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J'excepte les gens d'une imagination frivole et déréglée, qui trouvent dans ces sortes de lectures l'histoire de leurs pensées et de leurs chimères. Ceux-ci, s'ils s'attachent à écrire dans ce genre, travaillent avec une facilité rien que n'égale car ils portent la matière de l'ouvrage dans leur fonds; mais de semblables puerilités n'ont pas leur place dans un esprit sain; il ne peut les écrire, ni les lire.

Lors donc que les premiers s'attachent aux fantômes qu'on leur reproche, c'est parcequ'ils y trouvent une image des illusions de leur esprit, et par conséquent quelque chose qui tient à la vérité, à leur égard; et les autres qui les rejettent, c'est parcequ'ils n'y reconnoissent pas le caractère de leurs sentiments: tant il est manifeste de tous les côtés que le faux connu nous dégoûte, et que nous ne cherchons tous ensemble que la vérité et la nature1.

VIII.

Contre la médiocrité.

Si l'on pouvoit dans la médiocrité n'être ni glorieux, ni timide, ni envieux, ni flatteur, ni préoccupé des besoins et des soins de son état. lorsque le dédain et les manières de tout ce qui nous environne concourent à nous abaisser; si l'on savoit alors s'élever, se sentir, résister à la multitude!... Mais qui peut soutenir son esprit et son cœur au-dessus de sa condition? Qui la médiocrité peut se sauver des foiblesses que traîne avec soi? Dans les conditions éminentes, la fortune au moins nous dispense de fléchir devant ses idoles. Elle nous dispense de nous déguiser, de quitter notre caractère, de nous absorber dans les riens : elle nous élève sans peine au-dessus de la vanité, et nous met au niveau du grand, et si nous sommes nés avec quelques vertus, les moyens et les occasions de les employer sont

en nous.

Enfin, de même qu'on ne peut jouir d'une grande fortune avec une ame basse et un petit génie, on ne sauroit jouir d'un grand génie ni

et de Virgile, dont les fictions sont bien plus éloignées de la vérité que les romans de l'immortel Richardson. F.

Expression impropre pour ni les uns ni les autres. S.

d'une grande ame, dans une fortune médiocre.

IX.

Sur la noblesse.

La noblesse est un héritage, comme l'or et les diamants. Ceux qui regrettent que la considération des grands emplois et des services passe au sang des hommes illustres, accordent davantage aux hommes riches, puisqu'ils ne contestent pas à leurs neveux la possession de leur fortune bien ou mal acquise. Mais le peuple leur fortune bien ou mal acquise. Mais le peuple en juge autrement; car au lieu que la fortune des gens riches se détruit par la dissipation de leurs enfants, la considération de la noblesse se conserve après que la mollesse en a souillé la source. Sage institution qui, pendant que le prix de l'intérêt se consume et s'appauvrit, rend la récompense de la vertu éternelle et ineffaçable!

Qu'on ne nous dise donc plus que la mémoire d'un mérite doit céder à des vertus vivantes. Qui mettra le prix au mérite? C'est sans doute à cause de cette difficulté, que les grands, qui ont de la hauteur, ne se fondent que sur leur naissance, quelque opinion qu'ils aient de leur génie. Tout cela est très raisonnable, si l'on excepte de la loi commune de certains talents qui sont trop au-dessus des règles.

X.

Sur la fortune.

Ni le bonheur ni le mérite seul ne font l'élévation des hommes. La fortune suit l'occasion qu'ils ont d'employer leurs talents. Mais il n'y a peut-être point d'exemple d'un homme à qui le mérite n'ait servi pour sa fortune ou contre l'adversité; cependant la chose à laquelle un homme ambitieux pense le moins, c'est à mériter sa fortune. Un enfant veut être évêque, veut être roi, conquérant, et à peine il connoît l'étendue de ces noms. Voilà la plupart des hommes; ils accusent continuellement la fortune de caprice, et ils sont si foibles, qu'ils lui abandonnent la conduite de leurs prétentions, et qu'ils se reposent sur elle du succès de leur ambition.

XI.

Contre la vanité.

