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et n'appréhendez rien des suites; les hommes sont faits de manière qu'ils n'aperçoivent pas une partie des choses qu'on leur découvre, et qu'ils oublient aisément l'autre. Vous verrez d'ailleurs que le cercle où l'on a passé sa jeunesse se dissipe insensiblement : ceux qui le composoient s'éloignent, et la société se renouvelle. Ainsi l'on entre dans un autre cercle tout instruit alors si la fortune vous met dans des places où il soit dangereux de vous communiquer, vous aurez assez d'expérience pour agir par vous-même et vous passer d'appui. Vous saurez vous servir des hommes et vous en défendre; vous les connoîtrez; enfin vous aurez la sagesse dont les gens timides ont voulu se revêtir avant le temps, et qui est avortée dans leur sein.

:

V.

Sur les moyens de vivre en paix avec les hommes.

peut appliquer à tous ceux qui ont des prétentions. S'ils dérogent, s'ils se démentent, le monde jouit avec ironie de leur chagrin ; et confondus dans les choses auxquelles ils se sont attachés, ils demeurent sans ressource en proie à la raillerie la plus amère. Qu'un autre homme échoue dans les mêmes choses; on peut croire que c'est par paresse, ou pour les avoir négligées. Enfin, on n'a pas son aveu sur le mérite des avantages qui lui manquent ; mais s'il réussit, quels éloges! Comme il n'a pas mis ce succès au prix de celui qui s'en pique, on croit lui accorder moins et l'obliger cependant davantage; car ne paroissant pas prétendre à la gloire qui vient à lui, on espère qu'il la recevra en pur don, et l'autre nous la demandoit comme une dette.

* Cette tournure paroît amphibologique et pourroit signifier qu'ils n'aperçoivent pas même une partie des choses; au lieu qu'elle signifie simplement qu'il y a une partie des choses qu'ils n'aperçoivent pus, etc. S.

Il faut passez-les leur encore, ou au moins passez-le leur encore. M

VI.

Sur une maxime du cardinal de Retz.

faut tâcher de former ses projets de façon que C'est une maxime du cardinal de Retz, qu'il leur irréussite mème soit suivie de quelque

Voulez-vous avoir la paix avec les hommes, ne leur contestez pas les qualités dont ils se piquent ce sont celles qu'ils mettent ordinairement à plus haut prix; c'est un point capital pour eux. Souffrez donc qu'ils se fassent un mérite d'être plus délicats que vous, de se connoitre en bonne chère, d'avoir des insomnies ou des vapeurs : laissez-leur croire aussi qu'ils sont aimables, amusants, plaisants, singuliers; et s'ils avoient des prétentions plus hautes, passez-leur encore. La plus grande de toutes les imprudences est de se piquer de quelque chose: le malheur de la plupart des hommes ne vient que de là : je veux dire de s'être engagés publiquement à soutenir un certain caractère, ou à faire fortune, ou à paroître riches, ou à faire métier d'esprit. Voyez ceux qui se piquent d'ètre riches : le dérangement de leurs affaires les fait croire souvent plus pauvres qu'ils ne sont; fait croire souvent plus pauvres qu'ils ne sont;

et enfin ils le deviennent effectivement, et pas-puisse assez souffrir dans la médiocrité qui est

sent leur vie dans une tension d'esprit continuelle, qui découvre la médiocrité de leur fortune et l'excès de leur vanité. Cet exemple se

si grands hasards, ni qu'on puisse durer dans leur état naturel, pour vouloir en sortir par de ces extrémités qui sont hors de la sphère de leurs sentiments. Cachez-vous des esprits timides. Quand vous leur auriez arraché leur approbation par surprise, ou par la force de vos

Il faut confiance aux ressources.

avantage; et cette maxime est très bonne.

Dans les situations désespérées, on peut prendre des partis violents; mais il faut qu'elles soient désespérées. Les grands hommes s'y abandonnent quelquefois par une secrète confiance des ressources' qu'ils ont pour subsister dans les extrémités, ou pour en sortir à leur gloire. Ces exemples sont sans conséquence pour

les autres hommes.

