commence à sentir la tristesse, ils se réfugient dans vos bras ; et là, oubliant leurs douleurs, ils puisent le courage et la paix à leur source. Vous les échauffez sous vos ailes et dans votre sein paternel; vous faites briller à leurs yeux le flambeau sacré de la foi; l'envie n'entre pas dans leur cœur ; l'ambition ne le trouble point; l'injustice et la calomnie ne peuvent pas même l'aigrir. Les approbations, les caresses, les secours impuissants des hommes, leurs refus, leurs dédains, leurs infidélités, ne les touchent que foiblement; ils n'en exigent rien; ils n'en attendent rien; ils n'ont pas mis en eux leur dernière ressource: la foi seule est leur saint asile, leur inébranlable soutien. Elle les console de la maladie qui accable les plus fortes ames, de l'obscurité qui confond l'orgueil despre existence, et le seul principe de l'être, l'ame esprits ambitieux, de la vieillesse qui renverse sans ressource les projets et les vœux outrés, de la perte du temps qu'on croit irréparable,

de l'univers.... ô prodige! ô blasphême! l'ame de l'univers.... O puissance invisible! pouvezvous souffrir cet outrage! Vous parlez, les as

les

tres s'ébranlent, l'être sort du néant, les tom- | des cieux a changé. A ces mots, les mers, beaux sont féconds; et l'impie vous défie avec montagnes, les forêts, les tombeaux frémisimpunité; il vous brave; il vous nie. O parole sent, la nuit parle, les vents s'appellent. execrable! il vous brave, il respire encore, et il croit triompher de vous. O Dieu! détournez loin de moi les effets de votre vengeance. O Christ! prenez-moi sous votre aile. Esprit saint, soutenez ma foi jusqu'à mon dernier soupir.

PRIÈRE.

O Dieu! qu'ai-je fait? Quelle offense arme votre bras contre moi? Quelle malheureuse foiblesse m'attire votre indignation? Vous versez dans mon cœur malade le fiel et l'ennui qui le rongent; vous séchez l'espérance au fond de ma pensée; vous noyez ma vie d'amertume; les plaisirs, la santé, la jeunesse, m'échappent; la gloire, qui flatte de loin les songes d'une ame ambitieuse, vous me ravissez tout....

Être juste, je vous cherchai sitôt que je pus vous connoître ; je vous consacrai mes hommages et mes vœux innocents dès ma plus tendre enfance, et j'aimois vos saintes rigueurs. Pourquoi m'avez-vous délaissé? Pourquoi, lorsque l'orgueil, l'ambition, les plaisirs, m'ont tendu leurs piéges infidèles?... C'étoit sous leurs traits que mon cœur ne pouvoit se passer d'appui.

J'ai laissé tomber un regard sur les dons enchanteurs du monde, et soudain vous m'avez quitté ; et les ennuis, les soucis, les remords, les douleurs, ont en foule inondé ma vie.

Dieu vivant! ainsi vos vengeances se déclarent et s'accomplissent; ainsi vous sortez du silence et des ombres qui vous couvroient. O Christ! votre règne est venu. Père, Fils, Esprit éternel, l'univers aveuglé ne pouvoit vous comprendre. L'univers n'est plus; mais vous êtes, vous jugez les peuples. Le foible, le fort, l'innocent, l'incrédule, le sacrilége, sont tous devant vous. Quel spectacle ! je me tais; mon ame se trouble et s'égare en son propre fonds. Trinité formidable au crime, recevez mes humbles hommages'.

TRAITÉ

SUR LE LIBRE ARBITRE.

AVIS DE L'ÉDITEUR DE 1806.

