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CARACTÈRES.

I.

Oronte, ou le vieux fou.

que

Oronte, vieux et flétri, dit que les gens vieux sont tristes, et que pour lui il n'aime que les jeunes gens. C'est pour cela qu'il s'est logé dans une auberge, où il a, dit-il, le plaisir de ceux qui voyagent, sans leurs peines, parcequ'il voit tous les jours à souper de nouveaux visages. On le voit quelquefois au jeu de paume, avec de jeunes gens qui sortent du bal, et il va déjeuner avec eux; il les cultive avec le même soin s'il avoit envie de leur plaire. Mais on peut lui rendre justice : ce n'est pas la jeunesse qu'il aime, c'est la folie. Il a un fils qui a vingt ans, et qui est déja estimé dans le monde; mais ce jeune homme est appliqué, et passe une grande partie de la nuit à lire. Oronte a brûlé plusieurs fois les livres de son fils, et n'a fait grace qu'à des vers obscènes, qui d'ailleurs sont assez mauvais. Ce jeune homme en rachète toujours de nouveaux, et trompe les soins de son père. Oronte a voulu lui donner une fille de l'Opéra que lui-même a eue autrefois, et n'a rien négligé, dit-il, pour son éducation; mais ce petit drôle est entêté, ajoute-t-il, et a l'esprit gâté et plein de chimères.

II.

Thersite.

I

Thersite est l'officier de l'armée que l'on voit le plus. C'est lui qu'on rencontre toujours à la suite du général, monté sur un petit cheval qui boite, avec un harnois de velours en broderie, et un coureur qui marche devant lui. S'il y a ordre à l'armée de partir la nuit pour cacher une marche à l'ennemi, Thersite ne se couche point comme les autres, quoiqu'il y ait du temps; mais il se fait mettre des papillotes,

Thersites, que nous appelons Thersite, nous est représenté

par Homère, dans son Iliade, comme le plus laid, le plus lache

et le plus insolent des capitaines grecs qui se trouvèrent au siége de Troie. C'est par cette raison que ce nom est ordinairement donné à ceux à qui l'on croit pouvoir reprocher les mêmes défauts. F.

et fait poudrer ses cheveux en attendant qu'on batte la générale. Il accompagne exactement l'officier de jour, et visite avec lui les postes de l'armée. Il donne des projets au général, et fait un journal raisonné de toutes les opérations de la campagne. On ne fait guère de détachement où il ne se trouve; et comme il est le premier de son régiment à marcher, et qu'on le cherche par-tout, on apprend qu'il est volontaire à un fourrage qui se fait sur les derrières du camp; et un autre marche à sa place. Ses camarades ne l'estiment point; mais il ne vit pas avec eux, il les évite; et si quelque officier général lui demande le nom d'un officier de son régiment qui est de garde, Thersite lui répond qu'il le connoît bien, mais qu'il ne se souvient pas de son nom. Il est familier, officieux, insolent, pourtant très bas avec son colonel. Il fait servilement sa cour à tous les grands seigneurs de l'armée; et s'il se trouve chez le duc Eugène lorsque celui-ci se débotte, Thersite fait un mouvement pour lui présenter ses souliers; mais comme il s'aperçoit qu'il y a beaucoup de monde dans la chambre, il laisse prendre les souliers par un valet, et rougit en se relevant.

et

III.
Les jeunes gens.

Les jeunes gens jouissent sans le savoir, et s'ennuient en croyant se divertir. Ils font un souper où ils sont dix-huit sans compter les dames; et ils passent la nuit à table à détonner quelques chansons obscènes, à conter le roman de l'Opéra, et à se fatiguer pour chercher le plaisir, qu'à peine les plus impudents peuvent essayer dans un quart-d'heure de faveur; et comme on se pique à tous les âges d'avoir de l'esprit, ils admettent quelquefois à leurs parties des gens de lettres qui font là leur apprentissage pour le monde. Mais tous s'ennuient réciproquement, et ils se détrompent les uns des autres.