C'est une faute commune, lorsqu'on fait un On prévoit les difficultés attachées aux affaires ; plan, de songer aux choses sans songer à soi. celles qui naîtront de notre fonds, rarement.

Si pourtant on est obligé à prendre des résolutions extrêmes, il faut les embrasser avec diocres; car ceux-ci ne comprennent pas qu'on courage, et sans prendre conseil des gens mé

raisons, rendus à eux-mêmes, le tempérament les ramèneroit bientôt à leurs principes, et vous les rendroit plus contraires.

Croyez qu'il y a toujours, dans le cours de la vie, beaucoup de choses qu'il faut hasarder, et beaucoup d'autres qu'il faut mépriser: et consultez en cela votre raison et vos forces.

Ne comptez sur aucun ami dans le malheur 1. Mettez toute votre confiance dans votre courage et dans les ressources de votre esprit. Faitesvous, s'il se peut, une destinée qui ne dépende pas de la bonté trop inconstante et trop peu commune des hommes. Si vous méritez des honneurs, si vous forcez le monde à vous estimer, si la gloire suit votre vie, vous ne manquerez ni d'amis fidèles, ni de protecteurs, ni d'admirateurs.

ser. Abandonnez surtout aux hommes vains cet empire extérieur et ridicule qu'ils affectent: il n'y a de supériorité réelle que celle de la vertu et du génie.

Voyez des mêmes yeux, s'il est possible, l'injustice de vos amis; soit qu'ils se familiarisent par une longue habitude avec vos avantages, soit que par une secrète jalousie ils cessent de les reconnoître, ils ne peuvent vous les faire perdre. Soyez donc froid là-dessus : un favori admis à la familiarité de son maître, un domestique, aiment mieux dans la suite se faire chasser que de vivre dans la modestie de leur condition. C'est ainsi que sont faits les hommes; vos amis croiront s'être acquis par la connoissance de vos défauts une sorte de supériorité sur vous; les hommes se croient supérieurs aux défauts qu'ils peuvent sentir : c'est ce qui fait qu'on juge dans le monde si sévèrement des actions, des discours, et des écrits d'autrui. Mais pardonnez-leur jusqu'à cette connoissance de vos défauts, et les avantages frivoles qu'ils essaieront d'en tirer ne leur demandez pas la même perfection qu'ils semblent exiger de vous. Il y a des hommes qui ont de l'esprit et un bon cœur, mais remplis de délicatesses fatigantes; ils sont pointilleux, difficiles, attentifs, défiants, jaloux ; ils se fâchent de peu de Il faut que je vous avertisse d'une chose, chose, et auroient honte de revenir les premon très cher ami: les hommes se recherchent miers tout ce qu'ils mettent dans la société, quelquefois avec empressement, mais ils se dé-ils craignent qu'on ne pense qu'ils le doivent. goûtent aisément les uns des autres ; cependant N'ayez pas la foiblesse de renoncer à leur amila paresse les retient long-temps ensemble après tié par vanité ou par impatience, lorsqu'elle que leur goût est usé. Le plaisir, l'amitié, l'es- peut encore vous être utile ou agréable; et time (liens fragiles), ne les attachent plus; l'ha- enfin, quand vous voudrez rompre, faites qu'ils bitude les asservit. Fuyez ces commerces sté- croient eux-mêmes vous avoir quitté. riles, d'où l'instruction et la confiance sont bannies: le cœur s'y dessèche et s'y gate; l'i-faires ou de vos foiblesses, n'en ayez jamais de magination y périt, etc.

Au reste, s'ils sont dans le secret de vos af

regret. Ce que l'on ne confie que par vanité et sans dessein, donne un cruel repentir; mais lorsqu'on ne s'est mis entre les mains de son ami que pour s'enhardir dans ses idées, pour les corriger, pour tirer du fond de son cœur la vérité, et pour épuiser par la confiance les ressources de son esprit, alors on est payé d'avance de tout ce qu'on peut en souffrir.

Soyez donc d'abord par vous-même, si vous voulez vous acquérir les étrangers. Ce n'est point à une ame courageuse à attendre son sort de la seule faveur et du seul caprice d'autrui. C'est à son travail à lui faire une destinée digne d'elle.

