Page images
PDF
EPUB

indifférente dans la vie; si nous la conduisons sans la connoissance de la vérité, quel abîme!

Qui sait ce qu'il doit estimer, ou mépriser, ou hair, s'il ne sait ce qui est bien ou ce qui est mal? et quelle idée aura-t-on de soi-même, si on ignore ce qui est estimable? etc.

On ne prouve point les principes, me disoit-on. Voyons, s'il est vrai, répondois-je; car cela même est un principe très-fécond, et qui peut nous servir de fondement ".

Cependant j'ignorois la route que je devois suivre pour sortir des incertitudes qui m'environnoient. Je ne savois précisément ni ce que je cherchois, ni ce qui pouvoit m'éclairer; et je connoissois peu de gens qui fussent en état de m'instruire. Alors j'écoutai cet instinct qui excitoit ma curiosité et mes inquiétudes, et je dis que veux-je savoir? que m'importe-t-il de connoitre? Les choses qui ont avec moi les rapports les plus nécessaires? sans doute. Et où trouverai-je ces rapports, sinon dans l'étude de moi-même et la connoissance des hommes, qui sont l'unique fin de mes actions, et l'objet de toute ma vie? Mes plaisirs, mes chagrins, mes passions, mes affaires, tout roule sur eux. Si j'existois seul sur la terre, sa possession entière seroit peu pour moi je n'aurois plus ni soins, ni plaisirs, ni desirs; la fortune et la gloire même ne seroient pour moi que des noms; car il ne faut pas s'y méprendre : nous ne jouissons que des hommes, le reste n'est rien 4. Mais, continuai-je, éclairé par une nouvelle lumière; qu'est-ce que l'on ne trouve pas dans la connoissance de l'homme? Les

3

Pour si cela est vrai; locution familière, mais peu exacte. M. On trouve encore ici dans la première édition un passage que nous rétablissons, et qui fut supprimé dans la seconde : Nous nous appliquons à la chimie, à l'astronomie, ou à ce • qu'on appelle érudition, comme si nous n'avions rien à connoître de plus important. Nous ne manquons pas de prétexte pour justifier ces études. Il n'y a point de science qui n'ait « quelque côté utile. Ceux qui passent toute leur vie à l'étude des coquillages, disent qu'ils contemplent la nature. O dé⚫mence aveugle! la gloire est-elle un nom, la vertu une erreur, la foi un fantôme? Nous nions ou nous recevons ces ⚫ opinions que nous n'avons jamais approfondies, et nous nous occupons tranquillement de sciences purement curieuses. • Croyons-nous connoître les choses dont nous ignorons les prin⚫cipes?

• Pénétré de ces réflexions dès mon enfance, et blessé des ⚫ contradictions trop manifestes de nos opinions, je cherchai ⚫ au travers de tant d'erreurs les sentiers délaissés du vrai, et je dis, que veux-je savoir, etc. >>

3 Fortune, pris dans le sens de richesse, peut procurer à l'homme vivant dans la solitude la plus absolue, quelques jouissances matérielles; mais quelle peut être la gloire pour un être isolé ? elle n'existe pas hors de l'état de société. B.

4 Cela est au moins obscur; nous jouissons aussi des choses. M.-L'auteur a voulu dire que nous ne jouissons que par le sentiment d'opinion que nous inspirons à ceux qui nous entourent, et que nos plaisirs sont au moral le résultat de l'amour-propre et de la vanité flattés. B.

[ocr errors]

devoirs des hommes rassemblés en société, voilà la morale; les intérêts réciproques de ces sociétés, voilà la politique; leurs obligations envers Dieu, voilà la religion.

Occupé de ces grandes vues, je me proposai d'abord de parcourir toutes les qualités de l'esprit, ensuite toutes les passions, et enfin toutes les vertus et tous les vices qui, n'étant que des qualités humaines, ne peuvent être connus que dans leur principe. Je méditai donc sur ce plan, et je posai les fondements d'un long travail. Les passions inséparables de la jeunesse, des infirmités continuelles, la guerre survenue dans ces circonstances, ont interrompu cette étude. Je me proposois de la reprendre un jour dans le repos, lorsque de nouveaux contre-temps m'ont ôté, en quelque manière, l'espérance de donner plus de perfection à cet ouvrage.

