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Cette intime satisfaction nous conduit quelquefois à nous estimer nous-mêmes, par de très frivoles endroits; il me semble que les personnes enjouées sont ordinairement un peu plus vaines que les autres.

donne un être et un intérêt aux choses les moins | être réel est une préférence bien incontestable importantes, fait que nous nous plaisons par de la gloire, et qui justifie la distinction que instinct en nous-mêmes, dans nos possessions, quelques écrivains ont mise avec sagesse entre nos entours, notre esprit, notre suffisance, l'amour-propre et l'amour de nous-mêmes. malgré d'assez grandes misères. Ceux-ci conviennent bien que l'amour de nousmêmes entre dans toutes nos passions; mais ils distinguent cet amour de l'autre. Avec l'amour de nous-mêmes, disent-ils, on peut chercher hors de soi son bonheur ; on peut s'aimer hors de soi davantage que son existence propre ; on n'est point à soi-même son unique objet. L'amour-propre, au contraire, subordonne tout à ses commodités et à son bien-être 2 ; il est à luimême son seul objet et sa seule fin de sorte qu'au lieu que les passions, qui viennent de l'amour de nous-mêmes, nous donnent aux

:

D'autre part, les mélancoliques sont ardents, timides, inquiets, et ne se sauvent, la plupart, de la vanité, que par l'ambition et l'orgueil.

XXIV.

De l'amour-propre et de l'amour de nous-mêmes. choses, l'amour-propre veut que les choses se donnent à nous, et se fait le centre de tout.

Rien ne caractérise donc l'amour-propre, comme la complaisance qu'on a dans soi-même et les choses qu'on s'approprie.

L'orgueil est un effet de cette complaisance. Comme on n'estime généralement les choses qu'autant qu'elles plaisent, et que nous nous plaisons si souvent à nous-mêmes devant toutes choses; de là ces comparaisons toujours in

L'amour est une complaisance dans l'objet aimé. Aimer une chose, c'est se complaire dans sa possession, sa grâce, son accroissement; craindre sa privation, ses déchéances, etc.

Plusieurs philosophes rapportent généralement à l'amour-propre toute sorte d'attachements. Ils prétendent qu'on s'approprie tout ce que l'on aime, qu'on n'y cherche que son plaisir et sa propre satisfaction, qu'on se met soi-justes qu'on fait de soi-même à autrui, et

qui fondent tout notre orgueil.

Mais les prétendus avantages pour lesquels nous nous estimons étant grandement variés, nous les désignons par les noms que nous leur avons rendus propres. L'orgueil qui vient d'une confiance aveugle dans nos forces, nous l'avons nommé présomption; celui qui s'attache à de petites choses, vanité; celui qui est courageux, fierté.

même avant tout; jusque-là qu'ils nient que celui
qui donne sa vie pour un autre, le préfère à
soi. Ils passent le but en ce point: car si l'objet
de notre amour nous est plus cher sans l'être,
que l'être sans l'objet de notre amour, il paroît
que c'est notre amour qui est notre passion do-
minante, et non notre individu propre; puisque
tout nous échappe avec la vie, le bien que nous
nous étions approprié par notre amour, comme
notre être véritable. Ils répondent que la pas-
sion nous fait confondre dans ce sacrifice notre
vie et celle de l'objet aimé; que nous croyons
n'abandonner qu'une partie de nous-mêmes
pour conserver l'autre : au moins ils ne peuvent
nier que celle que nous conservons nous pa-
roît plus considérable que celle que nous aban-bons
donnons. Or, dès que nous nous regardons
comme la moindre partie dans le tout, c'est une
préférence manifeste de l'objet aimé. On peut
dire la même chose d'un homme qui, volon-
tairement et de sang-froid, meurt pour la gloi-
re; la vie imaginaire qu'il achète au prix de son

1 On peut s'aimer hors de soi davantage que son existence propre. Cela n'est pas correct. Davantage est un adverbe de comparaison, mais qui s'emploie absolument, sans être suivi de la conjonction que. Lorsque cette conjonction est nécessaire, il faut substituer plus à davantage. Il y a dans l'ouvrage de Vau

venargues plusieurs autres incorrections que nous n'avons pas

cru devoir relever; nous remarquons celle-ci, parce que d'assez

écrivains ont commis la même faute. S.