Ces jeunes gens vont au spectacle pour se rassembler. Ils y paroissent, épuisés de leurs incontinences, avec une audace affectée et des yeux éteints. Ils parlent grossièrement des femmes, et avec dégoût. On les voit sortir quelquefois au commencement du spectacle, pour

satisfaire quelque idée de débauche qui leur | de louer; qui, lorsqu'on lui lit un mauvais rovient en tête; et après avoir fait le tour des allées obscures de la Foire, ils reviennent au dernier acte de la comédie et se racontent à l'oreille leurs ridicules prouesses. Ils se font un point d'honneur de traiter légèrement tous les plaisirs ; et les plaisirs, qui fuient la dissipation et la folie, ne leur laissent qu'une ombre foible et une fausse image de leurs charmes.

man, mais protégé, le trouve digne de l'auteur du Sopha, et feint de le croire de lui; qui demande à un grand seigneur qui lui montre une ode, pourquoi il ne fait pas une tragédie ou un poëme épique; qui du même éloge qu'il donne à Voltaire, régale un auteur qui s'est fait siffler sur les trois théâtres ; qui, se trouvant à souper chez une femme qui a la migraine, lui dit tristement que la vivacité de son esprit la consume comme Pascal, et qu'il faut l'empêcher de se tuer. S'il arrive à un homme de ce caractère de faire une plaisanterie sur quelqu'un qui n'est pas riche, mais dont un homme riche prend le dit que les petits défauts qu'il reprenoit servent parti, aussitôt le flatteur change de langage, et d'ombre au mérite distingué. C'est l'homme

dont Rousseau disoit :

IV.

Midas, ou le sot qui est glorieux.

VI.

Lacon, ou le petit homme.

Le sot qui a de la vanité est l'ennemi né des talents. S'il entre dans une maison où il trouve un homme d'esprit, et que la maîtresse du logis lui fasse l'honneur de le lui présenter, Midas le salue légèrement et ne répond point. Si l'on ose louer en sa présence le mérite qui n'est pas riche, il s'assied auprès d'une table, et compte des jetons ou mêle des cartes sans rien dire. Lorsqu'il paroît un livre dans le monde qui fait quelque bruit, Midas jette d'abord les yeux sur la fin, et puis sur le milieu du livre; ensuite il prononce que l'ouvrage manque d'ordre, et qu'il n'a jamais eu la force de l'achever. On parle devant lui d'une victoire que le héros du Nord a remportée sur ses ennemis ; et sur ce qu'on raconte des prodiges de sa capacité et de sa valeur, Midas assure que la disposition de la bataille a été faite par M. de Rottembourg qui Lacon ne refuse pas son estime à tous les n'y étoit pas, et que le prince s'est tenu caché auteurs. Il y a beaucoup d'ouvrages qu'il addans une cabane jusqu'à ce que les ennemis fus-mire; et tels sont les vers de La Motte, l'Ilissent en déroute. Un homme qui a été à cette toire romaine de Rollin, et le Traité du vrai action l'assure qu'il a vu charger le roi à la tète mérite, qu'il préfère, dit-il, à La Bruyère. Il de sa maison; mais Midas répond froidement met dans une même classe Bossuet et Fléchier, qu'on ne verra jamais que des folies d'un prince et croit faire honneur à Pascal de le comparer qui fait des vers, et qui est l'ami de Voltaire. à Nicole, dont il a lu les Essais avec une patience tout-à-fait chrétienne. Il soutient qu'après Bayle et Fontenelle, l'abbé Desfontaines est le meilleur écrivain que nous ayons eu. Il ne peut souffrir la musique de Rameau; et si on lui parle des Indes galantes ou de l'opéra de Dardanus, il se met à chanter des morceaux de Tancrède, ou d'un autre ancien opéra. Il n'épargne pas les acteurs qui ont succédé à Murer, à Thevenard, etc., et Poirier ne paroît jamais qu'il ne batte long-temps des mains pour faire

V.

Le flatteur insipide.

Un homme parfaitement insipide est celui qui loue indifféremment tout ce qu'il croit utile

Nom que Voltaire a souvent employé pour désigner Frédérie le Grand. La bataille dont il s'agit ici est sans doute celle de

Friedberg, gagnée par Frédéric, le 4 juin 1743. sur le prince
Charles de Lorraine. B.

Quelquefois même aux bons mots s'abandonne.
Mais doucement et sans blesser personne.

Cet homme qui a loué toute sa vie jusqu'à ceux qu'il aimoit le moins, n'a jamais obtenu des autres la moindre louange, et tout ce que ses amis ont osé dire de plus fort pour lui, c'est ce vieux discours : En vérité, c'est un honnête garçon, ou c'est un bon homme.

de la peine à Gelliotte : tant il est difficile de | un homme grave qu'il ne connoissoit que de la lui plaire dès qu'on prime en quelque art que veille. ce puisse être.

IX.

VII.

Clazomène, ou la vertu malheureuse.