Je me suis attaché, autant que j'ai pu, dans cette seconde édition, à corriger les fautes de langage qu'on m'a fait remarquer dans la première. J'ai retouché le style en beaucoup d'endroits. On trouvera quelques chapitres plus développés et plus étendus qu'ils n'étoient d'abord : tel est celui du Génie. On pourra remarquer aussi les augmentations que j'ai faites dans les Conseils à un jeune homme, et dans les Réflexions critiques sur les poëtes, auxquels j'ai joint Rousseau et Quinault, auteurs célèbres dont je n'avois pas encore parlé. Enfin on verra que j'ai fait des changements encore plus considérables dans les Maximes. J'ai supprimé plus de deux cents pensées, ou trop obscures, ou trop communes, ou inutiles. J'ai changé l'ordre des maximes que j'ai conservées; j'en ai expliqué quelques unes, et j'en ai ajouté quelques autres, que j'ai répandues indifféremment parmi les anciennes. Si j'avois pu profiter de toutes les observations que mes amis ont daigné faire sur mes fautes, j'aurois rendu peut-être ce petit ouvrage moins indigne d'eux. Mais ma mauvaise santé ne m'a pas permis de leur témoigner par ce travail le desir que j'ai de leur plaire.

[ocr errors]

INTRODUCTION

A LA CONNOISSANCE

DE L'ESPRIT HUMAIN.

LIVRE PREMIER.

I.

De l'esprit en général.

Ceux qui ne peuvent rendre raison des variétés de l'esprit humain, y supposent des contrariétés inexplicables. Ils s'étonnent qu'un homme qui est vif, ne soit pas pénétrant; que celui qui raisonne avec justesse, manque de jugement dans sa conduite; qu'un autre qui parle nettement, ait l'esprit faux, etc. Ce qui fait qu'ils ont tant de peine à concilier ces prétendues bizarreries, c'est qu'ils confondent les qualités du caractère avec celles de l'esprit, et qu'ils rapportent au raisonnement des effets qui appartiennent aux passions. Ils ne remarquent pas qu'un esprit juste, qui fait une faute, ne la fait quelquefois que pour satisfaire une passion, et non par défaut de lumière; et, lorsqu'il arrive à un homme vif de manquer de pénétration, ils ne savent pas que pénétration et vivacité sont deux choses assez différentes, quoique ressemblantes, et qu'elles peuvent être séparées. Je ne prétends pas découvrir toutes les sources de nos erreurs sur une matière sans bornes; lorsque nous croyons tenir la vérité par un endroit, elle nous échappe par mille autres. Mais j'espère qu'en parcourant les principales parties de l'esprit, je pourrai observer les différences essentielles, et faire évanouir un très grand nombre de ces contradictions imaginaires qu'admet l'ignorance. L'objet de ce premier livre est de faire connoître, par des définitions et des réflexions, fondées sur l'expérience, toutes ces différentes qualités des hommes qui sont comprises sous le nom d'esprit. Ceux qui recherchent les causes physiques de ces mêmes qualités, en pourroient peutêtre parler avec moins d'incertitude, si on

réussissoit dans cet ouvrage à développer les effets dont ils étudioient les principes.

II.

Imagination, réflexion, mémoire.

Il y a trois principes remarquables dans l'esprit: l'imagination, la réflexion et la mémoire1. J'appelle imagination le don de concevoir les choses d'une manière figurée, et de rendre ses pensées par des images. Ainsi l'imagination parle toujours à nos sens; elle est l'inventrice des arts et l'ornement de l'esprit.

La réflexion est la puissance de se replier sur ses idées, de les examiner, de les modifier, ou de les combiner de diverses manières. Elle est le grand principe du raisonnement, du jugement, etc.

La mémoire conserve le précieux dépôt de l'imagination et de la réflexion. Il seroit superflu de s'arrêter à peindre son utilité non contestée. Nous n'employons dans la plupart de nos raisonnements que des réminiscences; c'est sur elles que nous bâtissons; elles sont le fondement et la matière de tous nos discours. L'esprit que la mémoire cesse de nourrir, s'éteint dans les efforts laborieux de ses recherches. S'il y a un ancien préjugé contre les gens d'une heureuse mémoire, c'est parcequ'on suppose qu'ils ne peuvent embrasser et mettre en ordre tous leurs souvenirs, parcequ'on présume que leur esprit, ouvert à toute sorte d'impressions, est vide, et ne se charge de tant d'idées empruntées, qu'autant qu'il en a peu de propres ; mais l'expérience a contredit ces conjectures par de grands exemples. Et tout ce qu'on peut en conclure avec raison, est qu'il faut avoir de la mémoire dans la proportion de son esprit, sans quoi on se trouve nécessairement dans un de ces deux vices, le défaut ou l'excès.