L'amour-propre, au contraire, subordonne tout à ses commodités et à son bien-être. Cette manière de distinguer l'amour de nous-mêmes de l'amour-propre, paroît plus subtile que juste; et ce que Vauvenargues applique ici à l'amour-pro

pre, seroit plutôt le caractère de ce qu'on entend par le mot égoïsme. Ce qu'on exprime communément par le mot d'amourpropre, c'est l'amour des choses qui nous sont propres, la com

plaisance pour nos qualités ou nos avantages personnels, plutôt que l'attention au bien-être de notre personne. S.

2

Tout ce qu'on ressent de plaisir en s'appro- | priant quelque chose, richesse, agrément, héritage, etc., et ce qu'on éprouve de peine par la perte des mêmes biens, ou la crainte de quelque mal, la peur, le dépit, la colère, tout cela vient de l'amour-propre.

ignoreroit que tous les hommes ne sont pas égaux par le cœur, il suffit de savoir qu'ils envisagent les choses selon leurs lumières, peutêtre encore plus inégales, pour comprendre la différence qui distingue les passions même qu'on désigne du même nom. Si différemment partagés par l'esprit et les sentiments, ils s'attachent au même objet sans aller au même intérêt 1; et cela n'est pas seulement vrai des ambitieux, mais aussi de toute passion.

XXVI.

L'amour-propre se mêle à presque tous nos sentiments, ou du moins l'amour de nous-mêmes; mais pour prévenir l'embarras que feroient naître les disputes qu'on a sur ces termes, j'use d'expressions synonymes, qui me semblent moins équivoques. Ainsi je rapporte tous nos sentiments à celui de nos perfections et de notre imperfection: ces deux grands principes nous portent de concert à aimer, estimer, Que de choses sont comprises dans l'amour conserver, agrandir et défendre du mal notre du monde! le libertinage, le desir de plaire, frêle existence. C'est la source de tous nos plai-l'envie de primer, etc. : l'amour du sensible et sirs et déplaisirs, et la cause féconde des pas- du grand ne sont nulle part si mêlés 2. sions qui viennent par l'organe de la réflexion.

De l'amour du monde.

Tachons d'approfondir les principales; nous suivrons plus aisément la trace des petites, qui ne sont que des dépendances et des branches de XXV.

Le génie et l'activité portent les hommes à la vertu et à la gloire : les petits talents, la paresse, le goût des plaisirs, la gaieté et la vanité les fixent aux petites choses: mais en tout c'est le même instinct ; et l'amour du monde renferme de vives semences de presque toutes les passions.

celles-ci.

De l'ambition.

L'instinct qui nous porte à nous agrandir n'est aucune part si sensible que dans l'ambition ; mais il ne faut pas confondre tous les ambitieux. Les uns attachent la grandeur solide à l'autorité des emplois; les autres aux grandes richesses; les autres au faste des titres, etc.; plusieurs vont à leur but sans nul choix des moyens; quelques uns par de grandes choses, et d'autres par les plus petites : ainsi telle ambition est vice; telle, vertu; telle, vigueur d'esprit; telle, égarement et bassesse, etc.

Toutes les passions prennent le tour de notre caractère. Nous avons vu ailleurs que l'ame influoit beaucoup sur l'esprit ; l'esprit influe aussi sur l'ame. C'est de l'ame que viennent tous les sentiments; mais c'est par les organes de l'es-rét. C'est-à-dire sans voir de même l'objet où ils s'attachent, et sans y être portés par le même intérêt. Deux hommes veu

Ils s'attachent au même objet sans aller au même intê

prit que passent les objets qui les excitent. Selon les couleurs qu'il leur donne, selon qu'il les pénètre, qu'il les embellit, qu'il les déguise, l'ame les rebute ou s'y attache. Quand donc mème on

lent la même place, l'un pour l'argent et l'autre pour le crédit. Deux amants recherchent la même femme, l'un pour sa figure et l'autre pour son esprit, etc. S.

L'amour du sensible et du grand ne sont nulle part si mélés. C'est-à-dire, je crois, selon la manière de voir de Vauvenargues, les penchants physiques et les sentiments moraux. D'autant que dans la première édition, il ajoutoit : je parle d'un grand, mesuré à l'esprit et au cœur qu'il touche. Dans tous les cas cela n'est pas clair. S.