Caritès, ou le grammairien.

Clazomène a eu l'expérience de toutes les misères de l'humanité. Les maladies l'ont as

Caritès est esclave de la construction, et ne peut souffrir la moindre hardiesse. Il ne sait point ce que c'est qu'éloquence, et se plaint de ce que l'abbé d'Olivet a fait grace à Racine de quatre cents fautes: mais il sait admirablement la différence de pas et point; et il a fait des no

siégé dès son enfance, et l'ont sevré dans son printemps de tous les plaisirs de la jeunesse. la hauteur et de l'ambition dans la pauvreté. Il pour les plus grands déplaisirs, il a eu de s'est vu dans ses disgraces méconnu de ceux qu'il aimoit. L'injure a flétri sa vertu; et il a été

tes excellentes sur le petit Traité des Synony-offensé de ceux dont il ne pouvoit prendre de

pas;

mes, ouvrage très propre, dit-il, à former un
grand orateur. Caritès n'a jamais senti si un
mot étoit propre ou ne l'étoit
si une épi-
thète étoit juste, et si elle étoit à sa place. Si
pourtant il fait imprimer un petit ouvrage, il y
fait, pendant l'impression, de continuels chan-
gements: il voit, il revoit les épreuves, il les
communique à ses amis; et si, par malheur, le
libraire a oublié d'ôter une virgule qui est de
trop, quoiqu'elle ne change point le sens, il ne
veut point que son livre paroisse jusqu'à ce
qu'on ait fait un carton, et il se vante qu'il n'y
a point de livre si bien imprimé que le sien.

vengeance. Ses talents, son travail continuel, son application à bien faire, n'ont pu fléchir la dureté de sa fortune. Sa sagesse n'a pu le garantir de faire des fautes irréparables. Il a souffert le mal qu'il ne méritoit pas, et celui que son imprudence lui a attiré. Lorsque la fortune offerte à sa vue. Ses yeux se sont fermés à la a paru se lasser de le poursuivre, la mort s'est fleur de son âge; et quand l'espérance trop lente commençoit à flatter sa peine, il a eu la douleur insupportable de ne pas laisser assez de bien pour payer ses dettes, et n'a pu sauver sa vertu de cette tache. Si l'on cherche quelque raison d'une destinée si cruelle, on aura, je crois, de la peine à en trouver. Faut-il demander la raison pourquoi des joueurs très habiles se ruinent au jeu, pendant que d'autres homdes années qui n'ont ni printemps ni automne, mes y font leur fortune? ou pourquoi l'on voit où les fruits de l'année sèchent dans leur fleur? Toutefois, qu'on ne pense pas que Clazomène eût voulu changer sa misère pour la prospérité des hommes foibles. La fortune peut se jouer de la sagesse des gens vertueux; mais il ne lui appartient pas de faire fléchir leur courage.

VIII.
L'étourdi.

Il n'y a pas long-temps qu'étant à la Comédie auprès d'un jeune homme qui faisoit du bruit, je lui dis: Vous vous ennuyez; il faut écouter une pièce quand on veut s'y plaire.—Mon ami, me répondit-il, chacun sait ce qui le divertit je n'aime point la comédie, mais j'aime le théâtre; vous êtes bien fou d'imaginer d'apprendre à quelqu'un ce qui lui plaît. - Cela peut bien être, lui dis-je ; je ne savois pas que vous vinssiez à la comédie pour avoir le plaisir de l'interrompre. - Et moi je savois, me dit-il, qu'on ne sait ce qu'on dit quand on raisonne des plaisirs d'autrui; et je vous prendrois pour un sot, mon très cher ami, si je ne vous connoissois depuis long-temps pour le fou le plus accompli qu'il y ait au monde. - En achevant ces mots, il traversa le théâtre, et alla baiser sur la joue

X.

Phalante, ou le scélérat.