[blocks in formation]

là tout le don de penser 1, qui précède et fonde les autres. Après vient la fécondité, puis la justesse, etc.

Les esprits stériles laissent échapper beaucoup de choses, et n'en voient pas tous les côtés; mais l'esprit fécond sans justesse, se confond dans son abondance, et la chaleur du sentiment qui l'accompagne est un principe d'illusion très à craindre; de sorte qu'il n'est pas étrange de penser beaucoup et peu juste.

Personne ne pense, je crois, que tous les esprits soient féconds, ou pénétrants, ou éloquents, ou justes, dans les mêmes choses. Les uns abondent en images, les autres en réflexions, les autres en citations, etc., chacun selon son caractère, ses inclinations, ses habitudes, sa

force ou sa foiblesse.

IV.

Vivacité.

La vivacité consiste dans la promptitude des opérations de l'esprit. Elle n'est pas toujours unie à la fécondité. Il y a des esprits lents, fertiles; il y en a de vifs, stériles. La lenteur des premiers vient quelquefois de la foiblesse de leur mémoire, ou de la confusion de leurs idées, ou enfin de quelque défaut dans leurs organes, qui empêche leurs esprits de se répandre avec vitesse. La stérilité des esprits vifs, dont les organes sont bien disposés, vient de ce qu'ils manquent de force pour suivre une idée, ou de ce qu'ils sont sans passions; car les passions fertilisent l'esprit sur les choses qui leur sont propres, et cela pourroit expliquer de certaines bizarreries: un esprit vif dans la conversation, qui s'éteint dans le cabinet; un génie perçant dans l'intrigue, qui s'appesantit dans les sciences, etc.

C'est aussi par cette raison que les personnes enjouées, que les objets frivoles intéressent, paroissent les plus vives dans le monde. Les

1 On ne pense que par mémoire. V. — Ne seroit-il pas plus

exact de dire : On ne pense qu'au moyen de la mémoire? S.

L'esprit stérile est celui en qui l'idée qu'on lui présente ne fait pas naitre d'idées accessoires; au lieu que l'esprit fécond produit sur le sujet qui l'occupe, toutes les idées qui appartiennent à ce sujet. De même que dans une oreille exercée et sensible, un son produit le sentiment des sons harmoniques, et qu'elle entend un accord où les autres n'entendent qu'un son. S.

bagatelles qui soutiennent la conversation, étant leur passion dominante, elles excitent toute leur vivacité, leur fournissent une occasion continuelle de paroître. Ceux qui ont des passions plus sérieuses, étant froids sur ces puérilités, toute la vivacité de leur esprit demeure concentrée.

V.

Pénétration.

La pénétration est une facilité à concevoir ', à remonter au principe des choses, ou à prévenir leurs effets par une suite d'inductions.

C'est une qualité qui est attachée comme les autres à notre organisation, mais que nos habitudes et nos connoissances perfectionnent: nos connoissances, parcequ'elles forment un amas d'idées qu'il n'y a plus qu'à réveiller; nos habitudes, parcequ'elles ouvrent nos organes, et donnent aux esprits un cours facile et prompt.

Un esprit extrêmement vif peut être faux, et laisser échapper beaucoup de choses par vivacité ou par impuissance de réfléchir, et n'être pas pénétrant. Mais l'esprit pénétrant ne peut être lent; son vrai caractère est la vivacité et la justesse unies à la réflexion.

Lorsqu'on est trop préoccupé de certains principes sur une science, on a plus de peine à recevoir d'autres idées dans la même science et une nouvelle méthode; mais c'est là encore une preuve que la pénétration est dépendante, comme je l'ai dit, de nos habitudes. Ceux qui font une étude puérile des énigmes, en pénè trent plus tôt le sens que les plus subtils philosophes.

VI.

De la justesse, de la netteté, du jugement.

La netteté est l'ornement de la justesse 3; mais elle n'en est pas inséparable. Tous ceux qui ont l'esprit net ne l'ont pas juste. Il y a des hommes qui conçoivent très distinctement, et qui ne raisonnent pas conséquemment. Leur esprit,

1 Concevoir, veut dire ici se former, d'après ce qu'on voit, des idées de ce qu'on ne voit pas, et par là pénétrer plus loin que la simple apparence. S.