VII.

Sur l'empressement des hommes à se rechercher et leur facilité à se dégoûter.

Conservez toujours néanmoins avec tout le monde la douceur de vos sentiments. Faitesvous une étude de la patience, et sachez céder par raison, comme on cède aux enfants qui n'en sont pas capables, et ne peuvent vous offen

Vanvenargues ne veut point dire ici qu'il n'est point d'ami qu'on puisse espérer de conserver dans le malheur, mais simplement que ce n'est point sur ses amis qu'il faut se reposer dans le malheur, et qu'on doit tirer ses ressources de soi-même. S.

» Cette tournure est négligée. S.

VIII.

Sur le mépris des petites finesses.

X.

Quand il faut sortir de sa sphère.

Que je vous estime, mon très cher ami, de mépriser les petites finesses dont on s'aide pour en imposer! Laissez-les constamment à ceux qui craignent d'être approfondis, qui cherchent à se maintenir par des amitiés ménagées, ou par des froideurs concertées, et attendent toujours qu'on les prévienne. Il est bon de vous faire une nécessité de plaire par un vrai mérite, au hasard même de déplaire à bien des hommes ce n'est pas un grand mal de ne pas réussir avec toute sorte de gens, ou de les perdre après les avoir attachés. Il faut supporter, mon ami, que l'on se dégoûte de vous, comme on se dégoûte des autres biens. Les hommes ne sont pas touches long-temps des mêmes choses; mais les choses dont ils se lassent n'en sont pas, de leur aveu, pires. Que cela vous empêche seulement vous reposer sur vousmeme; on ne peut conserver aucun avantage des ressources que l'on ignore. Si vous n'en que par les efforts qui l'acquièrent.

Mon très cher ami, sentez-vous votre esprit pressé et à l'étroit dans votre état? c'est une preuve que vous êtes né pour une meilleure fortune; il faut donc sortir de vos voics, et marcher dans un champ moins limité.

Ne vous amusez pas à vous plaindre, rien n'est moins utile; mais fixez d'abord vos regards autour de vous: on a quelquefois dans sa main

découvrez aucune, au lieu de vous morfondre tristement dans cette vue, osez prendre un plus grand essor: un tour d'imagination un peu hardi nous ouvre souvent des chemins pleins de lumière. Quiconque connoît la portée de l'esprit humain tente quelquefois des moyens qui paroissent impraticables aux autres hommes. C'est avoir l'esprit chimérique que de négliger les facilités ordinaires pour suivre des hasards et des apparences; mais lorsqu'on sait bien allier les grands et les petits moyens et les employer de concert, je crois qu'on auroit tort de craindre non-seulement l'opinion du monde, qui rejette toute sorte de hardiesse dans les malheureux, mais même les contradictions de la fortune.

Laissez croire à ceux qui le veulent croire, que l'on est misérable dans les embarras des grands desseins. C'est dans l'oisiveté et la petitesse que la vertu souffre, lorsqu'une prudence timide l'empêche de prendre l'essor et la fait ramper dans ses liens; mais le malheur même a ses charmes dans les grandes extrémités : car cette opposition de la fortune élève un esprit courageux, et lui fait ramasser toutes ses forces, qu'il n'employoit pas.

IX.

Aimer les passions nobles.

Si vous avez quelque passion qui élève vos sentiments, qui vous rende plus généreux, plus compatissant, plus humain, qu'elle vous soit chère.

plois ou des honneurs; mais rien ne vous peut empêcher d'être bon, généreux et sage. Préférez la vertu à tout vous n'y aurez jamais de regret. Il peut arriver que les hommes qui sont envieux et légers vous fassent éprouver un jour leur injustice. Des gens méprisables usurpent la réputation due au mérite, et jouissent insolemment de son partage : c'est un mal; mais il n'est pas tel que le monde se le figure; la vertu vaut mieux que la gloire.

Par une raison fort semblable, lorsque vous aurez attaché à votre service des hommes qui sauront vous plaire, passez-leur beaucoup de défauts. Vous serez peut-être plus mal servi, mais vous serez meilleur maître : il faut laisser aux hommes de basse extraction la crainte de faire vivre d'autres hommes qui ne gagnent pas assez laborieusement leur salaire. Heureux qui leur peut adoucir les peines de leur condition!