Phalante a voué ses talents aux fureurs et au crime; impie, esclave insolent des grands, ambitieux, oppresseur des foibles, contempteur des bons, corrupteur audacieux de la jeunesse, son génie violent et hardi préside en

secret à tous les crimes qui sont ensevelis dans | condition! Aussi mettons-nous à la tête des les ténèbres. Il est dès long-temps à la tête de philosophes son illustre auteur, et je veux avouer tous les débauchés et les scélérats. Il ne se com- qu'il y a peu d'hommes d'un esprit si philosomet point de meurtres ni de brigandage où son phique, si fin, si facile, si net, et d'une si noir ascendant ne le fasse tremper. Il ne connoît grande surface; mais nul n'est parfait; et je ni l'amour, ni la crainte, ni la foi, ni la com- crois que les plus sublimes esprits ont eux-mêpassion. Il méprise l'honneur autant que la mes des endroits foibles. Ce sage et subtil phivertu, et il hait les dieux et les lois. Le crime losophe n'a jamais compris que la vérité nue lui plaît par lui-même. Il est scélérat sans des- pût intéresser; la simplicité, la véhémence, le sein et audacieux sans motif. Les extrémités les sublime, ne le touchent point. Il me semble, ditplus dures, la faim, la douleur, la misère, ne il, qu'il ne faudroit donner dans le sublime qu'à l'abattent point. Il a éprouvé tour à tour l'une son corps défendant; il est si peu naturel. Isocrate et l'autre fortune: prodigue et fastueux dans veut qu'on traite toutes les choses du monde l'abondance, entreprenant et téméraire dans la en badinant ; aucune ne mérite, selon lui, un pauvreté, emporté et souvent cruel dans ses autre ton. Si on lui représente que les hommes plaisirs, dissimulé et implacable dans ses hai- aiment sérieusement jusqu'aux bagatelles, et nes, furieux et barbare dans ses vengeances, ne badinent que des choses qui les touchent éloquent seulement pour persuader le crime peu, il n'entend pas cela, dit-il ; pour lui, il n'eset pour pervertir l'innocence, son naturel féroce time que le naturel; cependant son badinage et indomptable aime à fouler aux pieds l'huma- ne l'est pas toujours, et ses réflexions sont plus nité, la prudence et la religion; il vit tout souillé fines que solides. Isocrate est le plus ingénieux d'infamie; il marche la tête levée; il menace de tous les hommes, et compte pour peu tout de ses regards les sages et les vertueux; sa té- le reste. C'est un homme qui ne veut ni permérité insolente triomphe des lois. suader, ni corriger, ni instruire personne. Le vrai et le faux, le frivole et le grand, tout ce qui lui est occasion de dire quelque chose d'agréable, lui est aussi propre. Si César vertueux peut lui fournir un trait, il peindra César vern'a été qu'un coup du hasard; et Brutus sera tueux, sinon il fera voir que toute sa fortune tour à tour un héros ou un scélérat, selon qu'il sera plus utile à Isocrate. Cet auteur n'a jamais écrit que dans une seule pensée; il est parvenu à son but. Les hommes ont enfin tiré de ses ouvrages ce plaisir solide de savoir qu'il a de l'esprit. Quel moyen après cela de condamner un genre d'écrire si intéressant et si utile!

On ne finiroit point sur Isocrate et sur ses pareils, si on vouloit tout dire. Ces esprits si fins ont paru après les grands hommes du siècle passé. Il ne leur étoit pas facile de donner à la vérité la même autorité et la même force que l'éloquence lui avoit prêtée; et pour se faire remarquer après de si grands hommes, il falloit avoir leur génie ou marcher dans une autre voie. Isocrate, né sans passion, privé de sentiment pour la simplicité et l'éloquence, s'attacha bien plus à détruire qu'à rien établir. Ennemi des anciens systèmes, et savant à saisir le

XI.

Isocrate, ou le bel esprit moderne.

Le bel esprit moderne n'est ni philosophe, ni poëte, ni historien, ni théologien ; il a toutes ces qualités si différentes et beaucoup d'autres; il est obligé de dire assez de choses inutiles, parcequ'il doit fort peu parler de choses nécessaires. Le sublime de sa science est de rendre des pensées frivoles par des traits. Qui veut mieux penser ou mieux vivre? Qui sait même où est la vérité? Un esprit vraiment supérieur fait valoir toutes les opinions, et ne tient à aucune. Il a vu le fort et le foible de tous les principes, et il a reconnu que l'esprit humain n'avoit que le choix de ses erreurs. Indulgente philosophie, qui égale Achille et Thersite, et nous laisse la liberté d'être ignorants, paresseux, frivoles, oisifs, sans nous faire de pire

Remond de Saint-Marc. Il a fait imprimer en 1745 trois volumes de littérature, où l'on trouve de l'esprit, mais point de goût, et un jugement souvent faux. C'étoit le frère de Remond le mathématicien, de qui on a recueilli quelques lettres qu'il écrivoit à mademoiselle de Launay (madame de Staal ). S.