2 Au lieu de prévenir, il faut, ce me semble, prévoir les effets par induction, après quoi on les prévient. S.

3 La netteté naît de l'ordre des idées. V.

trop foible ou trop prompt, ne peut suivre lanes ignorent on trouve quelquefois dans l'es liaison des choses, et laisse échapper leurs rapports. Ceux-ci ne peuvent assembler beaucoup de vues, attribuent quelquefois à tout un objet ce qui convient au peu qu'ils en connoissent. La netteté de leurs idées empêche qu'ils ne s'en défient. Eux-mêmes se laissent éblouir par l'éclat des images qui les préoccupent; et la lumière de leurs expressions les attache à l'erreur de leurs pensées 1.

La justesse vient du sentiment du vrai formé dans l'ame, accompagné du don de rapprocher les conséquences des principes, et de combiner leurs rapports. Un homme médiocre peut avoir de la justesse à son degré, un petit ouvrage de même. C'est sans doute un grand avantage, de quelque sens qu'on le considère : toutes choses en divers genres ne tendent à la perfection qu'autant qu'elles ont de justesse 3.

Ceux qui veulent tout définir ne confondent pas le jugement et l'esprit juste ; ils rapportent à ce dernier 4 l'exactitude dans le raisonnement, dans la composition, dans toutes les choses de pure spéculation; la justesse dans la conduite de la vie, ils l'attachent au jugement 5.

Je dois ajouter qu'il y a une justesse et une netteté d'imagination 6; une justesse et une netteté de réflexion, de mémoire, de sentiment, de raisonnement, d'éloquence, etc. Le tempérament et la coutume mettent des différences infinies entre les hommes, et resserrent ordinairement beaucoup leurs qualités. Il faut appliquer ce principe à chaque partie de l'esprit; il est très facile à comprendre.

prit des hommes les plus sages, des idées par leur nature inalliables, que l'éducation, la coutume, ou quelque impression violente, ont liées irrévocablement dans leur mémoire. Ces idées sont tellement jointes, et se présentent avec tant de force, que rien ne peut les séparer 1; ces ressentiments de folie sont sans conséquence, et prouvent seulement, d'une manière incontestable, l'invincible pouvoir de la coutume.

[blocks in formation]

sens.

Le bon sens se forme d'un goût naturel pour la justesse et la médiocrité; c'est une qualité du caractère, plutôt encore que de l'esprit. Pour avoir beaucoup de bon sens, il faut être fait de

Je dirai encore une chose que peu de person- manière que la raison domine sur le sentiment,

Bien écrit. V.

A son degré, de même, expressions trop négligées. M. 3 Je dirois n ont de perfection; et même comment dit-on qu'une chose a plus ou moins de justesse? M. Justesse ici n'est pas le mot propre; cela veut dire sans doute ici, juste proportion de parties, exacte combinaison de rapports. Sans cela, vaudroit-il la peine de dire, comme le fait Vauvenargues deux lignes plus haut, qu'un petit ouvrage peut avoir de la justesse? Sans doute, puisqu'une pensée, qui est assurément le plus petit ouvrage possible, n'a pas de mérite sans la justesse. S.

4 Ils rapportent à ce dernier. C'est qu'il me semble que l'esprit juste consiste seulement à raisonner juste sur ce qu'on connoit, et que le jugement suppose des connoissances qui mettent en état de juger ce qu'on rencontre, et la vie en général est composée de rencontres. S.

La justesse, etc. Justesse est ici sagesse. V.
Je dois ajouter, etc. Un peu confus. V.

l'expérience sur le raisonnement.

Le jugement va plus loin que le bon sens ; mais ses principes sont plus variables.

VIII.

De la profondeur.

La profondeur est le terme de la réflexion 3. Quiconque a l'esprit véritablement profond,

Ces idées sont, etc. C'est-à-dire qu'il y a de la folie dans les sages. V.