La chose du monde la plus ridicule et la plus inutile, c'est de vouloir prouver qu'on est aimable, ou que l'on a de l'esprit. Les hommes sont fort pénétrants sur les petites adresses qu'on emploie pour se louer ; et soit qu'on leur demande leur suffrage avec hauteur, soit qu'on tâche de les surprendre, ils se croient ordinairement en droit de refuser ce qu'il semble qu'on ait besoin de tenir d'eux. Heureux ceux qui sont nés modestes, et que la nature a remplis d'une noble et sage confiance! Rien ne présente les hommes si petits à l'imagination, rien ne les fait paroître si foibles que la vanité. Il semble qu'elle soit le sceau de la médiocrité; ce qui n'empêche pas qu'on n'ait vu d'assez grands génies accusés de cette foiblesse, le cardinal de Retz, Montaigne, Cicéron, etc. Aussi leur at-on disputé le titre de grands hommes, et non sans beaucoup de raison.

XII.

Ne point sortir de son caractère. Lorsqu'on veut se mettre à la portée des autres hommes, il faut prendre garde d'abord à ne pas sortir de la sienne: car c'est un ridicule insupportable, et qu'ils ne nous pardonnent point; c'est aussi une vanité mal entendue de croire que l'on peut jouer toute sorte de personnages, et d'être toujours travesti. Tout homme qui n'est pas dans son véritable caractère n'est pas dans sa force: il inspire la défiance, et blesse par l'affectation de cette supériorité. Si vous le pouvez, soyez simple, naturel, modeste, uniforme; ne parlez jamais aux hommes que de choses qui les intéressent, et qu'ils puissent aisément entendre. Ne les primez point avec faste. Ayez de l'indulgence pour tous leurs défauts, de la pénétration pour leurs talents, des égards pour leurs délicatesses et leurs préjugés, etc. Voilà peut-être comme un homme supérieur se monte naturellement et sans effort à la portée de chacun. Ce n'est pas la marque d'une grande habileté d'employer beau

Se monte. Il faut se met. M.

coup de finesse, c'est l'imperfection de la nature, qui est l'origine de l'art.

XIII.

Du pouvoir de l'activité.

Qui considérera d'où sont partis la plupart des ministres verra ce que peut le génie, l'ambition et l'activité. Il faut laisser parler le monde, et souffrir qu'il donne au hasard l'honneur de toutes les fortunes, pour autoriser sa mollesse. La nature a marqué à tous les hommes, dans leur caractère, la route naturelle de leur vie, et personne n'est ni tranquille, ni sage, ni bon, ni heureux, qu'autant qu'il connoît son instinct et le suit bien fidèlement. Que ceux qui sont nés pour l'action suivent donc hardiment le leur; l'essentiel est de faire bien; s'il arrive qu'après cela le mérite soit méconnu et le bonheur seul honoré, il faut pardonner à l'erreur. Les hommes ne sentent les choses qu'au degré de leur esprit, et ne peuvent aller plus loin. Ceux qui sont nés médiocres n'ont point de mesure pour les qualités supérieures ; la réputation leur impose plus que le génie, la gloire plus que la vertu; au moins ont-ils besoin que le nom des choses les avertisse et réveille leur attention.

XIV.

Sur la dispute.

ne

Où vous ne voyez pas le fond des choses, parlez jamais qu'en doutant et en proposant vos idées. C'est le propre d'un raisonneur de prendre feu sur les affaires politiques, ou sur tel autre sujet dont on ne sait pas les principes; c'est son triomphe, parce qu'il n'y peut être confondu.

Il y a des hommes avec qui j'ai fait vœu de n'avoir jamais de dispute: ceux qui ne parlent que pour parler ou décider, les sophistes, les ignorants, les dévots et les politiques. Cependant tout peut être utile, il ne faut que se posséder.

XV.

Sujétion de l'esprit de l'homme.

Quand on est au cours des grandes affaires,

rarement tombe-t-on à de certaines petitesses: sur la foi de ces grands témoignages, et ne nous laissons pas abattre au sentiment de nos foiblesses, jusqu'à perdre le soin irréprochable de la gloire et l'ardeur de la vertu.