L'instinct qui nous porte à nous agrandir n'est aucune part si sensible que dans l'ambition. Aucune part pour nulle part, expression négligée. S.

XXVII.

Sur l'amour de la gloire.

La gloire nous donne sur les cœurs une autorité naturelle qui nous touche sans doute autant que nulle de nos sensations, et nous étourdit plus sur nos misères qu'une vaine dissipation : elle est donc réelle en tous sens.

Ceux qui parlent de son néant inévitable soutiendroient peut-être avec peine le mépris ouvert d'un seul homme. Le vide des grandes passions est rempli par le grand nombre des petites : les contempteurs de la gloire se piquent de bien danser, ou de quelque misère encore

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cis de leurs connoissances et le fruit de leurs longues veilles. L'étude d'une vie entière s'y peut recueillir dans quelques heures; c'est un grand secours.

On ne peut avoir l'ame grande, ou l'esprit un peu pénétrant, sans quelque passion pour les lettres. Les arts sont consacrés à peindre les traits de la belle nature; les sciences à la vérité. Les arts et les sciences embrassent tout ce qu'il y a dans la pensée de noble ou d'utile; de sorte qu'il ne reste à ceux qui les rejettent que ce qui est indigne d'être peint ou enseigné, etc.

Deux inconvénients sont à craindre dans cette passion : le mauvais choix et l'excès. Quant au mauvais choix, il est probable que ceux qui s'attachent à des connoissances peu utiles ne seroient pas propres aux autres; mais l'excès se peut corriger.

Si nous étions sages, nous nous bornerions à un petit nombre de connoissances, afin de les mieux posséder. Nous tâcherions de nous les rendre familières et de les réduire en pratique : la plus longue et la plus laborieuse théorie n'éclaire qu'imparfaitement. Un homme qui n'auroit jamais dansé posséderoit inutilement les règles de la danse; il en est sans doute de même des métiers d'esprit 1.

La plupart des hommes honorent les lettres comme la religion et la vertu1; c'est-à-dire comme une chose qu'ils ne peuvent ni connoître, ni pratiquer, ni aimer.

Personne néanmoins n'ignore que les bons livres sont l'essence des meilleurs esprits, le pré

La plupart des hommes honorent les lettres comme la religion et la vertu. Il faut : comme ils honorent. On avoit copié cette pensée dans l'Encyclopédie, sans en citer l'auteur. Les journalistes de Trévoux, qui avoient fort loué l'ouvrage de Vauvenargues lorsqu'il parut, firent un crime de cette maxime aux encyclopédistes. M.

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Je dirai bien plus: rarement l'étude est utile, lorsqu'elle n'est pas accompagnée du commerce du monde. Il ne faut pas séparer ces deux choses : l'une nous apprend à penser, l'autre à agir; l'une à parler, l'autre à écrire; l'une à disposer nos actions, l'autre à les rendre faciles.

L'usage du monde nous donne encore de penser naturellement, et l'habitude des sciences, de penser profondément.

Par une suite naturelle de ces vérités, ceux qui sont privés de l'un et l'autre avantage par leur condition fournissent une preuve incontestable de l'indigence naturelle de l'esprit humain. Un vigneron, un couvreur, resserrés dans un petit cercle d'idées très communes, connoissent à peine les plus grossiers usages de la raison, et n'exercent leur jugement, supposé qu'ils en aient reçu de la nature, que sur des objets très palpables. Je sais bien que l'éducation ne peut suppléer le génie; je n'ignore pas que les dons de la nature valent mieux que les dons de l'art': cependant l'art est nécessaire pour faire fleurir les talents. Un beau naturel négligé ne porte jamais de fruits mûrs.

Il en est sans doute de même des métiers d'esprit. Il faudroit, ce me semble, des métiers de l'esprit. M.

2 Je n'ignore pas que les dons de la nature valent mieux que les dons de l'art. Je ne sais si l'on peut dire les dons de l'art comme les dons la nature. La nature donne, dote, doue; l'art ne fait rien de tout cela: il vend et ne donne pas, et l'on achète ses biens avec l'étude et le travail. M.