En toute occasion, quand vous vous sentirez porté vers quelque bien, lorsque votre beau naturel vous sollicitera pour les misérables, hatez-vous de vous satisfaire. Craignez que le temps, les conseils, n'emportent ces bons sentiments, et n'exposez pas votre cœur à perdre un si cher avantage. Mon bon ami, il ne tient pas à vous de devenir riche, d'obtenir des em

XI.

Du faux jugement que l'on porte des choses.

Nous jugeons rarement des choses, mon aimable ami, par ce qu'elles sont en elles-mêmes; nous ne rougissons pas du vice, mais du déshonneur. Tel ne se feroit pas scrupule d'être fourbe, qui est honteux de passer pour tel, même injustement.

Nous demeurons flétris et avilis à nos propres yeux, tant que nous croyons l'être à ceux du monde; nous ne mesurons pas nos fautes par la vérité, mais par l'opinion. Qu'un homme séduise une femme sans l'aimer, et l'abandonne après l'avoir séduite, peut-être qu'il en fera gloire; mais si cette femme le trompe lui-même, qu'il n'en soit pas aimé quoique amoureux, et que cependant il croie l'être; s'il découvre la vérité, et que cette femme infidèle se donnoit par goût à un autre lorsqu'elle se faisoit payer à lui de ses rigueurs, sa défaite et sa confusion ne se pourront pas exprimer, et on le verra pâlir à table, sans cause apparente, dès qu'un mot jeté au hasard lui rapprochera cette idée 1.

Un autre rougit d'aimer son esclave qui a des vertus, et se donne publiquement pour le possesseur d'une femme sans mérite, que même il n'a pas. Ainsi on affiche des vices effectifs; et si de certaines foiblesses pardonnables venoient à paroître, on s'en trouveroit accablé.

Je ne fais pas ces réflexions pour encourager les gens bas, car ils n'ont que trop d'impudence. Je parle pour ces ames fières et délicates qui s'exagèrent leurs propres foiblesses, et ne peuvent souffrir la conviction publique de leurs

fautes.

Alexandre ne vouloit plus vivre après avoir tué Clitus; sa grande ame étoit consternée d'un emportement si funeste. Je le loue d'être devenu par-là plus tempérant ; mais s'il eût perdu le courage d'achever ses vastes desseins, et qu'il n'eût pu sortir de cet horrible abattement où d'abord il étoit plongé, le ressentiment de sa faute l'eût poussé trop loin.

Mon ami, n'oubliez jamais que rien ne nous peut garantir de commettre beaucoup de fautes.

2 Je ne sais si cette tournure peut être employée pour lui rappollera cette idée. §.

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I.

LA FONTAINE.

Lorsqu'on a entendu parler de La Fontaine, et qu'on vient à lire ses ouvrages, on est étonné d'y trouver, je ne dis pas plus de génie, mais plus même de ce qu'on appelle de l'esprit, qu'on n'en trouve dans le monde le plus cultivé. On remarque avec la même surprise la profonde intelligence qu'il fait paroître de son art; et on admire qu'un esprit si fin ait été en même temps si naturel.

Il seroit superflu de s'arrêter à louer l'harmonie variée et légère de ses vers; la grace, le tour, l'élégance, les charmes naïfs de son style et de son badinage. Je remarquerai seulement que le bon sens et la simplicité sont les caractères dominants de ses écrits. Il est bon d'opposer un tel exemple à ceux qui cherchent la grace et le brillant hors de la raison et de la nature. La simplicité de La Fontaine donne de la grace à son bon sens, et son bon sens rend sa simplicité piquante: de sorte que le brillant de ses ouvrages naît peut-être essentiellement de ces deux sources réunies. Rien n'empêche

au moins de le croire; car pourquoi le bon sens, | falloit qu'il fût né avec un génie bien singulier,

qui est un don de la nature, n'en auroit-il pas l'agrément? La raison ne déplaît, dans la plupart des hommes, que parcequ'elle leur est étrangère. Un bon sens naturel est presque inséparable d'une grande simplicité; et une simplicité éclairée est un charme que rien n'égale.