les grandes occupations élèvent et soutiennent l'ame; ce n'est donc pas merveille qu'on y fasse bien. Au contraire, un particulier qui a l'esprit naturellement grand, se trouve resserré et à l'étroit dans une fortune privée; et comme il n'y est pas à sa place, tout le blesse et lui fait violence. Parcequ'il n'est pas né pour les petites choses, il les traite moins bien qu'un autre, ou elles le fatiguent davantage, et il ne lui est pas possible, dit Montaigne, de ne leur donner que l'attention qu'elles méritent, ou de s'en retirer à sa volonté ; s'il fait tant que de s'y livrer, elles l'occupent tout entier et l'engagent à des petitesses dont il est lui-même surpris. Telle est la foiblesse de l'esprit humain, qui se manifeste encore par mille autres endroits, et qui fait dire à Pascal': L'esprit du plus grand homme du monde n'est pas si indépendant, qu'il ne soit sujet à être troublé par le moindre tintamarre qui se fait autour de lui. Il ne faut pas le bruit d'un canon pour empêcher ses pensées: il ne faut que le bruit d'une girouette ou d'une poulie. Ne vous étonnez pas, continue-t-il, s'il ne raisonne pas bien à présent; une mouche bourdonne à ses oreilles : c'en est assez pour le rendre incapable de bon conseil. Si vous voulez qu'il trouve la vérité, chassez cet animal qui tient sa raison en échec, et trouble cette puissante intelligence qui gouverne les villes et les royaumes. Rien n'est plus vrai, sans doute, que cette pensée; mais il est vrai aussi, de l'aveu de Pascal, que cette même intelligence, qui est si foible, gouverne les villes et les royaumes: aussi le même auteur remarque que plus on approfondit l'homme, plus on y démêle de foiblesse et de grandeur; et c'est lui qui dit encore dans un autre endroit, après Montaigne Cette duplicité de l'homme est si visible, qu'il y en a qui ont cru que nous avions deux ames3: un sujet simple paroissant incapable de telles et si soudaines variétés, d'une présomption démesurée à un horrible abattement de cœur. Rassurons-nous done

Pensées de Pascal, Ire partie, art. VI, pensée XII. B. * Pensées de Pascal, Ile partie, art. V. pensée V. B.

3 C'est Platon, qui admettoit deux ames, l'une non engendrée par Dieu, qui n'est qu'une faculté imaginative, privée d'ordre et de raison; l'autre engendrée et disposée par Dieu, qui I a établie maitresse et ordonnatrice du monde qu'il a formé. Voyez Plutarque. De la création de l'Ame. F.

XVI.

On ne peut être dupe de la veriu.

Que ceux qui sont nés pour l'oisiveté et la mollesse y meurent et s'y ensevelissent; je ne prétends pas les troubler, mais je parle au reste des hommes, et je dis : On ne peut être dupe de la vraie vertu; ceux qui l'aiment sincèrement y goûtent un secret plaisir, et souffrent à s'en détourner : quoi qu'on fasse aussi pour la gloire, jamais ce travail n'est perdu, s'il tend à nous en rendre dignes. C'est une chose étrange que tant d'hommes se défient de la vertu et de la gloire, comme d'une route hasardeuse, et qu'ils regardent l'oisiveté comme un parti sûr et solide. Quand même le travail et le mérite pourroient nuire à notre fortune, il y auroit toujours à gagner à les embrasser. Que sera-ce s'ils y concourent? Si tout finissoit par la mort, ce seroit une extravagance de ne pas donner toute notre application à bien disposer notre vie, puisque nous n'aurions que le présent ; mais nous croyons un avenir, et l'abandonnons au hasard : cela est bien plus inconcevable. Je laisse tout devoir à part, la morale et la religion, et je demande : L'ignorance vaut-elle mieux que la science, la paresse que l'activité, l'incapacité que les talents? Pour peu que l'on ait de raison, on ne met point ces choses en parallèle '. Quelle honte donc de choisir ce qu'il y a de l'extravagance à égaler? S'il faut des exemples pour nous décider, d'un côté Coligny, Turenne, Bossuet, Richelieu, Fénelon, etc.; de l'autre, les gens à la mode, les gens du bel air, ceux qui passent toute leur vie dans la dissipation et les plaisirs. Comparons ces deux genres d'hommes, et voyons ensuite auquel d'eux 3 nous aimerions mieux ressembler.

Lorsque Vauvenargues écrivoit, J.-J. Rousseau n'avoit point encore soutenu ses brillants paradoxes. F.

» Pour égaliser, estimer égales. S.

3 Il faut, auquel d'entre eux. S.

XVII.

Sur la familiarité.