Peut-on regarder comme un bien un génie à | pour les sens et un plaisir pour l'ame. Les sens peu près stérile? Que servent à un grand sei- sont flattés d'agir, de galoper un cheval1, d'engneur les domaines qu'il laisse en friche? Est-il tendre un bruit de chasse dans une forêt; l'ame riche de ces champs incultes? jouit de la justesse de ses sens, de la force et de l'adresse de son corps, etc. Aux yeux d'un philosophe qui médite dans son cabinet, cette gloire est bien puérile; mais, dans l'ébranlement de l'exercice, on ne scrute pas tant les choses. En approfondissant les hommes, on rencontre des vérités humiliantes, mais incontestables.

XXIX.

De l'avarice.

Ceux qui n'aiment l'argent que pour la dépense ne sont pas véritablement avares. L'avarice est une extrême défiance des évènements, qui cherche à s'assurer contre les instabilités de la fortune par une excessive prévoyance, et manifeste cet instinct avide qui nous sollicite d'accroître, d'étayer, d'affermir notre être. Basse et déplorable manie, qui n'exige ni connoissance, ni vigueur d'esprit, ni jeunesse, et qui prend par cette raison, dans la défaillance des sens, la place des autres passions.

Vous voyez l'ame d'un pêcheur qui se détache en quelque sorte de son corps pour suivre un poisson sous les eaux, et le pousser au piége que sa main lui tend. Qui croiroit qu'elle s'applaudit de la défaite du foible animal, et triomphe au fond du filet? Toutefois rien n'est si

Des commencements souvent heureux remplissent l'esprit des joueurs de l'idée d'un gain très rapide qui paroît toujours sous leurs mains: cela détermine.

sensible.

Un grand, à la chasse, aime mieux tuer un sanglier qu'une hirondelle : par quelle raison? Tous la voient.

XXX.

XXXII.

De la passion du jeu.

De l'amour paternel.

Quoique j'aie dit que l'avarice naît d'une défiance ridicule des évènements de la fortune, et L'amour paternel ne diffère pas de l'amourqu'il semble que l'amour du jeu vienne au con- propre. Un enfant ne subsiste que par ses patraire d'une ridicule confiance aux mêmes évèrents, dépend d'eux, vient d'eux, leur doit nements, je ne laisse pas de croire qu'il y a des tout; ils n'ont rien qui leur soit si propre. joueurs avares et qui ne sont confiants qu'au jeu : encore ont-ils, comme on dit, un jeu ti

mide et serré.

Aussi un père ne sépare point l'idée d'un fils de la sienne, à moins que le fils n'affoiblisse cette idée de propriété par quelque contradiction; mais plus un père s'irrite de cette contradiction, plus il s'afflige, plus il prouve ce que je dis.

XXXIII.

De l'amour filial et fraternel.

Comme les enfants n'ont nul droit sur la vo

lonté de leurs pères, la leur étant au contraire toujours combattue, cela leur fait sentir qu'ils sont des êtres à part, et ne peut pas leur inspirer de l'amour-propre; parceque la propriété est visible. C'est par cette raison que la tendresse ne sauroit être du côté de la dépendance : cela des enfants n'est pas aussi vive que celle des pères; mais les lois ont pourvu à cet inconvénient. Elles sont un garant au père contre l'in

Par combien de motifs d'ailleurs n'est - on pas porté à jouer? par cupidité, par amour du faste, par goût des plaisirs, etc. Il suffit donc d'aimer quelqu'une de ces choses pour aimer le jeu; c'est une ressource pour les acquérir, hasardeuse à la vérité, mais propre à toute sorte d'hommes, pauvres, riches, foibles, malades, jeunes et vieux, ignorants et savants, sots et habiles, etc.: aussi n'y a-t-il point de passion plus commune que celle-ci.

XXXI.

De la passion des exercices.

Il y a dans la passion des exercices un plaisir | Les sens ne galopent pas un cheval. M.

▪ Les sens sont flattés d'agir, de galoper un cheval. Négligé.

gratitude des enfants, comme la nature est aux | accordons sur lui. Quel empire! mais c'est là enfants un ôtage assuré contre l'abus des lois. l'homme. Il étoit juste d'assurer à la vieillesse les secours qu'elle avoit prêtés à la foiblesse de l'enfance.