Les morceaux suivants n'ont jamais été imprimés. Le Traité sur le libre arbitre et la Réponse à quelques objections offrent une si grande conformité pour le fonds des idées avec les deux

morceaux qui suivent immédiatement sous le titre de la Liberté et de Réponse aux conséquences de la nécessité, qu'on ne peut guère s'empêcher d'y voir une même suite de réflexions, sou

mises seulement à un second travail et refondues dans une autre forme. On ne sait quel a été le premier jet; on observera

seulement que les deux morceaux placés les premiers semblent participer moins que les deux autres de cette manière libre, animée, intéressante, qui paroît naturelle à Vauvenargues. Les morceaux qui suivent, quoique bien certainement

de lui, semblent s'éloigner encore davantage du caractère général de ses écrits. On y retrouve si peu de cette philosophie con

avoir été le trait distinctif de son caractère, qu'on seroit tenté de les prendre quelquefois pour des essais de raisonnement et

des objections qu'il se faisoit à lui-même. Mais tout ce qui re

garde un homme tel que Vauvenargues a le droit d'intéresser la curiosité; et ce monument de ses opinions, quelque trompeur

O mon ame! montre-toi forte dans ces rigou- solante et douce qui fait le charme de ses ouvrages, et qui paroit reuses épreuves, sois patiente, espère à ton Dieu; tes maux finiront; rien n'est stable; la terre elle-même et les cieux s'évanouiront comme un songe. Tu vois ces nations et ces trônes qui tiennent la terre asservie : tout cela périra. Écoute, le jour du Seigneur n'est pas loin, il viendra; l'univers surpris sentira les ressorts de son être épuisés, et ses fondements ébranlés: l'aurore de l'éternité luira dans le fond des tombeaux, et la mort n'aura plus d'asiles.

O révolution effroyable! L'homicide et l'incestueux jouissoient en paix de leurs crimes, et dormoient sur des lits de fleurs; cette voix a frappé les airs; le soleil a fait sa carrière, la face

On a dit, et il passe même pour constant parmi les personnes

qui ont le plus connu Vauvenargues, que la prière précédente étoit le résultat d'une espèce de défi fait à l'auteur, d'écrire tout un morceau de prose en vers blancs de manière à ce qu'on ne s'en aperçût pas, à moins d'ètre averti : c'est ce qu'il a fait dans cette prière. Pour peu qu'on y fasse attention, on la trouvera entiè rement composée de vers ayant tous le nombre de pieds qu'il faut pour composer un vers françois, et remplissant presque toutes les conditions nécessaires des vers, excepté la rime. Au

reste, quoi qu'on puisse penser de cette anecdote, il faut remarquer que, partout où Vauvenargues a pris un ton élevé, il a adopté la même manière; et l'éloge du jeune de Seytres, en par

ticulier, est presque entièrement dans ce genre. S.

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Il y a deux puissances dans les hommes, l'une active et l'autre passive: la puissance active est la faculté de se mouvoir soi-même; la puissance passive est la capacité d'être mù.

On donne le nom de liberté à la puissance active; ce pouvoir qui est en nous d'agir, ou de n'agir pas et d'agir du sens qui nous plaît, est ce que l'on est convenu d'appeler libre arbitre. Ce libre arbitre est en Dieu, sans bornes et sans restriction; car qui pourroit arrêter l'action d'un Dieu tout-puissant? Il est aussi dans les hommes, ce libre arbitre : Dieu leur a donné d'agir au gré de leurs volontés; mais les objets extérieurs nous contraignent quelquefois, et notre liberté cède à leurs impressions.

Un homme aux fers a sans fruit la force de se mouvoir, son action est arrêtée par un ordre supérieur, la liberté meurt sous ses chaînes; un misérable à la torture retient encore moins de puissance : le premier n'est contraint que dans l'action du corps, celui-ci ne peut pas même varier ses sentiments; le corps et l'esprit sont gênés dans un degré presque égal; et sans chercher des exemples si loin de notre sujet, les odeurs, les sons, les saveurs, tous les objets des sens et tous ceux des passions nous affectent malgré nous; personne n'en disconviendra. Notre ame a donc été formée avec la puissance d'agir; mais il n'est pas toujours en elle de conduire son action: cela ne peut se mettre en doute.

Les hommes ne sont pas assez aveuglés pour ne pas apercevoir une si vive lumière, et pourvu qu'on leur accorde qu'ils sont libres en d'autres occasions, ils sont contents.