Il n'est point de meilleure école ni plus nécessaire que la familiarité. Un homme qui s'est retranché toute sa vie dans un caractère réservé, fait les fautes les plus grossières lorsque les occasions l'obligent d'en sortir et que les affaires l'engagent. Ce n'est que par la familiarité que l'on guérit de la présomption, de la timidité, de la sotte hauteur; ce n'est que dans un commerce libre et ingénu qu'on peut bien connoître les hommes; qu'on se tâte, qu'on se démèle, et qu'on se mesure avec eux : là on voit l'humanité nue avec toutes ses foiblesses et toutes ses forces; là se découvrent les artifices dont on s'enveloppe pour imposer en public; là paroît la stérilité de notre esprit, la violence et la petitesse de notre amour-propre, l'imposture de nos vertus.

Ceux qui n'ont pas le courage de chercher la vérité dans ces rudes épreuves, sont profondément au-dessous de tout ce qu'il y a de grand; surtout c'est une chose basse que de craindre la raillerie, qui nous aide à fouler aux pieds notre amour-propre, et qui émousse, par l'habitude de souffrir, ses honteuses délicatesses.

XVIII.

Nécessité de faire des fautes.

Il ne faut pas être timide de peur de faire des fautes; la plus grande faute de toutes est de se priver de l'expérience. Soyons très persuadés qu'il n'y a que les gens foibles qui aient cette crainte excessive de tomber et de laisser voir leurs défauts; ils évitent les occasions où ils pourroient broncher et être humiliés; ils rasent timidement la terre, n'osent rien donner au hasard, et meurent avec toutes leurs foiblesses qu'ils n'ont pu cacher. Qui voudra se former au grand, doit risquer de faire des fautes, et ne pas s'y laisser abattre, ni craindre

Expression négligée. Ce mot vague de chose doit être employé très sobrement. Je ne sais si l'on peut appeler bassesse, en aucun sens, la crainte de la raillerie. S. Bassesse est ici, je crois, pour foiblesse. M.

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de se découvrir1; ceux qui pénétreront ses foibles tâcheront de s'en prévaloir, mais ils le pourront rarement. Le cardinal de Retz disoit ses principaux domestiques : « Vous êtes deux ou trois à qui je n'ai pu me dérober; mais j'ai si bien établi ma réputation, et par vousmêmes, qu'il vous seroit impossible de me «nuire quand vous le voudriez 2. › Il ne mentoit pas son historien rapporte qu'il s'étoit battu avec un de ses écuyers, qui l'avoit accablé de coups, sans qu'une aventure si humiliante pour un homme de ce caractère et de ce rang ait pu lui abattre le cœur ou faire aucun tort à sa gloire; mais cela n'est pas surprenant : combien d'hommes déshonorés soutiennent par leur seule audace la conviction publique de leur infamie, et font face à toute la terre? Si l'effronterie peut autant, que ne fera pas la constance? Le courage surmonte tout.

XIX.

Sur la libéralité.

Un homme très jeune peut se reprocher comme une vanité onéreuse et inutile la secrète complaisance qu'il a à donner. J'ai eu cette crainte moi-même avant de connoître le monde; quand j'ai vu l'étroite indigence où vivent la plupart des hommes, et l'énorme pouvoir de l'intérêt sur tous les cœurs, j'ai changé d'avis, et j'ai dit Voulez-vous que tout ce qui vous environne vous montre un visage content, vos enfants, vos domestiques, votre femme, vos amis et vos ennemis, soyez libéral; voulez-vous conserver impunément beaucoup de vices 3, avez-vous besoin qu'on vous pardonne des mœurs singulières ou des ridicules; voulez-vous

Pour se laisser abattre; c'est une négligence. Se découvrir signifie ici laisser apercevoir ses fautes. S.

2 Guy Joly, conseiller au Châtelet, rapporte en effet dans ses Mémoires, que, lorsqu'il reprochoit au cardinal sa vie licencieuse, ce prélat lui faisoit cette réponse. F.

3 Dans cet article, Vauvenargues sembleroit mettre au nom

bre des avantages de la libéralité le droit de conserver impuné ment beaucoup de vices; ce qui n'est ni ne peut être son projet, comme on peut s'en convaincre par la pureté du reste de sa morale. Mais ayant à démontrer les avantages que procure la libéralité, il a voulu commencer par démontrer le pouvoir qu'elle a de tout obtenir des hommes, et n'a pas assez distingué ce qui sert de preuve de son pouvoir d'avec la démonstration de ses avantages. S.

de gobelets qui lui a montré quelques tours, et se fait appeler en justice par un domestique qu'il a renvoyé injustement, et auquel il refuse de payer des avances faites à son service.