foible des choses humaines, il voulut paroître | n'y pense point. S'il rencontre, la nuit, une de
à son siècle comme un philosophe impartial ces femmes qui épient les jeunes gens, Thieste
qui n'obéissoit qu'aux lumières de la plus exacte souffre qu'elle l'entretienne, et marche quelque
raison. Sans chaleur et sans préjugés, les hom- temps à côté d'elle; et comme elle se plaint de
mes sont faits de manière que si on leur parle la nécessité qui détruit toutes les vertus, et fait
avec autorité et avec passion, leurs passions et les opprobres du monde, il lui dit que la pau-
leur pente à croire les persuadent facilement; vreté n'est point un vice quand on sait vivre de
mais si au contraire on badine et qu'on leur son industrie sans nuire à personne ; et ne se
propose des doutes, ils écoutent avidement, ne
trouvant point d'argent parcequ'il est jeune, il
se défiant pas qu'un homme qui parle de sang- lui donne sa montre qui n'est plus à la mode,
froid puisse se tromper : car peu savent que le et qui est un présent de sa mère; ses camarades
raisonnement n'est pas moins trompeur que le se moquent de lui et le tournent en ridicule,
sentiment, et d'ailleurs l'intérêt des foibles, mais il leur répond: Mes amis, vous riez de
qui composent le plus grand nombre, est que trop peu de chose. Le monde est rempli de mi-
tout soit cru équivoque. Isocrate n'a donc eu sères qui serrent le cœur; il faut être humain ;
qu'à lever l'étendard de la révolte contre l'au- le désordre des malheureux est toujours le crime
torité et les dogmatiques, pour faire aussitôt des riches.
beaucoup de prosélytes. Il a comparé le génie
de l'esprit ambitieux des héros de la Grèce à
l'esprit de ses courtisanes; il a méprisé les beaux-
arts. L'éloquence, a-t-il dit, et la poésie sont peu
de chose; et ces paradoxes brillants, il a su les
insinuer avec beaucoup d'art, en badinant et
sans paroître s'y intéresser. Qui n'eût cru qu'un
pareil système n'eût fait un progrès pernicieux

dans un siècle si amoureux du raisonnement et
du vice? Cependant la mode a son cours, et
l'erreur périt avec elle. On a bientôt senti le foi-
ble d'un auteur qui, paroissant mépriser les
plus grandes choses, ne méprisoit pas de dire
des pointes, et n'avoit point de répugnance à
se contredire pour ne pas perdre un trait d'es-
prit. Il a plu par la nouveauté et par la petite
hardiesse de ses opinions, mais sa réputation
précipitée a déja perdu tout son lustre ; il a sur-
vécu à sa gloire, et il sert à son siècle de preuve
qu'il n'y a que la simplicité, la vérité et l'élo-ne peut l'attendrir un moment.
quence, c'est-à-dire toutes les choses qu'il a
méprisées, qui puissent durer.

XII.

Thieste, ou la simplicité.

Thieste est né simple et naïf : il aime la pure vertu, mais il ne prend pas pour modèle la vertu d'un autre ; il connoît peu les règles de la probité, il la suit par tempérament. Lorsqu'il y a quelque loi de la morale qui ne s'accorde pas avec ses sentiments, il la laisse à part et

XIII.

Trasille, ou les gens à la mode.

flexions en sa présence, et que l'on eût la liTrasille n'a jamais souffert qu'on fît de réberté de parler juste. Il est vif, léger et railleur, samment de discours, ne se laisse ni manier, ni n'estime et n'épargne personne, change incesuser, ni approfondir, et fait plus de visites en un jour que Dumoulin ou qu'un homme qui sollicite pour un grand procès. Ses plaisanteries sont amères : il loue rarement. Il pousse l'insolence jusqu'à interrompre ceux qui sont assez vains pour le louer, les fixe et détourne la tête. Il est dur, avare, impérieux; il a de l'ambition par arrogance, et quelque crédit par audace. Les femmes le courent, il les joue : il ne connoît pas l'amitié; il est tel que le plaisir même

XIV.

Phocas, ou la fausse singularité.

Phocas se pique plus qu'homme du monde de n'emprunter de personne ses idées. Si vous lui parlez d'éloquence, ne lui nommez pas Cicéron, il vous feroit d'abord l'éloge d'Abdallah, d'Abutales et de Mahomet, et vous assureroit que rien n'égale la sublimité des Arabes. Lorsqu'il est question de la guerre, ce n'est ni M. de Turenne ni le grand Condé qu'il admire; il leur

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