Or, il est impossible de leur refuser ce dernier point il y auroit de la mauvaise foi à le nier; cependant ils se trompent dans les conséquences qu'ils en tirent: car ils regardent cette volonté qui conduit leurs actions comme le premier principe de tout ce qui est en eux, et comme un principe indépendant; sentiment qui est faux de tout point: car la volonté n'est qu'un desir qui n'est point combattu, qui a son objet

en sa puissance, ou qui du moins croit l'avoir; et même, en supposant que ce n'est pas cela, on n'évite pas de tomber dans une extrême absurdité. Suivez bien mon raisonnement: je demande à ceux qui regardent cette volonté souveraine comme le principe suprême de tout ce qu'ils trouvent en eux, s'il est vrai que la volonté soit en nous le premier principe, tout ne doit-il pas dériver de ce fonds et de cette cause? Cependant combien de pensées qui ne sont pas volontaires! combien même de volontés opposées les unes aux autres! quel chaos! quelle confusion! Je sais bien que l'on me dira que la volonté n'est la cause que de nos actions volontaires, et que c'est seulement alors qu'elle est principe indépendant. C'est déja m'accorder beaucoup; mais ce n'est pas encore assez, et je nie que la volonté soit jamais le premier principe, c'est au contraire le dernier ressort de l'ame, c'est l'aiguille qui marque les heures sur une pendule et qui la pousse à sonner. Je conviens qu'elle détermine nos actions; mais elle est elle-même déterminée par des ressorts plus profonds, et ces ressorts sont nos idées ou nos sentiments actuels; car, encore que la volonté réveille nos pensées, et assez souvent nos actions, il ne peut s'ensuivre de là qu'elle en soit le premier principe: c'est précisément le contraire, et l'on n'a point de volonté qui ne soit un effet de quelque passion ou de quelque réflexion.

Un homme sage est mis à une rude épreuve: l'appât d'un plaisir trompeur met sa raison en péril; mais une volonté plus forte le tire de ce mauvais pas vous croyez que sa volonté rend sa raison victorieuse? Si vous y pensez tant soit peu, vous découvrirez au contraire que c'est sa raison toute seule qui fait varier sa volonté; cette volonté, combattue par une impression dangereuse, auroit péri sans ce secours. Il est vrai qu'elle vainc un sentiment actuel, mais c'est par des idées actuelles, c'est-à-dire par sa raison.

Le même homme succombe en une autre oc casion; il sent irrésistiblement que c'est parcequ'il le veut qu'est-ce donc qui le fait agir? Sans doute c'est sa volonté; mais sa volonté sans règle s'est-elle formée de soi? n'est-ce pas un sentiment qui l'a mise dans son cœur? Ren

trez au-dedans de vous-mêmes; je veux m'en rapporter à vous n'est-il pas manifeste que dans le premier exemple ce sont des idées actuelles qui surmontent un sentiment, et que dans celuici le sentiment prévaut, parcequ'il se trouve plus vif, ou que les idées sont plus foibles? Mais il ne tiendroit qu'à ce sage de fortifier ses idées, il n'auroit qu'à le vouloir. Oui, le vouloir fortement; mais, afin qu'il le veuille ainsi, ne faudroit-il pas jeter d'autres pensées dans son ame, qui l'engagent à vouloir? Vous n'en disconviendrez pas, si vous vous consultez bien. Convenez donc avec moi que nous agissons souvent selon ce que nous voulons, mais que nous ne voulons jamais que selon ce que nous sentons ou selon ce que nous pensons : nulle volonté sans idées ou sans passions qui la précèdent.

Un homme tire sa bourse, me demande pair ou non je lui réponds l'un ou l'autre. N'est-ce pas ma volonté seule qui détermine ma voix ? Y a-t-il quelque jugement ou quelque passion qui devance? L'on ne voit pas plus de raison à croire que c'est pair qu'impair : donc ma volonté naît de soi, donc rien ne la détermine. Erreur grossière : ma volonté pousse ma voix; le pair et l'impair sont possibles : l'un est aussi caché que l'autre; aucun n'est donc plus apparent. Mais il faut dire pair ou non; et le desir du gain m'échauffe; les idées de pair et d'impair se succèdent avec vitesse, mèlées de crainte et de joie; l'idée du pair se présente avec un rayon d'espérance. La réflexion est inutile, il faut que je me détermine, c'est une nécessité; et sur cela je dis pair, parceque pair en ce moment se présente à mon esprit.