Quiconque a naturellement beaucoup de fantaisies a peu de jugement, et l'ame probablement foible. Je méprise autant que personne des hommes de ce caractère; mais je dis hardiment aux autres : Apprenons à subordonner les petits intérêts aux grands, même éloignés, et faisons généreusement et sans compter tout le bien qui tente nos cœurs: on ne peut être dupe d'aucune vertu.

XX.

rendre vos plaisirs faciles, et faire que les hom- | ques mois après; donne dix louis à un joueur mes vous abandonnent leur conscience, leur honneur, leurs préjugés, ceux même dont ils font plus de bruit? tout cela dépendra de vous; quelque affaire que vous ayez, et quels que puissent être les hommes avec qui vous voulez traiter, vous ne trouverez rien de difficile si vous savez donner à propos. L'économe qui a des vues courtes n'est pas seulement en garde contre ceux qui peuvent le tromper, il appréhende aussi d'ètre dupe de lui-même s'il achète quelque plaisir qu'il lui eût été impossible de se procurer autrement, il s'en accuse aussitôt comme d'une foiblesse ; lorsqu'il voit un homme qui se plait à faire louer sa générosité et à surpayer les services, il le plaint de cette illusion : Croyez-vous de bonne foi, lui dit-il, qu'on vous en ait plus d'obligation? Un misérable se présente à lui, qu'il pourroit soulager et combler de joie à peu de frais; il en a d'abord compassion, et puis il se reprend et pense: C'est un homme que je ne verrai plus. Un autre malheureux s'offre encore à lui, et il fait le même raisonnement. Ainsi toute sa vie se passe sans qu'il trouve l'occasion d'obliger personne, de se faire aimer, d'acquérir une considération utile et lé-lesse, etc., condamneroit toute la vie de Pascal gitime : il est défiant et inquiet, sévère à luimême et aux siens, père et maître dur et fàcheux; les détails frivoles de son domestique le brouillent comme les affaires les plus importantes, parcequ'il les traite avec la même exactitude il ne pense pas que ses soins puissent être mieux employés, incapable de concevoir le prix du temps, la réalité du mérite et l'utilité des plaisirs.

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Il faut avouer ce qui est vrai : il est difficile, surtout aux ambitieux, de conduire une fortune médiocre avec sagesse, et de satisfaire en même temps des inclinations libérales, des besoins présents, etc.; mais ceux qui ont l'esprit véritablement élevé se déterminent selon l'occurrence, par des sentiments où la prudence ordinaire ne sauroit atteindre : je vais m'expliquer. Un homme né vain et paresseux, qui vit sans dessein et sans principes, cède indifféremment à toutes ses fantaisies, achète un cheval trois cents pistoles, qu'il laisse pour cinquante quel

• Expression familière et négligée pour le troublent. S.

Maxime de Pascal, expliquée.

Le peuple et les habiles composent, pour l'ordinaire, le train du monde; les autres le méprisent, et en sont méprisés: maxime admirable de Pascal, mais qu'il faut bien entendre. Qui croiroit que Pascal a voulu dire que les habiles doivent vivre dans l'inapplication et la mol

par sa propre maxime; car personne n'a moins vécu comme le peuple que Pascal à ces égards: donc le vrai sens de Pascal, c'est que tout homme qui cherche à se distinguer par des apparences singulières, qui ne rejette pas les maximes vulgaires parcequ'elles sont mauvaises, mais parcequ'elles sont vulgaires ; qui s'attache à des sciences stériles, purement curieuses et de nul usage dans le monde; qui est pourtant gonflé de cette fausse science, et ne peut arriver à la véritable; un tel homme, comme il dit plus haut, trouble le monde, et juge plus mal que les autres. En deux mots, voici sa pensée, expliquée d'une autre manière : Ceux qui n'ont qu'un esprit médiocre ne pénètrent pas jusqu'au bien ou jusqu'à la nécessité qui autorise certains usages, et s'érigent mal à propos en réformateurs de leur siècle : les habiles mettent à profit la coutume bonne ou mauvaise, abandonnent leur extérieur aux légèretés de la mode, et savent se proportionner au besoin de tous les esprits.

■ Pensées de Pascal, Ire partie, art. VI, pensée XXV. B.

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