pour échapper, comme il a fait, aux mauvais exemples de ses contemporains, et pour leur imposer ses propres lois. Ceux qui bornent le mérite de sa poésie à l'art et à l'exactitude de sa versification, ne font pas peut-être attention que ses vers sont pleins de pensées, de vivacité, de saillies, et même d'invention de style. Admirable dans la justesse, dans la solidité et la netteté de ses idées, il a su conserver ces caractères dans ses expressions, sans perdre de son feu et de sa force: ce qui témoigne incontestablement un grand talent.

Je ne donne pas ces louanges aux graces d'un homme si sage, pour dissimuler ses défauts. Je crois qu'on peut trouver dans ses écrits plus de style que d'invention, et plus de négligence que d'exactitude. Le noeud et le fond de ses contes ont peu d'intérêt, et les sujets en sont bas. On y remarque quelquefois bien des longueurs, et un air de crapule qui ne sauroit plaire. Ni cet auteur n'est parfait en ce genre, ni ce genre n'est assez noble.

Je sais bien que quelques personnes, dont l'autorité est respectable, ne nomment génie dans les poëtes que l'invention dans le dessein de leurs ouvrages. Ce n'est, disent-ils, ni l'harmonie, ni l'élégance des vers, ni l'imagination dans l'expression, ni même l'expression du sentiment, qui caractérisent le poëte: ce sont, à leur avis, les pensées måles et hardies, jointes à l'esprit créateur. Par-là on prouveroit que Bossuet et Newton ont été les plus grands poëtes de la terre; car certainement l'invention, la hardiesse et les pensées mâles ne leur manquoient pas. J'ose leur répondre que c'est confondre les limites des arts que d'en parler de la sorte. J'ajoute que les plus grands poëtes de l'antiquité, tels qu'Homère, Sophocle, Virgile, se trouveroient confondus avec une foule d'écrivains médiocres, si on ne jugeoit d'eux que par le plan de leurs poëmes et par l'invention du dessein; et non par l'invention du style, par leur harmonie, par la chaleur de leur versification, et enfin par la vérité de leurs images.

Si l'on est donc fondé à reprocher quelque défaut à Boileau, ce n'est pas, à ce qu'il me semble, le défaut de génie. C'est au contraire d'avoir eu plus de génie que d'étendue ou de profondeur d'esprit, plus de feu et de vérité que d'élévation et de délicatesse, plus de solidité et de sel dans la critique que de finesse ou de gaîté, et plus d'agrément que de grace : on l'attaque encore sur quelques uns de ses jugements qui semblent injustes; et je ne prétends pas qu'il fût infaillible.

II.
BOILEAU.

Boileau prouve, autant par son exemple que
par ses préceptes, que toutes les beautés des
bons
ouvrages naissent de la vive expression et
de la peinture du vrai ; mais cette expression si
touchante appartient moins à la réflexion, su-
jette à l'erreur, qu'à un sentiment très intime et
très fidèle de la nature. La raison n'étoit pas
distincte, dans Boileau, du sentiment: c'étoit
son instinct. Aussi a-t-elle animé ses écrits de
cet intérêt qu'il est si rare de rencontrer dans
les ouvrages didactiques.

Cela met, je crois, dans son jour, ce que je viens de toucher en parlant de La Fontaine. S'il n'est pas ordinaire de trouver de l'agrément parmi ceux qui se piquent d'être raisonnables, c'est peut-être parceque la raison est entrée dans leur esprit, où elle n'a qu'une vie artificielle et empruntée; c'est parcequ'on honore trop souvent du nom de raison une certaine médiocrité de sentiment et de génie, qui assujettit les hommes aux lois de l'usage, et les détourne des grandes hardiesses, sources ordinaires des grandes fautes.

Boileau ne s'est pas contenté de mettre de la vérité et de la poésie dans ses ouvrages, il a enseigné son art aux autres. Il a éclairé tout son siècle; il en a banni le faux goût, autant qu'il est permis de le bannir chez les hommes. Il

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