Cherchez-vous un autre exemple? Levez vos bras vers le ciel : c'est autant que vous le voudrez que cela s'exécutera; mais vous ne le voudrez que pour faire un essai du pouvoir de la volonté, ou par quelque autre motif; sans cela, je vous assure que vous ne le voudrez pas. Je prends tous les hommes à témoin de ce que je dis là ; j'en appelle à leur expérience. J'exposerai des raisons pour prouver mon sentiment et le rendre inébranlable par un accord merveilleux; mais je crois que ces exemples répandront un jour sensible sur ce qui me reste à dire: ils aplaniront notre voie.

Soyez cependant persuadé que ce qui dérobe à l'esprit le mobile de ses actions, n'est que leur vitesse infinie. Nos pensées meurent au moment que leurs effets se font connoître. Lorsque l'action commence, le principe est évanoui. La volonté paroît; le sentiment n'est plus : l'on ne le trouve plus en soi, et l'on doute qu'il y ait été; mais ce seroit un vice énorme que l'on eût des volontés qui n'eussent point de principe. Nos actions iroient au hasard; il n'y auroit plus que des caprices; tout ordre seroit renversé. Il ne suffit donc pas de dire qu'il est vrai que la réflexion ou le sentiment nous conduise; nous devons encore ajouter qu'il seroit monstrueux que cela ne fût pas.

L'homme est foible, on en convient; ses sentiments sont trompeurs, ses vues sont courtes et fausses. Si sa volonté captive n'a pas de guide plus sûr, elle égarera tous ses pas. Une preuve naturelle qu'elle en est réduite là, c'est qu'elle s'égare en effet; mais ce guide, quoique incertain, vaut mieux qu'un instinct aveugle. Une raison imparfaite est beaucoup au-dessus d'une absence de raison. La raison débile de l'homme et ses sentiments illusoires le sauvent encore néanmoins d'une infinité d'erreurs. L'homme entier seroit abruti s'il n'avoit pas ce secours. Il est vrai qu'il est imparfait; mais c'est une nécessité. La perfection infinie ne souffre point de partage; Dieu ne seroit point parfait si quelque autre pouvoit l'être.

Non seulement il répugne qu'il y ait deux êtres parfaits; mais il est en même temps impossible que deux êtres indépendants puissent subsister ensemble si l'un des deux est parfait, parceque la perfection comprend nécessairement une puissance sans bornes, éternelle, interruptible, et qu'elle ne seroit pas telle si tout ne lui étoit pas soumis. Ainsi Dieu seroit imparfait sans la dépendance des hommes: cela est plus clair que le jour.

Personne, dites-vous, ne doute d'un principe si certain ; cependant ceux qui soutiennent que la volonté peut tout, et qu'elle est le premier principe de toutes nos actions, ceux-là nient, sans y prendre garde, la dépendance des hommes à l'égard du Créateur. Or, voilà ce que j'attaque; voilà l'objet de ce discours. Je ne me suis attaché à prouver la dépendance de la vo

lonté à l'égard de nos idées, que pour mieux | peut y avoir d'action dont il ne soit le principe. établir par-là notre dépendance totale et continue de Dieu.

Vous comprenez bien par-là que j'établis aussi la nécessité de toutes nos actions et de tous nos desirs. Qu'une conséquence si juste ne vous effarouche point. Je prétends vous montrer que notre liberté subsiste malgré cette nécessité. Je manifesterai l'accord et la solution de ce noeud, qui fera disparoître les ombres qui peuvent encore nous troubler.