2 Celui qui voit, etc. Fin et vrai. V.

3 La profondeur, etc.; c'est-à-dire ce qui suppose le plus de force à la réflexion. S.

doit avoir la force de fixer sa pensée fugitive, | peuple de la terre : nous voulons donner beaude la retenir sous ses yeux pour en considérer coup de choses à entendre sans les exprimer, le fond, et de ramener à un point une longue et les présenter sous des images douces et voichaîne d'idées : c'est à ceux principalement qui lées; nous avons confondu la délicatesse et la fiont cet esprit en partage, que la netteté et la nesse, qui est une sorte de sagacité sur les chojustesse sont plus nécessaires 1. Quand ces avan- ses de sentiment 1. Cependant la nature sépare tages leur manquent, leurs vues sont mêlées souvent des dons qu'elle a faits si divers : grand d'illusions et couvertes d'obscurités. Et néan- nombre d'esprits délicats ne sont que délicats; moins, comme de tels esprits voient toujours beaucoup d'autres ne sont que fins; on en voit plus loin que les autres dans les choses de leur même qui s'expriment avec plus de finesse qu'ils ressort, ils se croient aussi bien plus proches de n'entendent, parcequ'ils ont plus de facilité à la vérité que le reste des hommes; mais ceux-ci parler qu'à concevoir. Cette dernière singulane pouvant les suivre dans leurs sentiers téné- rité est remarquable; la plupart des hommes breux, ni remonter des conséquences jusqu'à la sentent au-delà de leurs foibles expressions; hauteur des principes, ils sont froids et dédai- l'éloquence est peut-être le plus rare comme le gneux pour cette sorte d'esprit qu'ils ne sau- plus gracieux de tous les dons. roient mesurer.

Et même entre les gens profonds, comme les uns le sont sur les choses du monde, et les autres dans les sciences, ou dans un art particulier, chacun préférant son objet dont il connoît mieux les usages, c'est aussi de tous les côtés matière de dissension.

Enfin, on remarque une jalousie encore plus particulière entre les esprits vifs et les esprits profonds, qui n'ont l'un qu'au défaut de l'autre ; car les uns marchant plus vite, et les autres allant plus loin, ils ont la folie de vouloir entrer en concurrence, et ne trouvant point de mesure pour des choses si différentes, rien n'est capable de les rapprocher.

IX.

De la délicatesse, de la finesse et de la force.

La délicatesse vient essentiellement de l'ame": c'est une sensibilité dont la coutume, plus ou moins hardie, détermine aussi le degré 3. Des nations ont mis de la délicatesse où d'autres

n'ont trouvé qu'une langueur sans grace; celles-ci au contraire. Nous avons mis peut-être cette qualité à plus haut prix qu'aucun autre

1 c'est à ceux, etc. Descartes me paroît un esprit très pro

fond, quoique faux et romanesque. V.

La délicatesse vient essentiellement de l'ame. La délicatesse est, ce me semble, finesse et grace. V.

3 c'est une sensibilité, etc. La coutume, les mœurs du pays qu'on habite, déterminent le degré de délicatesse et de sensibilité qu'on porte sur certaines choses, c'est-à-dire qu'elles formeni en nous des habitudes qui rendent cette délicatesse plus ou moins sévère, cette sensibilité plus ou moins vive. S.

La force vient aussi d'abord du sentiment, et se caractérise par le tour de l'expression; mais quand la netteté et la justesse ne lui sont pas jointes, on est dur au lieu d'être fort, obscur au lieu d'être précis, etc.

X.

De l'étendue de l'esprit.

Rien ne sert au jugement et à la pénétration comme l'étendue de l'esprit. On peut la regarder, je crois, comme une disposition admirable des organes, qui nous donne d'embrasser beaucoup d'idées à la fois sans les confondre.

Un esprit étendu considère les êtres dans leurs rapports mutuels: il saisit d'un coup d'œil tous les rameaux des choses; il les réunit à leur source et dans un centre commun; il les met sous un même point de vue. Enfin il répand la lumière sur de grands objets et sur une vaste surface.

2

On ne sauroit avoir un grand génie sans avoir l'esprit étendu; mais il est possible qu'on sont deux choses distinctes. Le génie est actif, ait l'esprit étendu sans avoir du génie; car ce fécond; l'esprit étendu, fort souvent, se borne à la spéculation; il est froid, paresseux et timide,

Personne n'ignore que cette qualité dépend aussi beaucoup de l'ame, qui donne ordinaire

1 On n'a jamais dit que la finesse fût une sorte de sagacite sur les choses de sentiment. Cela ne pourroit se dire que de la délicatesse de l'ame. S.

[blocks in formation]
« PreviousContinue »