La reconnoissance prévient, dans les enfants bien nés, ce que le devoir leur impose. Il est dans la saine nature d'aimer ceux qui nous aiment et nous protégent; et l'habitude d'une juste dépendance en fait perdre le sentiment: mais il suffit d'être homme pour être bon père; et si l'on n'est homme de bien, il est rare qu'on

soit bon fils.

Du reste, qu'on mette à la place de ce que je dis la sympathie ou le sang, et qu'on me fasse entendre pourquoi le sang ne parle pas autant dans les enfants que dans les pères; pourquoi la sympathie périt quand la soumission diminue; pourquoi des frères souvent se haissent sur des fondements si légers, etc.

Mais quel est donc le nœud de l'amitié des frères? Une fortune, un nom communs, même naissance et même éducation, quelquefois même caractère; enfin l'habitude de se regarder comme appartenant les uns aux autres, et comme n'ayant qu'un seul être. Voilà ce qui fait que l'on s'aime, voilà l'amour-propre ; mais trouvez le moyen de séparer des frères d'intérêt, l'amitié lui survit à peine; l'amour-propre qui en étoit le fonds se porte vers d'autres objets.

XXXIV.

De l'amour que l'on a pour les bêtes.

:

Il peut entrer quelque chose qui flatte les sens dans le goût qu'on nourrit pour certains animaux, quand ils nous appartiennent. J'ai toujours pensé qu'il s'y mêle de l'amour-propre rien n'est si ridicule à dire, et je suis fâché qu'il soit vrai1; mais nous sommes si vides, que, s'il s'offre à nous la moindre ombre de propriété, nous nous y attachons aussitôt. Nous prétons à un perroquet des pensées et des sentiments; nous nous figurons qu'il nous aime, qu'il nous craint, qu'il sent nos faveurs, etc. Ainsi nous aimons l'avantage que nous nous

XXXV.

De l'amitié.

C'est l'insuffisance de notre être qui fait naître l'amitié, et c'est l'insuffisance de l'amitié même, qui la fait périr.

Est-on seul? on sent sa misère, on sent qu'on a besoin d'appui; on cherche un fauteur de ses goûts, un compagnon de ses plaisirs et de ses peines; on veut un homme dont on puisse posseder le cœur et la pensée. Alors l'amitié paroit être ce qu'il y a de plus doux au monde. A-t-on ce qu'on a souhaité, on change bientôt de pensée.

■ Rien n'est si ridicule à dire, et je suis fáché qu'il soit vrai. C'est la seconde fois qu'on relève cette façon de parler, qu'il soit vrai, pour que cela soit vrai; c'est une faute. S.

Lorsqu'on voit de loin quelque bien, il fixe d'abord nos desirs; et lorsqu'on y parvient, on en sent le néant. Notre ame, dont il arrêtoit la vue dans l'éloignement, ne sauroit s'y reposer quand elle voit au-delà : ainsi l'amitié, qui de loin bornoit toutes nos prétentions, cesse de les borner de près; elle ne remplit pas le vide qu'elle avoit promis de remplir; elle nous laisse des besoins qui nous distraient et nous portent

vers d'autres biens.

Alors on se néglige, on devient difficile, on exige bientôt comme un tribut les complaisances qu'on avoit d'abord reçues comme un don. C'est le caractère des hommes de s'approprier peu à peu jusqu'aux graces dont ils jouissent; une longue possession les accoutume naturellement à regarder les choses qu'ils possèdent comme eux; ainsi l'habitude les persuade qu'ils ont un droit naturel sur la volonté de leurs amis. Ils voudroient s'en former un titre pour les gouverner; lorsque ces prétentions sont réciproques, comme on voit souvent, l'amour-propre s'irrite et crie des deux côtés, produit de l'aigreur, des froideurs, et d'amères explications, etc.

On se trouve aussi quelquefois mutuellement des défauts qu on s'étoit cachés; ou l'on tombe dans des passions qui dégoûtent de l'amitié,

L'habitude les persuade qu'ils ont un droit naturel sur la volonté de leurs amis. Il faut, je crois, leur persuade. S. 2 Lorsque ces prétentions sont réciproques, comme on voit souvent, l'amour-propre s'irrite. Il faudroit, comme on le voit souvent. S.

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