Mais, pour revenir à présent au dogme de la dépendance, comment se peut-on figurer les hommes indépendants? Leur esprit n'est-il pas créé, et tout être créé ne dépend-il pas des lois de sa création? Peut-il agir par d'autres lois que par celles de son être? et son être, n'est-ce pas l'œuvre de Dieu? Dieu suspend, direz-vous, ses lois pour laisser agir son ouvrage : mauvaise raison : l'homme n'a rien en lui-même dont il n'ait reçu le principe et le germe en sa naissance. L'action n'est qu'un effet de l'être l'être ne nous est point propre; l'action le seroit-elle? Dieu suspendant ses lois, l'homme est anéanti; toute action est morte en lui. D'où tireroit-il la force et la puissance d'agir, s'il perdoit ce qu'il a reçu? un être ne peut agir que par ce qui est en lui. L'homme n'a rien en lui-même que le Créateur n'y ait mis donc l'homme ne peut agir que par les lois de son Dieu. Comment changeroit-il ces lois, lui qui ne subsiste qu'en elles, et qui ne peut rien que par elles? Faites en sorte qu'une pendule se meuve par d'autres lois que par celles de l'ouvrier, ou de celui qui la touche. La pendule n'a d'action que celle qu'on lui imprime; ôtez-en ce qu'on y a mis, ce n'est plus qu'une machine sans force et sans mouvement. Cette comparaison est juste pour tout ce qui est créé; mais il y a cette différence entre les ouvrages des hommes et les ouvrages de Dieu, que les productions des hommes ne reçoivent d'eux qu'un mode, une forme périssable, et peuvent être dérangées, détruites ou conservées par d'autres hommes; mais les ouvrages de Dieu ne dépendent que de lui, parcequ'il est l'auteur de tout ce qui existe, non seulement pour la forme, mais aussi pour la matière. Rien n'ayant reçu l'existence que de ses puissantes mains, il ne

Tous les êtres de la nature n'agissent les uns sur les autres que selon ses lois éternelles ; et nier leur dépendance, c'est nier leur création: car il n'y a que l'être incréé qui puisse être indépendant. Cependant l'homme le seroit dans plusieurs actions de sa vie, si sa volonté n'étoit pas dépendante de ses idées; supposition très absurde et très impie à-la-fois. Je ne veux pas vous surprendre; méditez bien là-dessus. Faire cesser l'influence des lois de la création sur la volonté de l'homme, rompre la chaîne invisible qui lie toutes ses actions, n'est-ce pas l'affranchir de Dieu ? Si vous faites la volonté tout-à-fait indépendante: elle n'est plus soumise à Dieu; si elle est toujours soumise à Dieu, elle est toujours dépendante: rien n'est si certain que cela. Comment concevoir cependant que la créature se meuve en quelque instant que ce soit par une impression différente de celle du Créateur? J'ai prouvé plus clair que le jour combien cela étoit impossible. Eh! pourquoi se révolter contre notre dépendance? c'est par elle que nous sommes sous la main du Créateur; que nous sommes protégés, encouragés, secourus; que nous tenons à l'infini, et que nous pouvons nous promettre une sorte de perfection dans le sein de l'être parfait : et d'ailleurs cette dépen dance n'éteint point la liberté qui nous est si précieuse. Je vous ai promis d'accorder ce qui paroît incompatible; suivez-moi donc bien, je vous prie. Qu'entendez-vous par liberté? n'estce pas de pouvoir agir selon votre volonté? comprenez-vous autre chose? prétendez-vous rien de plus? Non, vous voilà satisfait : eh bien! je le suis aussi. Mais sondez-vous un moment; voyez s'il est impossible que la volonté de l'homme soit quelquefois conforme à celle du Créateur. Assurément cela est très possible, vous ne le nierez pas cependant dans cette occasion l'homme fait ce que Dieu veut, il agit par la volonté de celui qui l'a mis au monde, l'on n'en peut disconvenir; mais cela ne l'empêche point aussi d'agir de plein gré. N'est-ce pas là toutefois ce qu'on appelle être libre? manque-t-on de liberté lorsqu'on fait ce que l'on veut? Vous voyez donc clairement que la volonté n'est point indépendante de Dieu, et que la nécessité ne suppose pas toujours dépen

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